OT : La troisième édition de votre traité de droit administratif européen, réalisée grâce à l’aide d’Emilie Chevallier, vient de paraître. Aujourd’hui grâce à votre travail, ce concept de droit administratif européen est ancré dans le paysage doctrinal y compris francophone.
Q1. Pourriez-vous nous rappeler les données structurantes qui selon vous font l’originalité du droit administratif européen par rapport aux droits administratifs nationaux ?
JBA et JDLR : La force de développement du droit administratif européen et les orientations particulières de son contenu dépendent communément d’un certain nombre de facteurs. S’introduisant -souvent de façon directe et immédiate- dans le droit national des États membres, le droit de l’Union s’y amalgame à eux dans tous les secteurs possibles : celui du droit administratif n’y échappe aucunement. Au surplus, se développent constamment, au sein de l’Union, des liens horizontaux -entre systèmes nationaux, parfois dans des réseaux qui incluent des organes nationaux et des entités européennes, lesquels servent des fonctions administratives dans la plupart des cas.
Le droit administratif européen est ainsi devenu une pièce essentielle du système juridique européen, fait de la conjonction des droits nationaux et du droit de l’Union.
Est-il porteur d’orientations particulières qui le singulariseraient dans le concert des droits administratifs européens ? La réponse est certainement positive sur divers plans. L’attention considérable qui s’y trouve portée aux principes de l’État de droit lui fait jouer à cet égard un rôle d’exemple et parfois de garde-fou. Sans aucun doute aussi l’attachement qui est le sien à la concurrence et au marché ?
On doit tenir compte aussi du fait que le droit administratif européen est par essence un droit administratif incomplet. En ce sens qu’il y a des questions qu’il n’a pas -ou pas encore- à régler : il n’a pas à se préoccuper d’encadrer des expropriations par les organes de l’Union puisque ceux-ci ne possèdent jamais ce pouvoir.
OT : Comme les éditions précédentes, ce traité est un ouvrage dense de plus de mille pages, articulées autour sept parties. Pour autant, cette nouvelle édition n’est pas simplement une actualisation de l’ancienne. Vous avez apporté de notables modifications dans la structure du Traité et ajouté des thématiques inédites pour mieux rendre compte des tendances actuelles de l’évolution de ce droit administratif européen
Q.2. : Pourriez-vous nous expliquer ces nouveaux choix éditoriaux qui ont été les vôtres ?
JBA et JDLR :Sans nullement abandonner nos orientations initiales, nous sous sommes efforcés d’affiner la démarche sur divers points. Nous avons réduit les développements consacrés à la description des organes administratifs de l’Union, nous disant que notre ouvrage n’apportait pas grand-chose d’original sur ce terrain. De la même manière, nous avons pris en compte le fait que les études consacrées à l’influence du droit de l’Union sur les différents droits administratifs nationaux étaient maintenant abondantes et nous avons décidé de centrer la partie qui les incluait sur une réflexion synthétique concernant les effets d’harmonisation.
A l’opposé, nous avons souhaité consacrer une partie entière aux phénomènes de transnationalité administrative, si importants dans la construction du tissu conjonctif de l’espace administratif européen. Et nous avons introduit une partie qui pose quelques pierres théoriques et qui est sans doute vouée à se développer si le Traité connait de nouvelles éditions.
O.T. Ce traité est un exemple inspirant de recherche collaborative entre plus que quarante chercheurs européens, qui a sans doute nécessité de travailler selon une méthodologie particulière.
Q.3. Pourriez-vous nous en dire plus ? Auriez-vous quelques conseils pour des collègues qui souhaiteraient se lancer dans une telle initiative.
JBA et JDLR : Il faut se convaincre de ce que la dimension administrative, le registre de la mise en œuvre, pèsent d’un poids croissant dans la construction européenne comme dans l’action publique en général. Ce qui devient crucial, concrètement, est la densification progressive de ce tissu que constitue l’espace administratif européen. A cela, il faut ajouter que les administrations nationales ne sont pas séparées de cet espace administratif européen : elles en font partie et sont connectées à lui par des mécanismes croissants de réseaux et de transnationalités. Au surplus, l’influence verticale des principes et normes de droit de l’Union se fait de plus en plus sentir, soit par l’effet de primauté de ce droit, soit par l’influence intellectuelle qu’il exerce.
De tout cela, il résulte que ceux qui s’intéressent au droit européen comme ceux qui s’intéressent au droit administratif national ne peuvent pas ne pas intégrer le droit administratif européen dans leur perspective.
Comment aborder cet objet ? Les sources ne manquent pas, même si la littérature française a un peu tardé à venir. Il est souvent nécessaire de filtrer les sources générales de droit administratif et de droit européen pour y isoler ce qui concerne la dimension de droit administratif. Mais ce n’est pas un exercice très compliqué si on retient une définition simple du droit administratif comme consistant dans les institutions, mécanismes, procédures, en lien avec la mise en œuvre des politiques légiférées et si on évite de laisser parasiter son approche par des constructions nationales qui ne se retrouvent pas nécessairement ailleurs, comme le service public ou le dualisme juridictionnel.
En tous les cas, dans tous les pays membres de l’Union, on trouve aujourd’hui des collègues, soit principalement européanistes, soit principalement administrativistes, qui étudient le droit administratif européen et qui sont en général très naturellement disposés à travailler avec leurs équivalents des autres États membres.
Le principal obstacle à ces coopérations est linguistique, mais il ne faut pas en exagérer l’importance : les collègues francophones ne manquent pas. Naturellement, on simplifie fortement les choses en passant à l’anglais. Nous ne l’avons pas souhaité dans cet ouvrage-ci, de manière à ce qu’il puisse être facilement utilisé dans la doctrine et l’enseignement en France. Il n’en est pas moins puissamment nourri d’inspirations tirées de travaux dan d’autres langues, notamment en anglais.


