Source de l’image: © Union européenne
L’Union européenne joue un rôle de plus en plus important dans la vie des citoyens européens. Les crises bancaires (2008), migratoires (2015), sanitaires avec l’épidémie de la COVID-19 (2020) ou sécuritaires depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie (2022) n’ont fait que renforcer les pouvoirs de l’UE ces dix dernières années. On n’aurait pas pu imaginer, il y a encore peu, que l’UE renforcerait ses compétences en termes de supervision des marchés financiers ou de financement militaire. Cette consolidation de l’UE pose, aujourd’hui plus que jamais, la question de savoir comment assurer une responsabilité de la puissance publique – à qui l’administration européenne rend-elle des comptes ? Comment renforcer la légitimité de l’administration aux yeux des citoyens ?
On a pu constater, ces dernières années, les importants progrès réalisés par l’administration européenne en termes de transparence, l’un des piliers de la bonne administration. La Commission européenne, par exemple, a négocié des contrats pour le développement, l’achat et la distribution des vaccins COVID-19 en publiant régulièrement des documents et informations à ce sujet. Le Conseil de l’UE publie dorénavant de manière proactive les rapports sur l’état d’avancement des négociations concernant les projets de loi. Il y a eu également des améliorations de la part de la Commission européenne ou de la Banque européenne d’investissement dans la gestion des fonctionnaires qui quittent la fonction publique européenne pour aller travailler dans le secteur privé, pratique connue sous le nom de « pantouflage ».
Ces développements dans le renforcement d’une bonne administration de l’UE ont un héraut commun : le Médiateur européen.
Dans cette contribution de blog, les auteurs (qui travaillent tous deux pour le bureau du Médiateur européen) ont choisi de présenter comment le Médiateur s’efforce de garantir l’excellence de l’administration de l’UE au profit des citoyens européens.
Le Médiateur européen, qu’est-ce que c’est ?
Le Médiateur européen est un organe indépendant et impartial qui peut demander des comptes à l’administration de l’UE. Sa tâche principale est d’aider les citoyens qui se plaignent contre l’administration européenne. Le Médiateur reçoit environ 2000 plaintes par an.
Le Médiateur est élu par le Parlement européen pour un mandat de cinq ans. Depuis 2013, c’est Emily O’Reilly, ancienne Médiatrice d’Irlande, qui est à la tête de cet organe. Elle est assistée par une équipe d’environ 80 personnes, chargées de mener des enquêtes, de fournir des conseils et de communiquer avec le public.
Emily O’Reilly constate depuis son arrivée la très bonne conduite administrative générale des institutions, organes et agences de l’UE. Elle considère que sa mission est de faire en sorte que cette « bonne » administration le reste (en anglais : « to help to keep the good guys good »).
Le Médiateur joue donc un rôle clef tant dans le rapprochement des citoyens européens à l’UE, que dans leur confiance dans les institutions européennes.
Domaine de compétence
La mission centrale du Médiateur est définie à l’article 228 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’article 43 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ainsi que le Statut du Médiateur européen. Le rôle du Médiateur est de promouvoir la bonne administration de l’UE et d’offrir aux citoyens un moyen de recours simple, rapide et peu coûteux en cas de problèmes avec les institutions, organes et agences de l’Union.
Il n’existe pas de définition de ce qu’est la « bonne administration » : quelques indices existent dans le TFUE, l’article 41 de la Charte et le Code européen de bonne conduite administrative. La notion englobe à la fois le respect par l’administration de la légalité mais également, au-delà de la légalité, le fait d’agir conformément à une règle ou à un principe qui la lie. Ainsi, le Médiateur peut constater une mauvaise administration lorsque, par exemple, l’administration ne répond pas à des messages de citoyens, est en retard dans sa prise de décision, n’agit pas de manière transparente ou abuse de son pouvoir.
