Lors de la publication d’une série de six posts présentant les questions de droit international privé débattues lors des Directions d’Études de l’Académie de la Haye (session 2017), les mérites de la méthode de la reconnaissance mutuelle en matière de libre circulation des documents publics ont été examinés (le contenu de ce précédent post est accessible ici). L’une de nos fidèles lectrices, la Prof. Maria Font i Mas, a eu la générosité de nous faire part d’un ouvrage dont elle est l’éditrice sur ce même sujet. « Le document public étranger en Espagne et dans l’Union européenne – Études sur les caractéristiques ainsi que les effets du document public » est un ouvrage collectif (publié en langue espagnole) dont les différentes contributions analysent les obstacles à la reconnaissance des documents publics étrangers dans les États membres, et plus particulièrement en Espagne. Bien que publié en 2014, cet ouvrage reste d’actualité au vu des discussions concernant la suppression (totale) de la légalisation, l’introduction de l’e-apostille et l’adoption du Règlement 2016/1191 simplifiant les conditions de présentation de certains documents publics dans l’UE.
La première partie de l’ouvrage présenté dans ce post traite des lourdeurs administratives liées à la légalisation ainsi que des barrières à la libre circulation des documents publics en Europe. Elle comprend les contributions suivantes :
- Alegría Borrás – De l’exigence de légalisation à la libre circulation des documents.
- Maria Font i Mas – L’authenticité formelle des documents publics en Espagne comme obstacle aux relations internationales et la proposition de Règlement sur la simplification et l’acceptation des documents publics dans l’Union européenne.
- Mónica Guzmán Zapater – La libre circulation des documents publics relatifs à l’état civil dans l’Union européenne.
- Pilar Blanco Morales-Limones – La fonction notariale du point de vue de l’Union européenne.
- Barabara Pasa – La proposition de Règlement sur la libre circulation des « documents publics » dans l’Union européenne et le notariat de type latin.
- Pedro Carrión – Les documents notariés dans les nouveaux règlements européens : le Règlement sur les successions internationales et la proposition de Règlement sur les régimes matrimoniaux ainsi que celle sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.
- Carmen Gómez Buendía – La notion de document public extrajudiciaire en droit espagnol : ses antécédents historiques et sa projection dans le droit actuel.
- Carmen Parra – Le concept de document extrajudiciaire et sa force exécutoire dans l’Union européenne.
- Blanca Padrós Amat – La présence de documents notariés dans les procédures de reconnaissance et/ou d’exécution de titres exécutoires étrangers.
Les avancées apportées par la Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers (1961) sont saluées par les différents auteurs, tout comme les derniers développements en matière d’e-apostille. Tous deux contribuent à la circulation « un peu plus libre » des documents publics étrangers. La question qui perdure est celle de savoir si l’abolition absolue de la légalisation en Europe et au-delà est envisageable. Bien que le présent ouvrage ne prenne pas en compte l’adoption du Règlement 2016/1191 pour des raisons chronologiques, l’analyse du projet de loi de 2013 arbore des problématiques ayant survécu au processus législatif. Entre autres, le Règlement 2016/1191 a finalement renoncé à imposer la reconnaissance mutuelle du contenu des documents publics (negotium) – à distinguer des actes authentiques – comme l’avait suggéré la Commission dans son Livre Vert en 2010. L’article 2.4 du Règlement ne vise que la reconnaissance des aspects extrinsèques de ces documents, alors que d’autres méthodes législatives étaient possibles, telles que la codification uniforme des normes de droit international privé ou la création d’un certificat européen d’état civil. Quant à la notion même de document public, elle reste versatile bien qu’elle ait fait l’objet d’une interprétation de la part de la CJUE et qu’elle soit codifiée par le Règlement 2016/1191. Le présent ouvrage accorde une attention particulière aux documents notariés et, plus généralement, aux documents publics extrajudiciaires.
La deuxième partie de l’ouvrage, dont le contenu couvre le traitement des documents publics par les autorités espagnoles, suscitera l’intérêt des amants du droit comparé. Elle contient les contributions suivantes :
- Iván Heredia Cervantes – La loi sur le registre civil de 2011 et l’inscription des décisions judiciaires étrangères.
- Diana Marín Consarnau – Le document public étranger dans la procédure d’obtention d’un titre de séjour et « l’exigence » de l’inscription du mariage mixte célébré devant une autorité étrangère.
- Rafael Arenas García – Accès des documents publics étrangers au registre foncier espagnol.
- José Rodríguez Calvo – Les transactions immobilières en Espagne conclues par des étrangers.
- Luis Javier Arrieta Sevilla – Le caractère inscriptible des écritures publiques étrangères à la lumière de la première doctrine hypothécaire.
- Pilar Jiménez Blanco – La valeur probatoire des documents publiques dans l’Union européenne.
- Elisabet Cerrato Guri – La valeur probatoire des documents publics non judiciaires et étrangers dans le procès civil espagnol.
Cette deuxième partie aborde des questions tout à fait pragmatiques. Par exemple, à quelles conditions est soumise l’inscription des décisions judiciaires étrangères dans le registre civil espagnol ? Le conjoint étranger d’un résident espagnol, dont le mariage est célébré devant l’autorité d’un autre État, peut-il obtenir un permis de résidence en Espagne et si oui, à quelles conditions ? Les documents notariés étrangers sont-ils passibles d’inscription dans le registre foncier espagnol (à ce sujet, voir le célèbre jugement de la Cour Suprême espagnole du 19 juin 2012) ? À quelles exigences sont soumises les acquisitions immobilières en Espagne opérées par des résidents étrangers ? Quels effets déploie l’inscription des documents publics en Espagne ? Qu’en est-il des documents publics extrajudiciaires ? Ces questions sont soigneusement examinées par différents experts en droit international privé, tels que professeurs, notaires et avocats.
Dans les cas dans lesquels aucune disposition européenne ou conventionnelle ne s’applique, il faudra encore tenir compte de quelques nouveautés introduites par la Loi sur la coopération internationale en matière civile de 2015, dont les articles 56 et 58 à 60 traitent de la reconnaissance et de l’inscription des documents publics étrangers. Entre autres, la loi de 2015 met en place un système de reconnaissance de ces documents basé sur le principe d’équivalence et dispense de la nécessité d’ouvrir une procédure spécifique (reconnaissance à titre principal). Elle établit également une obligation d’adapter les institutions du droit étranger au droit espagnol dans la mesure où l’ordre public est préservé. Pour plus d’informations sur ce texte de loi, voir l’excellent commentaire du Prof. Pedro de Miguel ainsi que l’article de la Prof. Maria Font i Mas (en italien), accessible ici.
Loin du caractère généralement fragmentaire des compilations du même genre, l’œuvre présentée ici a su maintenir une cohésion entre les thèmes abordés, si bien que le lecteur est capable de construire un système de connaissances solide au fil des différentes contributions. Regorgeant de questions de droit international privé éminemment concrètes et d’exemples, nous recommandons cet ouvrage tant aux professionnels du monde pratique qu’aux chercheurs en droit.
Alexia Pato, Collaboratrice scientifique à l’Université de Bonn
Pour revoir les posts concernant l’école d’été de l’Académie de la Haye (session 2017), cliquez sur les liens suivants :
- Partie 1 (le droit international privé et son interaction avec d’autres disciplines)
- Partie 2 (les sources du droit international privé)
- Partie 3 (la méthode de la reconnaissance)
- Partie 4 (l’ordre public)
- Partie 5 (la preuve du droit étranger)
- Partie 6 (Principes sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux)