Dans un post précédent nous avons évoqué le cadre actuel du registre de la transparence. Ce post se propose de faire un état des lieux de la réforme en cours.
La proposition de réforme de septembre 2016
L’ambition de la Commission Juncker a débouché sur la présentation, le 28 septembre 2016, d’une proposition d’accord interinstitutionnel sur un registre de transparence obligatoire. La base juridique retenue est celle de l’article 295 TFUE relatif aux consultations réciproques entre le Parlement, le Conseil et la Commission et à la conclusion d’accords interinstitutionnels de coopération qui peuvent revêtir un caractère contraignant. Il s’agit de la même base juridique prévue pour les accords de 2011 et de 2014.
Relevons ici quelques éléments majeurs de la proposition de réforme :
- Le registre deviendrait commun au Parlement, à la Commission et au Conseil de l’Union européenne. Ce dernier quitterait ainsi son statut d’observateur acquis en 2014 pour devenir pleinement partie prenante au mécanisme ;
- Le registre serait obligatoire. Les types d’interactions subordonnés à l’enregistrement préalable sont clairement identifiés pour chaque institution. Ainsi, la tenue de réunions avec les décideurs des trois institutions serait soumise à l’exigence d’enregistrement, instaurant en norme contraignante la pratique engagée par la Commission en novembre 2014 ;
- Un contrôle ex ante et systématique des nouveaux enregistrements serait effectué. Les demandeurs souhaitant présenter une demande d’enregistrement devraient prouver leur éligibilité, en démontrant qu’ils exercent les activités relevant de l’accord proposé ;
- Le régime d’exceptions serait clarifié, tant au niveau des activités que des organes exemptés. Ce point est particulièrement important pour les avocats-lobbyistes, pour lesquels il n’est pas toujours aisé d’identifier prestations de lobbying et prestations de conseils juridiques ;
- Le nouvel accord modifierait la gouvernance du registre, en prévoyant de mettre en place, en plus du secrétariat commun actuellement chargé d’assurer la mise en œuvre du registre et le suivi des plaintes et des sanctions, un conseil de direction, composé des secrétaires généraux des trois institutions. Ce conseil de direction aurait notamment pour mission de superviser la mise en œuvre globale de l’accord par le secrétariat et de réviser les décisions de sanction adoptées par ce dernier ;
- Un nouveau mécanisme graduel de sanctions serait établi, allant de la suspension temporaire à la radiation, en vue d’assurer une plus grande fiabilité et qualité des données fournies par les représentants d’intérêts ;
- L’invitation à participer volontairement au cadre créé par l’accord serait étendue aux représentations permanentes des Etats membres (dans l’accord actuel, seules les autres institutions et agences de l’Union sont visées).
Où en est-on dans le processus de révision ?
Plus d’un an après la présentation de refonte par la Commission, force est de constater que les choses ont peu évolué.
Du côté du Parlement européen, la conférence des Présidents a approuvé, juste avant l’été, la position de l’institution et le mandat pour négocier la réforme. Cela concrétise le travail mené notamment par Sylvie Guillaume, députée française et Vice-Présidente du Parlement européen, nommée co-négociatrice sur ce dossier dès la fin 2016. Les objectifs de l’institution sont clairs : convaincre le Conseil des ministres de rejoindre le registre, maintenir une définition large des pratiques de lobbying, améliorer la précision et la qualité des données inscrites dans le registre, fournir des ressources suffisantes pour le fonctionnement efficace du mécanisme.
En parallèle, les députés européens ont approuvé mi-septembre la résolution non-législative portée par le député vert allemand Sven Giegold en faveur d’une meilleure transparence, responsabilité et intégrité au sein des institutions européennes. Cette résolution appelle de manière forte à la mise en place du registre obligatoire. Les autres éléments prégnants sont le renforcement du contrôle sur le phénomène des ‘revolving doors’ (cf. les cas récents de Neelie Kroes et de José Manuel Barroso), ainsi que l’édiction d’une interdiction pour les personnes condamnées pour corruption de se présenter aux élections du Parlement européen.
Du côté du Conseil de l’Union, les Etats n’ont toujours pas déterminé leur ligne sur le sujet et la présidence maltaise a échoué à obtenir au cours du premier semestre 2017 un engagement politique pour faire avancer le dossier. Le service juridique du Conseil a également émis de sérieux doutes sur la validité de la base juridique retenue par la Commission pour imposer un registre obligatoire.
Cependant, les discussions ne sont pas totalement à l’arrêt, puisque des représentants des trois institutions se sont rencontrées le 6 septembre dernier, à l’initiative de la présidence estonienne du Conseil de l’Union. L’échange de vues a permis aux trois institutions de réitérer l’importance politique de la question et leur engagement à améliorer la transparence des pratiques de représentation d’intérêts.
Cette initiative doit être vue comme un premier signe positif venant des Etats membres. Il faut d’ailleurs relever que la pression se fait plus forte au fil des semaines, par l’intermédiaire notamment de la Médiatrice européenne qui a poursuivi début octobre son enquête sur la transparence des travaux au sein de l’institution. Celle-ci a été initiée en mars 2017 par l’envoi au Conseil de l’Union d’une série de questions, afin de pouvoir estimer si les documents législatifs issus des réunions internes sont traités conformément aux normes de transparence de l’Union.
Gageons donc que des progrès seront rapidement enregistrés sur ce dossier. D’une part, c’est un engagement fort de la Commission Juncker, dont le mandat se termine d’ici dix-huit mois. D’autre part, des voix se prononcent déjà au sein du Parlement européen, d’ONG et de Think tanks pour aller plus loin dans la transparence : l’on débat ainsi de l’instauration d’une empreinte législative, permettant de connaître précisément les positions défendues et d’analyser l’impact de tel ou tel porteur d’intérêts sur la procédure législative ; l’on porte enfin une attention accrue à l’opacité des trilogues, ces négociations interinstitutionnelles devenues la norme au sein du processus législatif, et sur lesquels le Tribunal de l’Union européenne sera amené à se prononcer.
Sébastien Blanchard est consultant en affaires européennes fondateur et gérant d’Egemone Consulting. Il accompagne les acteurs économiques dans leur appréhension des questions européennes : information juridique, formation, conseil juridique et conseil pour l’accès au financement européen, accompagnement pour la représentation d’intérêts. Sébastien Blanchard est également chargé d’enseignement auprès de différents organismes : écoles régionales d’avocats, école de commerce européenne de Bordeaux…
Re(voir):
- le précédent post Encadrement des pratiques de lobbying au plan européen, Part.1/2 État des lieux, par Sébastien Blanchard
- Regards sur les activités de lobbying à l’échelle de l’UE, ITW du professeur P.Y. Monjal,