Interview d’Athanasios Rantos, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne

Dans cette interview réalisée le 12 novembre 2021 par Nóra Cseke, M. Athanasios Rantos, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne, nous explique son parcours, ses expériences et sa fonction au sein de la Cour de justice.

Monsieur l’avocat général Rantos, pourriez-vous retracer pour nous votre parcours professionnel ?

Ma réponse à cette question sera simple. J’ai été seulement et exclusivement juge national pendant 42 ans consécutifs, de l’âge de 25 ans jusqu’à mes 67 ans, en tant que membre de la Haute juridiction administrative hellénique, le Conseil d’État. J’y ai occupé successivement les fonctions d’auditeur, de maître des requêtes, de conseiller, de vice-président, puis de président, et ces deux derniers postes pendant 11 ans.

Parallèlement, j’ai été enseignant à temps partiel à l’École nationale de la magistrature hellénique pendant 21 ans et j’ai occasionnellement dispensé des cours dans les écoles de droit des universités helléniques.

L’année dernière, j’ai eu la grande chance de pouvoir accéder aux fonctions d’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne.

Comment percevez-vous la différence entre la fonction de président d’une cour suprême administrative nationale et celle d’avocat général à la Cour de justice ? Dans quelle mesure le fait d’avoir été magistrat national vous influence-t-il dans le processus de réflexion ?

Il existe de nombreuses différences entre les deux fonctions évoquées, notamment en termes de missions, de droit applicable et de procédure, mais les fonctions de magistrat national et d’avocat général à la Cour de justice ont aussi plusieurs traits communs, dont le plus considérable est que, dans les deux cas, nous sommes au service de nos concitoyens, à savoir du citoyen européen et du citoyen national.

Lorsque je suis devenu magistrat national, j’ai appris à procéder comme un magistrat impartial pour fournir des solutions convenables dans les affaires à mener devant ma juridiction. Ce même processus de réflexion s’applique également à la Cour.

Quels sont les principes directeurs qui vous guident en tant qu’avocat général ?

La tâche d’un avocat général à la Cour de justice est de fournir à la Cour une image complète de chaque affaire et de proposer des solutions, tout en éclairant les points « cachés » de chaque affaire. Le rôle d’un avocat général consiste à tracer, si besoin, de nouvelles lignes directrices, de nouveaux chemins de pensée dans les affaires concernant l’application du droit de l’Union européenne.

Comment évaluez-vous la période que vous avez vécue à la Cour depuis votre entrée en fonction ?

Je dois avouer que cette période est l’une des plus intéressantes de ma vie professionnelle parce que j’ai la possibilité de faire partie de ce moteur de l’idée de l’Europe unie qu’incarne la Cour de justice, et ainsi de continuer de trancher des affaires, tout en ayant le privilège de collaborer avec des collègues de grande qualité, provenant d’ordres juridiques différents et ayant des approches quelques fois diverses qu’il faut rapprocher pour avoir finalement l’aboutissement de la procédure, à savoir l’arrêt.

Pensez-vous que les avocats généraux ont un véritable pouvoir d’influence sur la façon dont un arrêt de la Cour de justice est rendu ?

C’est la question que l’on me pose le plus souvent. Nombreux sont ceux qui disent que ma contribution en tant qu’avocat général n’est qu’un simple avis sans importance. Un juriste peut soulever à juste titre une telle réflexion. Mais les statistiques indiquent une autre réalité. Les arrêts de la Cour démontrent que, dans un pourcentage élevé de cas (plus de 80 %), la Cour suit les conclusions des avocats généraux. Les conclusions jouent cependant un rôle peut être encore plus important. Les arrêts sont par nature concis, tandis que les conclusions sont plus étendues et contiennent des explications qui aident le public, qu’il s’agisse de juristes ou non, à mieux comprendre ce que la Cour a jugé. Je pense donc que la contribution que fournissent les conclusions est inestimable à toutes les étapes de la procédure de la justice européenne.

Comment visualisez-vous la coopération future entre les juges nationaux et ceux de la Cour de justice ? Est-il encore possible de dialoguer ?

La règle veut que, dans un dialogue, il y ait deux parties et la Cour de justice est, par définition, bien disposée au dialogue. Mais en général, elle ne peut pas obliger quelqu’un qui ne veut pas participer à ce dialogue. Cependant, la réalité montre que, heureusement, pour le droit de l’Union et l’Union européenne elle-même, une écrasante majorité des juges nationaux veut continuer à prendre part à ce dialogue et à construire l’avenir. Je pense donc que, à mesure que le droit de l’Union s’étend à de nouveaux domaines ou approfondit des domaines déjà existants, le dialogue va s’approfondir et c’est ce que j’attends et qui me rend heureux, surtout pour l’édifice de l’Union européenne dans son ensemble.

Quel est le rôle d’un avocat général dans le rétablissement de ce dialogue ?

Il faut un peu généraliser quant au rôle des membres de la Cour, qu’il s’agisse des juges ou des avocats généraux. Les juges de la Cour et les avocats généraux veulent vraiment aider le juge national dans la recherche d’une solution à ses propres affaires et lui apporter l’aide demandée. C’est ce dialogue qu’il convient de faire fructifier, en cherchant le vrai besoin du juge national.

Vous êtes réputé pour votre goût pour le travail. Y-a-t-il une activité qui vous détend particulièrement et vous permet de recharger les batteries ?

Je pense que la meilleure « batterie rechargeable » est constituée par le devoir et le travail. Cela dit, comme presque tout le monde, j’ai aussi des loisirs pendant mon temps libre. L’un d’entre eux est un peu banal et consiste à aller voir des matchs de football et de basketball pour soutenir mon équipe favorite. Par ailleurs, comme vous pouvez le voir dans mon bureau à la Cour, m’occuper de mes collections de minéraux et de timbres postes que je garde et continue d’enrichir depuis mon enfance constitue une vraie source de détente pour moi.

Merci à Monsieur Rantos d’avoir accepté avec enthousiasme et générosité cette interview.

Nóra Cseke: docteure en droit de l’Université de Strasbourg et d’Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, juriste à la Cour de justice de l’Union européenne. Membre de l’équipe de blog droit européen depuis septembre 2021.

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