Si la construction européenne est émaillée de nombreux psychodrames, celui lié aux péripéties en vue de l’approbation par le Conseil du CETA, nécessaire pour l’engagement de l’Union en attendant les processus de ratification au sein de l’Union et des Etats membres a donné lieu à une couverture médiatique et à des réactions inhabituelles. Le fait qu’il prenne naissance dans le refus d’une assemblée législative régionale, en l’occurrence le parlement wallon, et dans les incantations de la démocratie de son président n’est pas étranger à ces phénomènes.
Lancées en 2009, les négociations entre l’Union et Ottawa ont abouti en septembre 2014 à un accord qui à raison d’ajustements et d’une traduction dans les 23 langues était seulement prêt à la signature au printemps 2016. Nommé accord de nouvelle génération, ce texte a pour ambition moins de réduire les droits de douane que de démanteler les barrières non tarifaires en procédant à une convergence normative. Dès avril, le parlement de la Wallonie par un vote de défiance annonçait son intention de refuser de l’approuver, or pour permettre au Royaume de Belgique de se prononcer positivement, l’autorisation de toutes ses assemblées législatives régionales, communautaires et fédérale est exigée.
A la mi-octobre alors même que la date de la cérémonie de signature entre le président du Conseil européen et la premier ministre canadien était arrêtée le 27 du même mois, le parlement wallon réitérait son refus et son président, Paul Magnette s’emparait de l’idéal démocratique pour obtenir des modifications d’importance notamment dans deux dossiers, le mécanisme de règlement des différends et les échanges agricoles. Après des négociations « intrabelges », le parlement wallon obtenait largement satisfaction puisque la Belgique donnait son accord pour saisir la Cour de Justice afin qu’elle se prononce sur la compatibilité du mécanisme d’arbitrage.
Au cours de cet épisode automnal, les politiques et les médias n’ont rarement parlé autant de démocratie et de l’Union, peut-être qu’un des effets du Brexit est de s’intéresser enfin aux activités et au fonctionnement de l’Union…Si les convictions européennes de notre collègue Paul Magnette ne sont nullement en cause, sa manière de se servir de ce projet d’accord à des fins personnelles dans le cadre du système politique belge est surprenante, ce d’autant plus lorsqu’elle emprunte le canal du populisme. Se draper de la démocratie pour opposer les bons parlementaires wallons représentants des pauvres citoyens dépossédés à l’hydre européen n’est pas forcément servir la cause de l’Union, ce d’autant plus que ceux qui ont appuyé et relayé cette action, et entonné le grand chant démocratique ont été généralement les leaders des forces politiques anti européennes, dont des députés européens dont l’assiduité et l’activité au sein du Parlement européen sont des plus réduites…
La référence à la démocratie renvoie à une image surannée de l’Union selon laquelle celle-ci serait inexistante et alimente en permanence un procès en sorcellerie contre le système institutionnel communautaire. Or un connaisseur de ce dernier aussi affuté que Paul Magnette sait parfaitement que si le traité de Lisbonne associe les parlements nationaux à l’élaboration des actes de l’Union, il ne les a pas pour autant substituer au Parlement européen. En effet, la position adoptée par le parlement wallon le met à la fois en compétition avec le Parlement européen et le parlement fédéral belge. Sauf que par un étrange paradoxe le Parlement européen ne peut pas, à l’image des assemblées parlementaires toucher au contenu d’un accord international. La procédure d’avis conforme requise se traduit par la possibilité d’accepter ou de rejeter en bloc le texte de l’accord. C’est d’ailleurs conforme à la logique du droit international, avec cette autre étrangeté que si l’on suit la logique du législateur wallon, ce dernier aurait beaucoup plus de pouvoirs lorsqu’il s’agit d’un traité communautaire puisqu’il se reconnaît le droit d’en modifier le contenu contrairement à un traité non communautaire !
Par ailleurs que dire d’une procédure qui permet à une assemblée législative de se prononcer à la fois au stade de la signature et au stade de la ratification, puisqu’après le vote du Parlement de Strasbourg, si celui-ci est positif s’engagera le processus d’autorisation de ratification dans chaque Etat membre et donc l’obligation d’obtenir l’accord de trente-huit assemblées législatives (sans tenir compte des systèmes bicaméristes). Certes le Parlement européen est informé du déroulement des négociations et peut peser par des résolutions sur le contenu du futur traité, mais il ne se prononce qu’une seule fois par un vote unique. On en arrive alors à une aberration institutionnelle qui veut que le Parlement européen représentant tous les citoyens de l’Union ait moins de pouvoirs qu’une assemblée législative régionale correspondant à 3,6 millions d’habitants.
Le politique Paul Magnette, relayant des courants idéologiques rassemblant les extrêmes, a joué de la crainte provoquée par un traité conclu avec un Etat de l’Amérique du nord, perçu comme ultralibéral, partenaire privilégié de Washington et de son cheval de Troie, l’ALENA, et par un habile détournement a souligné que le CETA était une sorte de double du futur traité transatlantique en préparation. Au moment où ce dernier était mis –provisoirement-sur la touche, certains politiques ont réussi à persuader l’’opinion publique que le CETA et le TIPP étaient liés de manière indissociable, et donc le coup de semonce contre l’accord avec Ottawa devait être compris comme s’adressant également à Washington et à Bruxelles, les citoyens européens ne se laisseraient pas faire et empêcheraient aussi bien l’administration américaine que la Commission de les déposséder. En vérité, derrière le combat du parlement wallon, l’Union européenne a fait les frais « d’une histoire belge » avec tous ses ingrédients ordinaires : rivalités entre partis francophone et « néerlandophone », rivalités entre Wallons et Flamands, opposition entre gouvernements régionaux et gouvernement fédéral, lutte personnelle pour le pouvoir entre Paul Magnette et Charles Michel.
Une nouvelle fois selon une recette bien connue depuis des lustres, l’Europe a été instrumentalisée et a servi de prétexte à des luttes intestines, les politiques belges ne pouvaient pas laisser la vedette aux seuls britanniques, entre populistes la concurrence est rude !
Christian Mestre, Professeur à l’Université de Strasbourg et au Collège d’Europe de Bruges
Pour ceux qui se posent la question la référence dans ce post « l’obligation d’obtenir l’accord de trente-huit assemblées législatives » (6ème paragraphe) correspondant à l’accord des 28 parlements nationaux plus 10 assemblées législatives régionales (dont le parlement wallon).
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