Pour une véritable politique migratoire de l’Union européenne, par Vincent Couronne

La démocratie accepte que ses citoyens ne soient pas forcément mus par un intérêt économique. L’engagement associatif, le statut matrimonial, ou la liberté d’expression sont autant d’exemples démontrant que le « pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple » peut se passer de considérations économiques. Une Union de droit s’honorerait alors en considérant que le citoyen, d’où qu’il vienne, y compris d’un État tiers, doit se voir reconnaître comme tel, et non seulement comme un agent économique. L’autonomisation de la politique migratoire participerait à l’ancrage d’une identité européenne inachevée.

Le primat de l’économie dans la politique migratoire

Or, l’Union européenne, après 60 ans de Traité de Rome, peine à se départir de son tropisme économique. Alors que le traité réclame une politique commune de l’immigration assurant une gestion efficace des flux migratoires, un traitement équitable des ressortissants de pays tiers en séjour régulier, de même qu’une lutte contre la traite des êtres humains, le droit dérivé s’attache essentiellement à trouver une utilité économique aux différentes catégories de migrants. La faute à une « Europe à la carte ». L’espace de sécurité, de liberté et de justice est un espace de différenciation, auquel le Royaume-Uni, le Danemark et l’Irlande ne participent pas. De même, cinq États membres ne sont pas dans l’espace Schengen. Par ailleurs, sous la pression du Conseil, le législateur a inclus quantité de dérogations à la disposition des États membres, témoignant de l’absence d’une vision partagée de l’accueil des migrants. Résultat : le droit dérivé relatif au régime des migrants extracommunautaires s’est construit essentiellement à travers le prisme des intérêts étatiques, incapables d’appliquer aux migrants le dépassement de l’Europe économique après le traité de Maastricht.

Pourtant, les États membres sont bien conscients de la nécessité de communautariser la politique d’asile et d’immigration, les débats lors des révisions successives des traités le montrent clairement. Ce 25 mars encore, les chefs d’État et de gouvernement ont très solennellement déclaré que « pris isolément, chaque État membre serait dépassé par la dynamique à l’œuvre au niveau mondial. Faire front ensemble constitue notre meilleure chance de peser sur cette dynamique et de défendre nos valeurs et intérêts communs ». 60 ans après le Traité de Rome, il est sans doute plus que temps de permettre à l’Union de définir une véritable politique commune, dans laquelle l’immigrant ne sera pas systématiquement appréhendé pour son apport au PIB.

Renforcer la compétence de l’Union en matière migratoire

La lacune majeure est celle de la répartition des compétences. Les traités modificateurs qui ont suivi le traité de Rome ont fait varier la distribution des compétences entre l’Union et ses États membres, et l’énumération introduite par le traité de Lisbonne n’a pas fondamentalement amélioré le problème, en brouillant les lignes de l’exercice de la compétence de cette matière, apparue formellement en 1985 avec les accords de Schengen, puis en 1990 pour l’asile. La méthode interétatique qui s’était imposée à l’origine n’a pas vraiment été remise en question par le traité de Lisbonne. Les compétences en matière migratoire doivent donc être sérieusement remises à plat, car l’argument de l’Europe passoire ou forteresse ne peut être vérifié que s’il est possible d’identifier clairement, pour le citoyen, qui est comptable de cette politique.

Il faut d’abord supprimer le paragraphe 5 de l’article 79 TFUE qui a renationalisé la fixation de quotas de migrants par États membres. Il conviendrait mieux au contraire de permettre au Parlement européen et au Conseil de définir une clé de répartition entre les États membres de différentes catégories de migrants, qu’ils soient économiques, ou demandeurs d’asile, et quel que soit leur nombre chaque année. La publicité du débat parlementaire engendrerait la clarté politique. Le migrant installé dans l’Union doit ensuite se voir reconnaître les droits à la libre circulation, même si ces droits seraient encadrés pour permettre une effectivité de la clé de répartition. Plus le séjour serait long, moins la liberté de circulation serait encadrée, et plus le statut du migrant se rapprocherait de celui du citoyen de l’Union. Les directives réglant le statut des ressortissants communautaires bénéficiant de la libre circulation fournissent une bonne base de départ pour déterminer un régime graduel d’installation des migrants. Enfin, les visas seraient exclusivement européens, délivrés par les institutions de l’Union. Cette perspective, d’un point de vue matériel, semble irréaliste, considérant la profusion de visas spécifiques au sein de chaque État membre. Mais l’exercice de prospection auquel nous nous livrons a ceci de confortable qu’il permet de s’extraire des circonstances du moment. Permettons-nous donc d’espérer, et de voir dans le lancement prochain de l’ETIAS (European Union Travel Information and Authorisation System) pour les ressortissants d’États tiers dispensés de visas, la mise en place formelle d’un mécanisme qui pourrait être l’embryon d’un système informatique permettant à terme la gestion commune des visas.

Une politique commune d’immigration pour renforcer l’identité européenne

L’identité européenne gagnerait significativement à avoir une vraie politique commune permise par un transfert clair de compétence. Elle passerait du construit au donné. L’identité ne serait plus en effet une création du droit issue de déclarations et de préambules, mais un concept partagé par les Européens. L’identité passerait du juridique au politique.

L’identité européenne comprend, entre autres valeurs, la justice sociale et le respect des droits de l’homme (on les retrouve notamment dans la déclaration de Copenhague du 14 décembre 1999). Sur le plan interne, ce sont ces éléments de l’identité qui seraient renforcés par une politique vraiment commune. Sur le plan externe, son identité serait aussi renforcée. L’Union s’affirmerait encore plus comme une Europe puissance, capable d’adopter une politique de l’immigration en cohérence avec l’aide au développement dont elle est, faut-il le rappeler, le premier contributeur au monde. La création récente d’un corps européen de gardes-frontières et garde-côtes pour la protection des frontières extérieures finirait alors de bâtir cette cohérence.

Il y a, c’est certain, une crise d’identité des Européens. Ce n’est que par une gestion commune de l’immigration que nos valeurs pourront être ranimées et la crise d’identité résorbée. La déclaration des chefs d’État et de gouvernement du 25 mars à Rome se conclut d’ailleurs ainsi : « Notre chance, c’est d’être unis. L’Europe est notre avenir commun ».

Vincent Couronne, Post-doctorant, VIP (UVSQ)

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