Souveraineté et relations extérieures dans le discours de la Sorbonne, par Nicolas Ligneul

Prononcé le 26 septembre 2017 par le Président Macron, le discours de la Sorbonne consacre la « souveraineté réelle » de l’UE définie comme la « capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos institutions ».

Pour les relations extérieures de l’Union, cela consacre un double paradoxe.

Les relations extérieures intéressent les relations internationales de l’Union européenne. Or, la définition et le rôle de la souveraineté sont deux questions essentielles et classiques du droit international public. Déjà, en 1576, Bodin définissait la souveraineté comme « la puissance absolue et perpétuelle d’une République ». Cette définition a, notamment, inspiré Grotius, Hobbes, Locke, Rousseau, Carré de Malberg ou Kelsen. Jellinek l’a traduite en droit international comme l’expression du principe « Kompetenz-Kompetenz ». La souveraineté est alors devenue le fondement du droit international public. Scelle ou de Visscher ont ensuite contesté cette référence à la souveraineté en droit international. Depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies, le droit international public se fonde sur l’égalité souveraine entre les Etats (cf. article 2. 1 de la Charte). Toutefois, ainsi que le relevait par exemple Paul Tavernier en 2001, la souveraineté est une « notion dévaluée » du droit international public. Fonder l’action extérieure de l’UE sur une « souveraineté réelle », est paradoxal puisque cette souveraineté est aujourd’hui « dévaluée ».

Les relations externes de l’UE sont le siège d’une évolution. La politique du commerce du traité CEE est devenue la politique de relations extérieures du TFUE. Les relations extérieures intègrent désormais le commerce, l’investissement, la politique de développement et l’aide humanitaire. Pourtant, le droit des relations extérieures ne fait toujours pas référence à la souveraineté, mais seulement aux compétences dévolues à l’UE. Même la constitution pour l’Europe de 2004 qui n’est jamais entrée en vigueur, s’y était refusée, en ne faisant aucune référence à la souveraineté de l’UE. Dans le contexte de crise de l’Union européenne, fonder les relations extérieures de l’Union européenne sur un concept de « souveraineté réelle » paraît donc paradoxal.

Ce double paradoxe n’est pourtant qu’apparent. L’idée défendue par le discours de la Sorbonne serait de définir un ensemble de compétences élargies, rationnelles et structurées. En lisant le discours de la Sorbonne, le juriste pourrait rêver à un renouveau de Jean Bodin.

Pourtant le discours décevra les « faiseurs de système ». Ils chercheront vainement une nouvelle conception de la souveraineté. En réalité, la nouveauté, dans les relations extérieures de l’UE tient à un double choix. Un choix géographique : la politique extérieure de l’Union est désormais tournée vers la Méditerranée et l’Afrique (I) et un choix méthodologique : les relations extérieures se fondent principalement sur l’aide au développement (II).

1. Le choix géographique : la politique extérieure de l’Union européenne est désormais tournée vers la Méditerranée et l’Afrique

Pour justifier du choix de l’orientation des relations extérieures vers la Méditerranée et l’Afrique, le discours de la Sorbonne fait état de considérations politiques. Il faut défendre les frontières et développer des relations avec les « partenaires de demain » avec lesquels il faut nouer un « partenariat stratégique » afin de défendre « l’emploi, la jeunesse, la mobilité, la lutte contre le changement climatique, les révolutions technologiques ».

La perspective se comprend pour défendre la sécurité et gérer les flux migratoires. Elle est classique pour la diplomatie française. Elle l’est moins du point de vue de l’UE. D’autres Etats membres de l’UE risquent en effet de considérer qu’une ouverture vers une autre région du monde serait plus adaptée. Les instruments classiques de la politique extérieure de l’UE (politique de voisinage, accords d’association ou de partenariats économiques…) semblaient pourtant plus soucieux de ménager la souveraineté des Etats plus éloignés des préoccupations de la Méditerranée et de l’Afrique. La nouvelle priorité des relations extérieures de l’UE risque d’être difficile à faire admettre à des Etats moins impliqués en Afrique et dans la Méditerranée. Par exemple, les Etats baltes ou la Pologne pourraient ne pas être séduits par cette réorientation des relations externes de l’UE. Ce n’est pas un facteur d’unité de l’Europe.

2. Le choix méthodologique : la politique extérieure de l’Union européenne est désormais fondée sur l’aide au développement

Le discours ne consacre qu’une petite place aux relations commerciales. Pourtant les relations euro-méditerranéennes sont le théâtre de nombreuses négociations régionales commerciales. Par exemple, l’accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l’UE, dont la négociation est encore bloquée par les considérations de liberté de circulation des personnes a consacré des négociations relatives au commerce, à l’investissement, et au développement durable ou au commerce électronique. De même, la négociation d’accords de partenariats économiques avec des Etats d’Afrique centrale n’a abouti que partiellement, puisque seul le Cameroun a adopté un accord intérimaire en 2014. Ces négociations commerciales pourraient pourtant permettre de développer « l’emploi, la jeunesse et la mobilité ».

L’avenir des relations extérieures de l’Union est, selon le discours de la Sorbonne, celui de l’aide au développement qui doit être financé par une taxe sur les transactions financières européennes. Le financement serait novateur. En revanche, le retour à une politique extérieure fondée principalement sur l’aide au développement ne le serait pas. Les nouvelles générations d’accords, en particulier les accords de commerce, les accords de partenariat économique ou les accords de libre-échange complets et approfondis, constituent un apport significatif des relations extérieures de l’UE. C’est justement parce qu’elles ne se fondent pas exclusivement sur la politique de développement qu’elles ne sont pas perçues comme un instrument du néo-colonialisme.

L’avenir des relations externes de l’UE ne peut être que celui du régionalisme. Définir une « souveraineté réelle » pourrait constituer une occasion de repenser les fondements de la politique extérieure de l’UE en se fondant sur les valeurs des relations extérieures. L’intérêt du discours de la Sorbonne réside donc dans la question qu’il pose. Malheureusement, malgré l’ambitieuse référence à la souveraineté, il ne permet pas d’envisager une définition des choix des partenaires commerciaux, ni, surtout, des valeurs à promouvoir dans les relations extérieures de l’UE.

Nicolas Ligneul, Maître de Conférences HDR en droit public à la Faculté de Droit de l’UPEC, Assesseur du Doyen en charge des relations extérieures

(Re) lire l’ensemble des contributions de notre rubrique Anniversaires sur la souveraineté européenne

Re (lire) les autres contributions de Nicolas Ligneul dans blogdroiteuropéen

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