Au cours de l’été 2020, les Parties contractantes du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) ont commencé les négociations pour la modernisation du traité, dans le but de mettre à jour, clarifier, et moderniser un certain nombre de ses dispositions. Comme l’a souligné la Conférence sur la Charte de l’énergie dans sa déclaration de Rome de 2009, le TCE est censé refléter les nouveaux développements et défis des marchés internationaux de l’énergie. Il n’y a aucun doute que le changement climatique est considéré comme un nouveau défi et les efforts visant à faciliter la transition vers une économie à faible émission de carbone impliquent de nouveaux changements qui affectent les marchés internationaux de l’énergie. Par conséquent, ainsi que l’ont souligné l’Union européenne (UE) et plusieurs de ses États membres, la modernisation du TCE offre un tremplin pour des réformes constructives et une occasion unique de rapprocher le traité des objectifs de l’Accord de Paris.
Le processus de la Charte de l’Énergie
La modernisation actuelle du TCE fait partie d’un processus continu de réformes, généralement connu sous le nom de « processus de la Charte de l’énergie ». La première phase de cette modernisation a été finalisée en 2015 avec l’adoption de la Charte internationale de l’énergie, destinée à actualiser la déclaration politique initiale signée en 1991 (Charte européenne de l’énergie). En revanche, la deuxième phase, qui a commencé en 2017, implique la révision potentielle du texte du TCE lui-même. Cette révision pourrait concerner le traité dans son intégralité ; toutefois, après plusieurs séries de discussions, les Parties ont convenu de la réduire à ses dispositions en matière d’investissement, qui nécessitent plus que d’autres une mise à jour. Les sujets spécifiques ouverts à la discussion et à la réforme ont été annoncés en novembre 2018 et comprennent plusieurs questions de protection des investissements, telles que la définition d’investissement, les normes traditionnelles de protection des investissements, ainsi que certaines questions liées au règlement des différends. Il faut préciser que cette liste est purement indicative et que c’est la volonté politique des Parties contractantes qui décidera quels seront précisément les sujets réformés.
Un traité à réformer
Les dispositions du TCE reflètent l’environnement historique, politique et économique du début des années 90 et ont été conçues pour répondre aux besoins et préoccupations spécifiques des pays impliqués dans les négociations à l’époque. Au cours des trois dernières décennies, cependant, les marchés de l’énergie ont subi de profonds changements, comme en témoigne l’attention croissante accordée aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et à la conservation. Le secteur énergétique n’a pas été le seul à avoir subi une telle évolution. Plus généralement, les activités d’investissement ont changé, tout comme le droit des investissements et la pratique du règlement des différends entre les investisseurs et les États. Plusieurs pays ont notamment commencé à mettre à jour un certain nombre de normes de protection des investissements et de dispositions procédurales dans leurs traités bilatéraux d’investissement de même que dans les chapitres sur les investissements contenus dans les accords de libre-échange. Par conséquent, ces derniers comportent des dispositions qui vont bien au-delà du traitement des investissements étrangers que l’on pourrait trouver dans les traités précédents, y compris le TCE.
Le défi climatique
La transition vers les énergies renouvelables qui caractérise les marchés internationaux de l’énergie est motivée, du moins en partie, par les efforts actuels pour atténuer le changement climatique. Dans le cadre de la stratégie d’atténuation du changement climatique, il est aujourd’hui devenu primordial d’éliminer progressivement la dépendance aux combustibles fossiles et d’intensifier l’utilisation des sources d’énergie renouvelable. Néanmoins, le niveau actuel d’investissement dans l’énergie renouvelable n’est pas encore suffisant, et si la communauté internationale veut atteindre les objectifs énoncés dans l’Accord de Paris et maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C, des investissements importants dans ces formes d’énergie seront nécessaires au cours des prochaines décennies. Dans ce contexte, les investissements étrangers dans des secteurs d’importance stratégique pour l’atténuation du changement climatique, tels que les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, peuvent contribuer positivement à la transition vers une économie à faible émission de carbone. Le rôle clé des investissements étrangers est clairement indiqué dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’ONU, dont l’objectif 7 (sur l’accès à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable) contient l’engagement de « promouvoir l’investissement dans l’infrastructure énergétique et les technologies relatives à l’énergie propre ».
