3 conseils pour les doctorants ou futurs doctorants en droit par Olivia Tambou

Les interviews de chercheurs menés depuis plus d’un an et demi pour blogdroiteuropéen attestent de la diversité des parcours et des raisons qui ont poussé chacune des personnes interrogées à faire une thèse. Le point de départ est souvent la rencontre avec un professeur et l’intérêt pour une matière. Pourtant au delà de ces pré-requis, s’engager dans une thèse nécessite d’être lucide sur les attentes du monde académique,  de travailler sa thèse en mode projet et de trouver sa méthode.

Conseil n°1: être lucide 

Pour cela, chacun devrait se poser quatre questions essentielles avant de commencer une thèse en droit, cela lui évitera notamment des déconvenues et d’être mal à l’aise pour rendre compte de son activité à son entourage.

Qu’est-ce qu’une recherche académique en droit ? 

La recherche vise globalement à faire avancer la connaissance. Il est néanmoins difficile de se contenter de définir la recherche en droit comme une recherche portant sur le Droit. Une telle définition ne fait que repousser la question à celle de la définition de ce qu’est le Droit. Il est d’usage d’expliquer à des premières années que le Droit est un ensemble structuré de normes juridiques ayant force obligatoire dans une société donnée, à une époque donnée. Faire une recherche en droit pourrait ainsi se comprendre comme analyser ces normes. Mais comment alors faire la distinction avec d’autres matières, telles que la science politique, voire la sociologie qui peuvent aussi avoir pour objet l’étude de ces normes juridiques. La juridicité d’une norme fait l’objet de nombreux débats dans la doctrine qui montre bien qu’au final le concept de Droit n’est pas aisé à définir.

Pour contourner cette difficulté Frédéric Rouvière propose une définition de la recherche juridique non pas selon une approche matérielle, mais par la finalité et les méthodes. Selon lui, la recherche juridique vise à établir des modèles théoriques d’explication, à chercher, analyser, la cohérence de la règle de justice au sens de Rawls, pour traiter de façon similaire des situations identiques. De son côté François Ost suggère d’utiliser la théorie des paradigmes comme cadre de la recherche juridique. « Dans chaque cas, il s’agira :

  1. d’identifier le système dominant d’idées dans un domaine (définir les contours du paradigme) ;
  2. de repérer les éventuelles « anomalies » qui pourraient montrer les  limites du caractère explicatif du paradigme, voire l’infirmer ;
  3. d’identifier les éventuelles réactions de la doctrine (des juges, des législateurs ….)  face à ses anomalies et, les évaluer ;
  4. de prendre position sur l’aptitude du paradigme à résister à cette mise en question ou sur la nécessité de lui substituer un cadre théorique plus englobant ou plus explicatif.« 

D’une manière plus pragmatique, la recherche en droit peut aussi se définir à partir de ses différentes étapes clefs. Il s’agit de choisir un sujet, de collecter de la documentation, d’établir une problématique, de rédiger et ensuite de valoriser ses résultats.

Cela dit, ces étapes ne se déroulent pas de façon linéaire. Choisir et délimiter son sujet de recherche impliquera nécessairement de collecter de la documentation, de la lire, de l’analyser et d’écrire. Un sujet de thèse évolue nécessairement en cours d’élaboration. Établir sa problématique, rédiger impliquera également de relire de la documentation. A chaque étape, il sera nécessaire de maintenir une veille pour être au courant de l’adoption de nouvelles normes, ou de décision de justice, de la parution de nouveaux articles ou ouvrages de doctrine, de la sortie de nouveaux rapports. Mener une recherche académique constitue donc un processus dynamique de recherche. Cela comporte une part nécessaire de découverte, de surprise, d’aléas. Il faut faire confiance aux hasards. 

Enfin, la recherche académique en droit peut prendre plusieurs formes : présentation orale à un colloque ou dans un séminaire, un article, mémoire de recherche de fin d’études, thèse, ouvrage.

Il faut alors être lucide sur ce qu’est une thèse en droit par rapport à ces autres formes de recherches en droit.

Qu’est-ce qu’une thèse en droit ?

La thèse en droit peut se définir de plusieurs manières. Il s’agit tout d’abord d’une étape indispensable pour une formation académique. Il peut aussi tout simplement s’agir de la valorisation d’une expertise dans un domaine spécifique. On parle alors de thèse praticienne ou professionnelle. Dans tous les cas, il doit s’agir d’une oeuvre originale. A la différence du mémoire qui vise souvent à évaluer la capacité de synthèse d’un étudiant, la thèse vise à montrer non seulement la capacité d’analyse de son auteur mais aussi son aptitude créatrice.  Une thèse c’est d’abord avoir un point de vue, une approche novatrice sur une question. Ensuite, contrairement à l’idée reçue une thèse est avant tout une oeuvre de jeunesse et pas l’oeuvre de toute une vie. Elle marque le point de départ de la vie du chercheur et n’est pas que l’aboutissement de sa recherche à un moment donné. Enfin, une thèse est un document formellement formaté. La plupart des écoles doctorales fournissent en principe les caractéristiques formelles que doivent remplir une thèse (nombre de pages, rubriques, mode de citation, etc.) Il faut donc dès le départ être bien conscient de ces pré-requis.

Qu’est-ce qu’un chercheur en droit ?

