Nicolas bremand

L’a-territorialité du droit à l’ère numérique, compte rendu de la conférence du CE, part. 1, par Nicolas Bremand

Dans le cadre d’un cycle de conférences, le Conseil d’État se propose de mesurer l’impact de la globalisation juridique sur les nouveaux usages de droit comparé et sur les questions touchant à la territorialité du droit afin de déterminer comment ces usages sont inséparables de ces questions.

Le Conseil d’État a organisé le 28 septembre 2016 de 17h30 à 19h30 au Conseil d’État, sa dixième conférence du cycle sur le droit comparé et la territorialité. Elle a eu pour thème l’a-territorialité du droit à l’ère numérique.

Hasard du calendrier, cette conférence a eu lieu le jour où la loi pour la République numérique a été adoptée définitivement par le Sénat. À l’inverse, ce n’est pas un hasard si elle intervient peu de temps après l’adoption du règlement relatif à la protection des données à caractère personnel et l’accord Privacy Shield UE/USA. Ces préoccupations reposent sur un droit fondamental au respect à la vie privée et une liberté de circulation des données. Ces textes sont indispensables à la réglementation du marché unique numérique.

Cette conférence était présidée par Jean Massot (président de section au Conseil d’état) et animée par trois intervenants.

Monsieur Antoine Garapon (inspecteur général adjoint des services judiciaires) : Le blockchain est une révolution dont l’Etat a peur

Le droit est en retard sur le numérique et il s’agit d’une course-poursuite. Il l’a été pour les ordinateurs et l’internet. Le droit essaye de combler ce retard. Mais une nouvelle technologie apparaît : le blockchain. L’État français souhaite anticiper et accompagner cette technologie.

Qu’est-ce que le blockchain ?

C’est une technique de stockage et de transmission de l’information, transparente, sécurisée, ne nécessitant aucun organe de contrôle et qui est infalsifiable. C’est un système qui assure des transactions sans tiers de confiance et avec un niveau de fiabilité que ne peut offrir aucune institution humaine. « Cette technologie non mature qui va avoir une activité sensible dans 18 à 24 mois », change fondamentalement notre vision du contrat.

L’adhésion non impérative au blockchain se concrétise de deux manières, par une clé publique (une formule cryptologique ouverte) et par une clé privée, qui permet d’actionner et de rentrer dans l’action contractuelle depuis son adresse.

Pour exemple, on peut citer l’Estonie qui a développé le blockchain pour les votes en assemblée des entreprises sous le contrôle de l’État et du Nasdaq, mais également pour l’état civil et le premier mariage estonien par un blockchain.

Quelques points novateurs ?

Le blockchain va permettre une étape majeure entre le droit et la technologie. Il s’agit de « faire passer la gestion des contrats à des organisations autonomes totalement numériques ». Les codes sont en Open source et vérifiables pour les clés publiques. Il y a toutefois une partie en clé privée non accessible. La transaction est validée quand 51 % de la capacité de calcul des ordinateurs ont ratifié une transaction. Celles-ci sont validées toutes les 10 minutes, tout en gardant la mémoire des transactions antérieures. Cette désintermédiation plus poussée est organisée dans des lieux totalement autonomes qui n’ont plus l’emprise de la plate-forme, des lieux sans territoire.

« Le tiers de confiance n’est plus l’État, mais le système lui-même ». De plus, il apparaît une forme de fusion entre la formulation du contrat et son exécution. C’est la même formule mathématique qui va formuler et exécuter, sans laisser la possibilité d’un recours. La confiance est ainsi directement encodée dans une formule mathématique.

« Il y a une sorte de radicalité de la technique », qui va rapprocher la réalité de la relation contractuelle avec l’abstraction d’une formule mathématique. Elle pose de nombreux défit juridiques. Premièrement, « la souveraineté est bouleversée » par l’absence de l’État dans le processus blockchain. Il apparaît un appauvrissement économique par une disparition de la base fiscale et donc de recette fiscale pour l’État. Deuxièmement, les organisations autonomes ne seront-elles pas contre l’État ou avec de mauvaises intentions ? Dans cette période électorale aux USA ce point fait débat. Il existe donc une différence entre la technique et la vie politique réelle et concrète. Enfin, les notions du droit privé sont bouleversées comme celle du contrat, car même s’il est exécutable la fusion de la formulation et de l’exécution pose question. Ce rapprochement entre l‘action du droit romain et celle de la blockchain concrétise la formule romaine où le droit et l’exécution étaient censés se réaliser en même temps. L’ordonnance du 28 avril 2016 qui a créé des minis bons liés à la technologie de la blockchain, les nomme de titre, sans savoir comment réellement les nommer. Le droit de propriété est conceptuellement bouleversé, car il n’y a plus de distinction entre l’objet de droit et la nomination par le droit (le code informatique est le droit et sa réalisation). Comment le blockchain peut-il être une preuve et ce type de contrat est-il opposable aux tiers ? Ces questions restent pour le moment sans réponse juridique.

