Interview de Georges Ravarani, partie 4 : deux grands défis actuels pour la Cour européenne des droits de l’Homme

Dans cette quatrième et dernière partie d’interview, Georges Ravarani, juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, nous explique quels sont selon lui deux des principaux défis qui se posent aujourd’hui à la Cour.

Premier défi : le droit de l’immigration et de l’asile

Le premier défi à relever pour cette Cour, c’est celui qui concerne l’immigration, le statut de réfugié, le droit des étrangers. En principe, cette Cour n’est pas une Cour de l’immigration, l’asile ne fait pas partie d’un droit fondamental consacré par la Convention, mais il est protégé indirectement par toute une série de dispositions de la Convention : droit à la vie, droit à ne pas être torturé ou traité de manière inhumaine et dégradante, droit de ne pas être privé de sa liberté, droit à la vie privée, etc, de telle sorte que nous sommes devenus une Cour de l’immigration. Cela pose un problème de légitimité, c’est un grand défi. La thématique de l’immigration et de l’asile est un casse-tête pour tous les Etats européens, la patate chaude en politique, des élections se gagnent et se perdent autour de ce sujet. Nous risquons ici de pâtir aussi de la faible acceptabilité de nos arrêts, qui sont le cas échéant perçus comme contraires aux préoccupations du moment d’une majorité de la population. Un exemple récent est l’affaire liée au contexte de la « barrière anti-migrants » érigée en Hongrie (affaire lias et Ahmed c. Hongrie) que la Grande Chambre a récemment prise en délibéré, concernant la rétention à la frontière hongroise de deux ressortissants du Bangladesh que les autorités hongroises avaient ensuite expulsés vers la Serbie. Ces affaires préoccupent les hommes politiques en Europe. Il s’agit vraiment d’une des grandes thématiques sur lesquelles la Cour joue un peu son avenir.

Deuxième défi : le délai de traitement des affaires

Un autre défi essentiel, c’est le problème du délai de traitement des affaires. Pour citer un exemple, une des toutes premières affaires introduites quand je suis arrivé à la Cour concernait une étudiante aveugle qui, pour cette raison, n’avait pas été admise au conservatoire de musique. Nous avons donné tort aux juridictions nationales qui avaient confirmé cette décision, mais l’affaire avait été introduite en 2005 et l’arrêt a été rendu en 2016. Il y a donc des retards abyssaux, la Cour est victime de son succès. Plus de 100 000 affaires ont été introduites et doivent être évacuées. Est-ce qu’on rend encore une justice individuelle ? Difficile de l’affirmer, on se mue en Cour constitutionnelle qui évalue des systèmes et qui statue pour l’avenir. Mais les justiciables individuels doivent avoir longue haleine pour obtenir justice. C’est l’un des grands défis pour l’organisation de la Cour. Cela ne va pas en s’améliorant car certains Etats ne payent plus le Conseil de l’Europe, l’institution est de plus en plus en sous-effectifs, on doit licencier des gens et faire face à des restrictions budgétaires drastiques. Au lieu de nous permettre de travailler plus, on nous prive des moyens de continuer à travailler comme on essaye de le faire, ce qui est très malheureux.

 

Cette interview a été réalisée le 9 mai 2018 par Catherine Warin.

Sincères remerciements à Georges Ravarani pour sa gentillesse et sa disponibilité.

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