Le Médiateur s’efforce ainsi de renforcer la protection des droits des citoyens via un mécanisme non-contentieux de justice administrative. La mission du Médiateur lui donne l’opportunité de rapprocher les citoyens de la structure supranationale complexe de l’UE.
Cette mission est essentielle : une bonne administration, c’est aussi un climat de confiance des citoyens envers l’Union. Or, cette confiance peut très facilement s’éroder si les citoyens ont l’impression que les institutions ne travaillent pas dans l’intérêt public. C’est la raison pour laquelle le Médiateur met l’accent sur la bonne application des règles d’éthique et de responsabilité. Il réagit rapidement lorsque des questions soulèvent clairement l’inquiétude du public. Par exemple, à la suite d’allégations récentes selon lesquelles des gouvernements étrangers auraient tenté d’acheter de l’influence au sein du Parlement européen (connu sous le nom de « Qatargate »), le Médiateur a écrit à sa Présidente, Roberta Metsola, pour lui suggérer des moyens de renforcer les réformes éthiques qu’il avait proposées.
Améliorer la protection des citoyens : Plaintes et enquêtes
Le Médiateur est principalement mandaté pour recevoir et enquêter sur des plaintes de citoyens et résidents de l’UE concernant des cas de mauvaise administration. Le bureau du Médiateur a reçu 2 166 plaintes en 2021, dont 729 relevant de son mandat, et a enquêté sur 338 d’entre elles.
Pour donner un exemple, en avril 2022, le Médiateur a clôturé une enquête relative à la Banque européenne d’investissement (BEI) et la transparence des informations environnementales relatives aux projets qu’elle finance, tant directement qu’indirectement. Grâce à cette enquête, la BEI a mis à jour ses règles internes en matière de transparence afin d’améliorer la façon dont les citoyens sont informés de l’impact environnemental des projets financés par la BEI.
Le Médiateur ne peut connaitre que des actions émanant des institutions, organes et organismes de l’UE, à l’exception de la Cour de justice dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles.
Lorsqu’une plainte est reçue, le bureau du Médiateur évalue d’abord si la plainte entre dans le cadre de son mandat et si elle est recevable. Une plainte n’est pas recevable – entre autres – si le plaignant n’a pas d’abord essayé de résoudre la question directement avec l’institution de l’UE concernée avant de se plaindre au Médiateur, ou si les faits à l’origine de la plainte datent de plus de deux ans. Si le Médiateur estime qu’il y a des motifs suffisants, il ouvre une enquête.
Le Médiateur dispose d’un large éventail de pouvoirs pour enquêter sur les plaintes, y compris le pouvoir de réclamer des informations à l’administration, d’examiner tout document d’une institution et de convoquer des fonctionnaires pour témoigner.
Les enquêtes du Médiateur peuvent mener à des recommandations pour améliorer le fonctionnement des institutions et organes de l’UE et résoudre la plainte. Ces recommandations ne produisent pas d’effets juridiques contraignants, mais les institutions et organes de l’UE ont l’obligation légale de coopérer avec le Médiateur et de répondre à ses recommandations. Si une institution décide de ne pas donner de réponse positive à une recommandation, le Médiateur peut faire un rapport spécial au Parlement européen et le souligner dans son rapport annuel. Cependant, ses conclusions sont généralement acceptées et mises en œuvre par l’autorité concernée. En 2021, les institutions de l’UE ont coopéré de manière satisfaisante avec le Médiateur dans 79 % des cas.
Le Médiateur a également le pouvoir de mener des enquêtes de sa propre initiative afin d’identifier et de traiter des problèmes systémiques au sein des institutions de l’UE.
Ce pouvoir a notamment permis d’attirer l’attention sur l’importance d’une mise en œuvre rigoureuse des règles relatives aux « pantouflages » afin de maintenir l’intégrité de l’administration de l’UE. Les enquêtes ont porté, entre autres, sur la Commission européenne, l’Agence européenne de défense, l’Autorité bancaire européenne, la Banque européenne d’investissement, ou encore la Banque centrale européenne.