Vers un traité respectueux du climat ?
Le message véhiculé par le Programme de développement durable se reflète dans les directives de négociation pour la modernisation du TCE adoptées par le Conseil européen en juillet 2019, qui fixent comme objectifs fondamentaux de ce processus de modernisation la facilitation des « investissements dans le secteur de l’énergie d’une manière durable entre les parties contractantes au TCE en créant un cadre juridiquement contraignant cohérent et actualisé qui garantisse la sécurité juridique et assure un niveau élevé de protection des investissements », ainsi qu’une réforme du traité afin qu’il tienne compte « des objectifs en matière de changement climatique et de transition vers une énergie propre ». Orienter la réforme dans cette direction se heurtera néanmoins nécessairement à de nombreux obstacles. Si l’UE et plusieurs de ses États membres se sont exprimés en faveur de cette nouvelle direction, toutes les parties contractantes ne partagent pas cette position. Par ailleurs, rappelons qu’aucun des 25 sujets sur lesquels les Parties contractantes se sont accordées ne mentionne le changement climatique, l’énergie propre ou l’une des préoccupations soulevées par la proposition européenne. Toutefois, la pratique actuelle du droit des investissements et de l’arbitrage international peut offrir des indications précieuses sur la manière d’orienter les discussions sur certains des sujets existants dans une direction respectueuse du climat. Il est d’ailleurs raisonnable de supposer que les parties contractantes fonderont leurs discussions précisément sur leur expérience en ce qui concerne les négociations de traités d’investissement et le développement de la jurisprudence, tous deux intéressants du point de vue environnemental.
Une distinction importante
Une caractéristique du TCE qui peut paraître problématique d’un point de vue climatique est sa « neutralité » par rapport aux sources énergétiques, à savoir le fait que le traité s’applique à tous les investissements associés à une activité économique dans le secteur de l’énergie, sans permettre de distinguer entre les différentes sources d’énergie, et encore moins entre les investissements énergétiques sobres et ceux intensifs en carbone. Compte tenu du rôle dominant des combustibles fossiles dans l’économie mondiale et des défis économiques auxquels sont confrontés les producteurs d’énergie renouvelable, ne pas faire de distinction entre les sources d’énergie donne à l’industrie des combustibles fossiles un avantage important. Dans le cadre de la modernisation du TCE, il serait possible de surmonter cette « neutralité » en permettant aux États d’accorder un traitement différencié aux investissements en fonction de leur impact sur l’environnement et sur le climat. Cette question a été abordée par plusieurs tribunaux arbitraux dans le contexte de l’interprétation de la notion de « circonstances similaires » dans les clauses de la nation la plus favorisée (NPF) et du traitement national (TN). Ainsi, dans deux affaires récentes, Methanex c. USA et Parkerings c. Lituanie, les tribunaux ont fait une nette distinction entre deux investissements précisément en raison de leur impact environnemental. En outre, certains traités contiennent cette clarification directement dans leurs clauses NPF et NT. L’article 7 (3) du Code panafricain des investissements, par exemple, précise que « le concept de circonstances similaires nécessite un examen global, au cas par cas, de toutes les circonstances dans lesquelles un investissement est effectué, y compris […] ses incidences sur l’environnement local, régional ou national […]». Dans ce sens, un TCE plus respectueux du climat pourrait impliquer l’introduction d’une définition plus élaborée des « circonstances similaires », avec la clarification des critères appropriés afin de permettre aux États de faire une distinction entre les investissements énergétiques à forte intensité de carbone et ceux à faible émission de carbone, en leur accordant un traitement juridique différent.