Quelle stratégie pour le droit ?

« On va voir l’apparition de coutumes juridiques établie par la pratique de blockchain ».

Il existera 2 types de réalisation par la blockchain :

  • les contrats qui ont un point de connexion avec le monde réel par l’utilisation d’une monnaie étatique ou d’une réalité transactionnelle du sens commun (avec un tiers de confiance, …). Dans ce cas, l’État pourra agir.

  • Les contrats crypto sont inaccessibles à toutes régulations nationales. Le législateur pourrait seulement les interdire.

Ces pratiques nécessitent pour Monsieur Antoine Garapon des solutions juridiques. Il faudrait une législation favorable au développement du blockchain, à la condition, toutefois d’imposer l’État comme le dernier certificateur. L’État du Vermont aux USA a produit une étude anticipant l’intégration de la blockchain qui va dans ce sens.

Qu’est-ce que la justice prédictive ?

Elle est issue du Big Data. Celle-ci permet de « prédire avec un niveau élevé de réussite », mais pas certain la décision des juges avant même que le procès commence. C’est une autre révolution numérique.

Les parties face à une probabilité élevée de résultat seront incitées à préférer parfois une solution extrajudiciaire plus favorable aux deux parties. Les juges doivent également prendre davantage en compte ce qu’auraient probablement décidé leurs collègues. Avec cependant un risque très grand de conformisme chez les juges.

C’est un changement de la vie du droit. La justice prédictive va créer une inégalité entre les juristes qui maîtrisent cette technologie ayant accès à ces données et les autres. Les prédictions vont changer le rapport entre l’avocat et son client, en rééquilibrant les relations. Et permettre l’homogénéisation des décisions de justice en amenant « une convergence des décisions de justice non pas sur le fond, mais sur les taux d’indemnisation et peut-être même sur le quantum des peines ».

Toutefois pour l’instant, la justice prédictive est mal connue.

Monsieur Manuel Ponte Fernandez (magistrat au cabinet de la chambre du contentieux administratif du tribunal suprême espagnol) : Google Spain

Existe-t-il un droit à l’oubli numérique ?

En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a introduit par son arrêt Google Spain de mai 2014, un droit à l’oubli. Mais celui-ci est effectif par la territorialité du droit et du champ d’application matériel du droit sur le fondement de l’article 4 de la directive 95/46/CE. Ce droit à l’oubli prend la forme d’un droit à l’effacement du référencement, qui doit respecter la liberté d’expression. Sa portée est à nuancer car techniquement, il n’existe pas d’effacement total.

Quelle est la portée territoriale du droit à l’oubli ?

Depuis cet arrêt le droit de l’UE s’applique aux géants américains qui pensaient que seul leur droit s’y appliquait à la protection des données à caractère personnel. C’est une reconnaissance du droit à l’oubli. Le terme est contestable, il s’agit seulement d’un déréférencement sur le moteur de recherche Google par une recherche avec le nom et le prénom de la personne concernée et pas un réel effacement. Il ne s’agit pas de supprimer la donnée, mais de rendre sa recherche plus compliquée, très loin d’un oubli.

« Cette portée tendant vers l’extraterritorialité repose sur le principe de l’efficacité du droit afin d’atteindre le but de l’UE, ainsi qu’à l’appui du principe de proportionnalité (arrêt du 8 avril 2014 digital rights Ireland) ».

Toutefois, le droit à l’oubli n’a pas encore une vraie portée internationale. La Cour de justice de l’Union européenne va peut-être bientôt apporter des précisions sur ce point.

Deuxième partie de la conférence demain à 12H30.

Pour accéder au programme 2016 des colloques et conférences du Conseil d’État:

Programme 2016 des colloques et conférences du Conseil d’État

Pour retrouver les vidéos des précédentes conférences du cycle sur le droit comparé et la territorialité du droit:

Vidéos de la conférence : L’a-territorialité du droit à l’ère numérique

 

Par Nicolas BREMAND, Doctorant en droit, Université de Nantes.

Nicolas Bremand 
Nantes
Affaire
Université

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