Une enquête d’initiative récemment clôturée concernait la manière dont l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) se conforme à ses obligations en matières de droits fondamentaux et garantit l’obligation de rendre des comptes. Le Médiateur a notamment encouragé Frontex à faire preuve de transparence en ce qui concerne les plans opérationnels et l’analyse des droits fondamentaux dans le cadre des opérations organisées aux frontières.
Diagramme sur le cycle de vie d’une plainte (disponible à l’adresse : https://www.ombudsman.europa.eu/fr/make-a-complaint)

Renforcer l’ouverture et le contrôle démocratique
La transparence est un enjeu clé pour le Médiateur européen. Une de ses enquêtes les plus importantes de ces dernières années concernait la transparence législative au Conseil. Cette enquête portait sur le droit fondamental des citoyens à participer à la vie démocratique de l’Union européenne. Pour exercer ce droit, ils doivent avant tout pouvoir accéder aux décisions qui sont prises au niveau de l’Union et à la manière dont elles sont prises. Or, lorsqu’un projet de loi est négocié au Conseil de l’UE, dans l’un de ses 150 groupes de travail, il disparait essentiellement de la vue du public et les positions prises par les gouvernements nationaux ne sont pas enregistrées. À la suite de l’enquête du Médiateur en 2018, le Conseil a finalement pris des mesures qui rendent le processus législatif de l’UE plus accessible au public, en publiant notamment de manière proactive des rapports sur l’état d’avancement des négociations concernant les projets de loi. Les positions individuelles des gouvernements nationaux restent, quant à elles, toujours très difficiles à obtenir. Le Médiateur continue de suivre l’affaire de près.
La mission du Médiateur inclut également la promotion de la bonne administration et de la transparence au sein des institutions et organes de l’UE.
Le Médiateur peut leur fournir des conseils sur la manière d’améliorer leurs pratiques et procédures. Par exemple, il a lancé un nouveau guide sur le droit d’accès du public aux documents de l’UE en janvier 2023. Le Médiateur publie également un rapport annuel qui donne une vue d’ensemble du travail du Médiateur et des principales questions qui ont été identifiées au cours des enquêtes.
Le Médiateur facilite également la coopération entre les institutions et organes de l’UE et les médiateurs nationaux et autres organes nationaux ayant des fonctions similaires. Le Médiateur européen peut se baser sur le Réseau européen des Médiateurs, lancé en 1996, qui est un réseau informel permettant à ses homologues nationaux, régionaux et locaux d’échanger des informations sur le droit et la politique de l’Union, et de partager des bonnes pratiques.
Le Médiateur traite les plaintes qui lui sont adressées par les citoyens de l’UE, qui constituent la grande majorité de son travail, mais utilise également son pouvoir d’enquête stratégique pour intervenir sur des questions qui préoccupent le public, ou sur des problèmes plus systémiques. Tel a été le cas, par exemple, pour les retards pris par la Commission européenne pour traiter les demandes d’accès public aux documents qui lui sont adressées. Les suites du scandale du « Qatargate » ont également fait l’objet d’une attention particulière du Médiateur européen, en particulier sur le Parlement européen ainsi que la Commission européenne.
Le Médiateur fournit ainsi un filet de sécurité, discret mais efficace, pour les personnes affectées par un cas de mauvaise administration de l’UE tout en leur donnant une voix à l’échelle européenne. Mais il fait également partie du contrat implicite qui existe dans notre État de droit entre les gouvernants et les gouvernés, un contrat fondé sur la confiance, sur la légitimité, sur l’acceptation par les citoyens d’être soumis à une administration à condition qu’elle respecte la loi, et leur rende des comptes.
En savoir plus:

Nicholas Hernanz est chargé d’enquêtes à la Direction des enquêtes du Médiateur européen

Emma Bougault est stagiaire enquêtrice à la Direction des enquêtes du Médiateur européen