Le droit de l’État de protéger le climat
Le TCE ne contient aucune disposition reconnaissant explicitement le droit de l’État hôte de réglementer, notamment pour protéger l’environnement. Cependant, la production et l’utilisation d’énergie peuvent créer des dommages environnementaux et les États, ayant la responsabilité de les minimiser, devraient être en mesure de renforcer leurs lois et normes environnementales nationales. La première étape dans cette direction pourrait consister simplement à introduire une clause prévoyant explicitement le droit de l’État hôte de réglementer. Un certain nombre d’accords comportent déjà un article autonome énonçant ce droit, généralement associé à une clause de non-stabilisation, comme l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (CETA) (Article 8.9). De plus, l’impression générale est que le droit de l’État hôte de réglementer a été indûment restreint par un recours « excessif » à la norme du traitement juste et équitable (TJE) et à l’interdiction des expropriations indirectes ; des actes réglementaires potentiellement légitimes ont ainsi été contestés sur la base de violations alléguées de ces deux normes. Cela a été rendu possible par la formulation souvent vague et générale de ces dernières, qui permet une interprétation extensive. Une tendance inverse, qui pourrait contribuer à renforcer le droit de l’État de réglementer (et par conséquent de renforcer la protection de l’environnement et du climat) consiste à remplacer les formulations ouvertes de TJE et des clauses d’expropriation indirecte par des « clarifications linguistiques » et des « définitions améliorées », restreignant ainsi la portée de ces dispositions.
Accroître la responsabilité des investisseurs
Le rééquilibrage du TCE ne se limite pas uniquement au renforcement du droit de l’État à réglementer afin de protéger l’environnement, il implique également de trouver un équilibre entre les droits de l’investisseur et ses obligations. Les traités d’investissement n’imposent généralement aucune obligation aux investisseurs. Cependant, l’élaboration de normes et de codes de conduite internationaux reflète le rôle de plus en plus important joué par les entreprises partout dans le monde et la nécessité de garantir leur comportement responsable. À ce jour, il existe très peu d’exemples de traités d’investissement imposant des obligations directement aux investisseurs. L’exemple le plus remarquable et le plus progressiste est fourni encore une fois par le Code panafricain, dont un chapitre entier précise les obligations des investisseurs étrangers. Cependant, énoncer simplement une liste d’obligations que l’investisseur doit respecter ne suffirait pas, car il est encore nécessaire de s’assurer que celles-ci sont respectées. Afin de garantir le respect de ces obligations, il est par exemple possible de les assortir de clauses de « refus d’avantages », qui permettent à l’État hôte à tout moment de refuser les avantages du traité à un investisseur qui aurait violé ses obligations. Une autre option est la reconnaissance explicite du droit de l’État hôte de présenter une demande reconventionnelle en arbitrage d’investissement si l’investisseur ne respecte pas les obligations prévues dans le traité.
Vers une réforme ambitieuse, mais étayée
La modernisation du TCE offre aux parties contractantes l’occasion unique de transformer le traité en un nouvel instrument modernisé capable de refléter les objectifs environnementaux et de contribuer à la réalisation des objectifs de l’accord de Paris. Une telle réforme peut être menée de plusieurs manières différentes. Ce qui importe est que la réforme soit à la fois ambitieuse et étayée. Ambitieuse, en ce qu’elle doit aller au-delà de simples révisions cosmétiques, et étayée, en ce qu’elle doit s’appuyer sur une claire évolution des traités et de la jurisprudence.
Elena Cima is a Lecturer in International Energy and Environmental Law at the University of Geneva. She holds a PhD in International Law from the Graduate Institute of International and Development Studies (Geneva), a Bachelor of Laws from the University of Milan and an LL.M degree from Yale Law School. Her research interests include international economic and environmental law, climate change, and energy law.