Libres propos sur le déclenchement de la procédure de notification pour le Brexit, par Paul Daly

On pourrait croire que la remise la semaine dernière par un émissaire de la Première ministre britannique, Theresa May, en mains propres au Président du Conseil de l’Union européenne, Donald Tusk, d’une notification que le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne conformément aux termes de l’article 50 du Traité de Lisbonne était la suite inéluctable du résultat du référendum de juin 2016.

Mais la décision d’envoyer la notification n’était pas inévitable. Certes, le prédécesseur de la Première ministre, monsieur Cameron, avait prévu avant la campagne référendaire un recours immédiat à l’article 50 en cas de défaite. Cependant, rien dans la loi permettant le référendum ne contraignait le Premier ministre d’agir ainsi et, finalement, le lendemain du vote, monsieur Cameron a annoncé sa démission. Cependant, il a expressément laissé à son ou sa successeur(e) le choix d’invoquer l’article 50.

Retour sur la chronique annoncée du déclenchement de la notification

En revanche, les premiers pas de Theresa May laissaient entendre qu’elle prendrait le temps de bien sonder l’opinion publique et de formuler une approche commune avec les dirigeants gallois, écossais et nord-irlandais, la population de deux de ces dernières régions ayant exprimé par majorité lors du référendum leur préférence de rester dans l’Union européenne. Or, sous la pression de ses députés d’arrière-ban (très puissants dans un contexte où madame May ne jouit que d’une mince majorité dans la chambre des Communes) et des médias écrits (très puissants au Royaume-Uni) et dont les plus influents (le Sun, le Daily Telegraph et le Daily Mail) étaient favorables au départ sans tarder du Royaume-Uni de l’Union européenne, la Première ministre a annoncé dans un discours à la réunion annuelle de son Parti conservateur en octobre 2016 qu’elle enverrait la notification sous l’égide de l’article 50 au plus tard avant la fin de mars 2017. Depuis, elle a gardé le cap, surtout dans son discours de janvier 2017 à Lancaster House établissant les principes qui la guideraient dans ses négociations avec l’Union européenne. Elle n’a changé ni sa direction ni son ton, même quand la dirigeante écossaise, Nicola Sturgeon, a demandé que les Écossais aient le choix, avant que le Brexit ne soit accompli, entre le statu quo au sein du Royaume-Uni et l’indépendance : il n’y aura pas, insiste madame May, un vote écossais dans l’avenir proche. Rappelons qu’en 2014, une majorité d’Écossais avaient choisi le statu quo dans un référendum sur l’indépendance.  En dehors d’une révocation de la notification – plus plausible juridiquement que politiquement – ou une extension à la période de négociation de deux ans prévue par l’article 50, d’ici le 29 mars 2019, le Royaume-Uni quittera l’Union Européenne.

Et maintenant tout reste à faire

Les deux prochaines années s’annoncent houleuses pour le peuple britannique et périlleuses pour la Première ministre. Les objectifs énoncés dans la notification elle-même seront difficiles à atteindre.

La question sensible du  statut des citoyens européens

D’abord, le statut des citoyens européens au Royaume-Uni et de leurs homologues britanniques installés aux quatre coins de l’Europe sera une des premières questions à régler. Mais l’écart entre les interlocuteurs risque de s’avérer important : les Européens insisteront assurément, et sur des bases juridiques solides, que tous les citoyens européens (y compris leurs enfants) se trouvant au Royaume-Uni avant le 29 mars 2019 (la vraie date du Brexit) aient le droit d’y rester, avec un accès complet aux emplois, bénéfices sociaux et services sociaux. L’opinion publique britannique, alimentée par les médias, ne s’attend pas à ce que le Royaume-Uni doive patienter pendant deux ans avant de « reprendre le contrôle ». Pire encore, les européens peuvent légitimement demander un mécanisme juridique capable d’assurer que les droits des citoyens européens installés au Royaume-Uni avant le 29 mars 2019 soient respectés, ce qui risque de diminuer la souveraineté des tribunaux britanniques. Or, le rapatriement de la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne est souhaité depuis longtemps par les plus féroces partisans du Brexit.

