Mille mots pour fonder la politique extérieure de l’Union européenne, par Nicolas Ligneul

Les articles 113 et 238 du Traité de Rome ont fondé la politique commerciale de la Communauté en 1957. Cette politique a évolué avec la construction communautaire. Elle a permis de construire des relations commerciales avec les voisins en alliant participation aux organisations multilatérales, aide au développement et spécificité de l’ordre juridique communautaire. Cette politique commerciale a créé un système équilibré de répartition des compétences entre l’Union européenne et ses Etats membres. Elle a retenu une extension progressive de la compétence exclusive de l’Union européenne en ménageant la sensibilité des Etats dans des domaines dans lesquels la souveraineté était particulièrement concernée. Cette politique commerciale commune a, en outre, permis l’intégration de nouveaux domaines dans la politique extérieure de l’Union. De politique commerciale conçue pour le commerce de marchandises en 1957, cette politique est devenue l’action extérieure de l’Union depuis le Traité de Lisbonne.

Même si le passage d’une politique commerciale à une action extérieure marque une évolution importante de la construction européenne, il ne constitue qu’une étape d’un processus inachevé. Sans prétendre connaître le secret de l’achèvement de la construction européenne, il apparait que la politique extérieure de l’UE mériterait de faire l’objet d’une véritable fondation en s’appuyant sur les acquis de son commerce extérieur.

Pourquoi fonder juridiquement la politique extérieure de l’UE ?

Pour que l’UE puisse mettre en œuvre une vraie politique extérieure, il faut qu’elle puisse s’appuyer sur des compétences lisibles et efficaces, en particulier dans le domaine commercial.

Or, cette répartition des compétences est aujourd’hui très complexe.

En théorie, les articles 205 et suivants du TFUE consacrent l’aboutissement d’une progression historique amorcée avec l’avis 1/94 et achevée avec le Traité de Lisbonne. Dans la politique commerciale, certains domaines relèvent de la compétence exclusive de l’UE, d’autres de la compétence partagée. La répartition se fait en fonction d’une pluralité de critères : le domaine concerné par la relation extérieure en cause, l’existence ou non d’une politique d’harmonisation pour un secteur particulier, l’atteinte éventuelle à l’intérêt général, à la culture, à la santé publique ou à l’éducation.

La combinaison de ces critères est tellement complexe que malgré l’ancienneté des relations commerciales, la jurisprudence continue de s’interroger régulièrement sur cette répartition de compétences. Ainsi, dans les conclusions prononcées le 21 décembre 2016 à propos de l’avis C-2/15, l’avocat général Sharpston a proposé de distinguer entre l’investissement étranger direct, relevant de la compétence exclusive au sens des articles 207 et 3 du TFUE et les autres formes d’investissement qui relèvent de la compétence partagée.

Cette diversité de solutions juridiques est source d’une grande insécurité. Elle paraît en décalage avec la pratique du droit du commerce extérieur, dans laquelle les décisions de l’UE sont prises par consensus entre les Etats membres. Elle mériterait donc d’être améliorée.

Plus généralement, la politique extérieure de l’Union mériterait d’être cohérente et lisible. Cela suppose que la répartition des compétences soit claire et adaptée à la réalité des relations internationales. Il faudra donc, un jour ou l’autre, reconnaître à l’UE une compétence exclusive de principe pour les relations extérieures de l’Union. Cette reconnaissance pourrait être nuancée par la définition de domaines relevant exclusivement de la compétence partagée dans des domaines sensibles ou non harmonisables. Or, le commerce extérieur est le domaine le plus abouti des relations extérieures de l’UE. Il paraît donc légitime d’utiliser l’acquis du commerce extérieur de l’Union comme point d’appui de la refondation des relations extérieures.

Quels sont les enjeux de cette fondation ?

La fondation de la politique extérieure permettrait une clarification du statut de l’UE. C’est une intégration économique régionale. Elle siège dans les organisations internationales économiques aux côtés de ses Etats membres et vote pour chacun d’entre eux. Ce régime juridique original a occasionné de très vifs et parfois très anciens débats.

Cela permettrait surtout à l’UE de disposer de moyens efficaces et cohérents pour défendre une politique commerciale et, plus généralement, une politique extérieure assurant une réelle promotion des valeurs européennes.

Outre le domaine strictement commercial, cette fondation permettrait de défendre l’équilibre entre les intérêts des Etats du Nord et celui des Etats du Sud qui est une valeur importante de la politique de coopération avec les Etats tiers. C’est, par exemple, la position qui est défendue par la Commission depuis 2015 au travers de la construction d’une cour internationale d’arbitrage assurant une mise en œuvre équilibrée du droit de l’investissement privé étranger.

De façon plus générale, la promotion des valeurs non commerciales suppose que l’Union européenne dispose d’une réelle compétence pour défendre notamment la culture, le développement durable, les droits de l’homme, la santé publique ou le droit de règlementer dans un contexte mondialisé.

Ces valeurs transversales ne se limitent pas au domaine du commerce extérieur. Elles fondent aussi la politique de coopération avec les Etats tiers et mériteraient d’être reconnues comme les valeurs fondamentales de toute l’action extérieure de l’UE.

Comment opérer cette fondation ?

Fonder la politique commerciale extérieure de l’Union européenne, c’est l’inscrire dans un consensus de la construction européenne de l’action extérieure.

L’UE ne peut plus se contenter d’une répartition de compétences empirique et complexe. Pour définir les valeurs européennes et les défendre dans ses relations extérieures, l’UE doit bénéficier de compétences claires définies à l’unanimité.

Une modification substantielle de la répartition des compétences entre l’UE et ses Etats membres semble donc devoir être opérée. Cela suppose un processus démocratique et consensuel qui intègre la refondation de la politique commerciale externe de l’Union européenne dans une politique extérieure globalement cohérente et consensuelle.

La refondation de la politique commerciale de l’Union suppose une compétence exclusive de l’UE dans le domaine du commerce extérieur. La modification du TFUE paraît donc souhaitable, au moins pour réécrire Article 205 du TFUE et y intégrer les valeurs des relations extérieures de l’UE. L’article 207 devrait aussi être modifié pour reconnaître une compétence européenne exclusive dans le domaine commercial.

Ces modifications des traités pourraient même aller jusqu’à poser la question de la constitution d’un fédéralisme européen dont l’action extérieure pourrait alors reposer sur des compétences et des valeurs.

Par Nicolas Ligneul, Maître de conférences (HDR) en droit public , Assesseur du Doyen de la Faculté de Droit de l’Université Paris Est

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