L’image classique du chercheur n’est pas celui du chercheur en droit, mais celui du chercheur en Sciences qui trouve une nouvelle planète, un vaccin pour guérir une maladie, ou d’un ingénieur qui invente un prototype. Un chercheur en droit est davantage une personne qui cherche à comprendre les questions que celui qui connaît les réponses. Sans doute parce qu’en droit plusieurs réponses peuvent être apportées pour résoudre une même question. L’utilité de la recherche en droit est d’offrir notamment aux politiques différentes clefs pour répondre à certaines difficultés, voire parfois de mettre en avant l’existence d’enjeux juridiques négligés, de prendre de la hauteur en comparant les systèmes dans le temps et l’espace, en soulignant les incohérences, les idées reçues. Les qualités d’un bon chercheur en droit sont alors tout autant la curiosité, la rigueur, la persévérance que l’ouverture, la patience et l’humilité.

Qu’est-ce que le milieu universitaire … en France ?

S’engager dans un travail de thèse nécessite d’être lucide sur le milieu universitaire. Cela signifie non seulement connaître les codes de l’Université, mais aussi de la communauté universitaire au delà de sa spécialité. Une telle connaissance peut s’acquérir auprès de son directeur de thèse, en acceptant des enseignements universitaires diversifiés, en discutant avec d’autres doctorants notamment au sein des écoles doctorales. Plus globalement, chaque doctorant envisageant d’embrasser la carrière académique devrait avoir connaissance du Conseil National des Universités (CNU), instance chargée de l’évaluation de la recherche.  La lecture des recommandations du CNU est très instructive pour comprendre les pré-requis pour être qualifiés, passage obligé pour entrer ensuite à l’Université française.

Conseil n°2: Aborder la thèse en mode projet

La thèse est projet de longue haleine puisqu’en moyenne un doctorant met 4 à 6 ans pour la rédiger. Il est alors important d’aborder la thèse en mode projet c’est-à-dire de découper, décomposer son projet de thèse en plusieurs tâches, d’évaluer les ressources dont on va avoir besoin (voyage d’études, formation à certains outils etc.) Il est aussi important de se fixer des objectifs intermédiaires clairs, précis, réalisables.

Comme tout projet une thèse nécessite:

  • une phase de cadrage
  • une phase de préparation
  • une phase d’exécution et de suivi

Pour cela, il faut utiliser les outils permettant une planification annuelle, mensuelle, hebdomadaire, quotidienne (agendas de tous genre, les to-do-list, les outils de rétroplanning).  Il faut savoir gérer son temps et ses priorités tout en se ménageant des pauses, se fixer des vacances pour se ressourcer. La thèse peut être envisagée comme une sorte de marathon nécessitant un entraînement quotidien auquel on se prépare avec des phases de récupération pour ne pas s’épuiser moralement et physiquement. Dans sa planification, il faut veiller à ne pas tomber dans une dépendance au travail, toujours se fixer un créneau horaire pour chaque tâche et se garder des plages vides. Varier les tâches est également important. Il est parfois nécessaire de laisser reposer sa réflexion en faisant autre chose pour retrouver une forme d’inspiration. Il faut surtout ne pas faire que la thèse.
Il est possible de se fixer un objectif annuel valorisant en concertation avec son directeur de thèse. Il faut aussi dès la première année se créer une habitude d’écriture, même si ce n’est que pour soi-même. Ecrire permet en effet de fixer sa pensée, sa réflexion. (cf. les judicieux conseils de Geneviève Belleville à ce propos)

Il est aussi important de profiter de ces années thèses pour commencer à créer son réseau professionnel au-delà de sa propre université en utilisant tous les outils mis aujourd’hui à votre disposition: les réseaux sociaux (notamment twitter, LinkedIn), mais aussi les écoles doctorales, les colloques, les ateliers doctoraux, etc.) Enfin, il faut avoir conscience que ces années thèses sont des années d’apprentissages. Elles doivent être nourries par le plaisir d’apprendre de nouvelles choses qui serviront durant votre carrière ultérieure.

Conseil n°3: Trouver sa méthode

La thèse est également un travail d’introspection intérieure, devant amener le chercheur à trouver la méthode qui lui convient le mieux à partir de la connaissance de son fonctionnement propre tel que son rythme chrono-biologique (pour savoir quand travailler pour quel type de tâche), sa capacité à mémoriser (plutôt visuelle ou pas), sa manière d’envisager la vie (nature optimiste ou pessimiste) etc. Il faut aussi ne pas hésiter à demander de l’aide extérieure, en se formant, en expérimentant les choses et en les adaptant au fur et à mesure. Une méthode de recherche évolue en fonction de sa progression personnelle, mais aussi avec l’émergence de nouveaux outils mis à disposition pour faciliter la recherche juridique.

Mais la question des outils fera l’objet de posts ultérieurs. En commençant par Romain Place, doctorant de Strasbourg qui évoque Zotero ICI.

Ce post a été inspiré par ma participation à l’école doctorale d’été de l’Université de Strasbourg sur la mémoire saisie par le droit, dans un atelier intitulé « Trucs et astuces relatifs à la recherche juridique et à la rédaction d’une thèse en droit », le 30 août 2017. Je remercie les organisateurs Bénédicte Girard et Patrice Hilt d’avoir accepté le principe d’une publication sur blogdroiteuropeen.

Pour aller plus loin  quelques lectures :  

D’autres sources évoquant de façon détendue et parfois humoristique le quotidien des doctorants 

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