La pernicieuse question « irlandaise »

Deuxièmement, la pernicieuse question « irlandaise » ne sera pas résolue sans difficultés. Après des décennies de violence, l’Accord du Vendredi saint avait enfin été conclu en 1998, mettant ainsi un terme à une guerre civile qui a couté la vie à quelques 3,500 personnes. Selon plusieurs, le fait que l’Irlande du Nord et la République d’Irlande faisaient partie de l’Union européenne avait simplifié la tache de négocier une paix solide et stable. Mais dans son discours à Lancaster House, la Première ministre a dit qu’elle entend quitter le marché unique et l’union douanière, ce qui rend hautement probable l’érection d’une barrière sur la frontière nord-sud afin de vérifier la conformité des produits avec les règles du marché unique et de s’assurer que les droits de douanes applicables ont été payés. Le seul moyen d’éviter ce sort, qui mettrait en péril les acquis de l’Accord du Vendredi saint et 30 ans de coopération entre des communautés jadis à couteaux tirés, serait de permettre à l’Irlande du Nord de rester dans l’Espace économique européen et ainsi dans le marché unique et peut-être l’union douanière, plaçant les barrières aux ports nord-irlandais plutôt que sur la frontière nord-sud. Cela dit, la possibilité d’un Brexit à vitesse variable provoquerait sans doute l’intérêt du gouvernement écossais, qui a déjà exprimé son désir d’établir une telle option innovatrice pour l’Écosse. Les négociateurs européens sauront que régler de cette façon la question irlandaise mettrait encore plus de pression sur les épaules de la Première ministre britannique et suivront peut-être la sagesse ancestrale – diviser pour régner.

La difficile écriture du futur accord de libre-échange

Troisièmement, la Première ministre veut accomplir en deux ans un accord de libre-échange. L’objectif même est farfelu. L’accord entre l’Union européenne et le Canada a pris, par exemple, plus d’une décennie afin d’être mené à terme. Certes, le Royaume-Uni et l’Union européenne jouissent actuellement d’une harmonie réglementaire parfaite. Mais les capacités réglementaires de l’état administratif britannique ne sont que minimes, sa classe politique et administrative ayant profité depuis les années 70 de l’expertise et des ressources réglementaires de l’Union européenne. Sans une capacité réglementaire grandement accrue, qui permettrait au Royaume-Uni de contrôler l’activité économique avec autant perspicacité que l’Union européenne, un vrai accord de libre-échange sera un rêve, parce que le risque de divergence réglementaire serait trop important. Un Brexit sans accord (le « Brexit dur ») n’étant nullement plausible, le dénouement de loin le plus probable est donc une longue période de « transition » pendant laquelle le Royaume-Uni rétablirait ses propres compétences administratives et réglementaires. Durant cette « transition » le Royaume-Uni ne sera plus membre de l’Union Européenne mais sera encore assujetti aux dires de cette dernière, sans la moindre influence sur le contenu des règles qui seront à appliquer. Vendre une telle période intérimaire au grand public britannique ainsi que les médias sera un défi de taille.

Voici les difficultés tout à fait prévisibles qui attendent Theresa May. Une autre Première ministre n’aurait peut-être pas eu recours aussi rapidement à l’article 50, qui donne un avantage net aux négociateurs européens. Mais la possibilité que le Royaume-Uni se prépare soigneusement pour l’énorme tache de défaire la toile réglementaire créée entre le pays de Shakespeare et ses voisins pendant quarante ans a été écartée par la Première ministre dans son discours fatidique d’octobre 2016. En invoquant l’article 50 avant de fixer des objectifs clairs et réalistes pour les négociations, elle a donné l’initiative à l’Union Européenne. Cela n’augure rien de bon, d’une perspective britannique, pour les deux prochaines années.

Paul Daly est Senior Lecturer in Public Law à la Faculté de droit à l’Université de Cambridge, où il est également le Derek Bowett Fellow à Queens’ College, et chercheur associé du Centre de recherche en droit public. D’origine irlandaise, il a commencé sa carrière académique au Canada, à l’Université d’Ottawa, et a ensuite été membre de la Faculté de droit à l’Université de Montréal. Il est l’auteur du blog Administrative Law Matters: www.administrativelawmatters.com

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