Pendant la campagne des élections présidentielles, le Président MACRON avait très ambitieusement défendu l’idée d’une souveraineté européenne afin de promouvoir une « Europe qui protège de la mondialisation ». Le Président français promit de convaincre ses homologues européens sur la nécessité d’instaurer : « un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe pour préserver nos intérêts et secteurs stratégiques, à l’instar de ce que font les États-Unis ou la Chine ou de ce qui existe en France ». D’abord réticente à l’idée de mettre en place un mécanisme européen de filtrage des investissements directs étrangers (MIED), la Commission a finalement rédigé une proposition de règlement en ce sens le 13 septembre 2017.
Il y aurait ici le projet de concevoir la souveraineté territoriale de l’UE – par une délimitation géographique de l’espace intra-communautaire à partir des frontières extérieures des États membres – dans le but de contrôler la pénétration des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques de l’économie européenne.
Alors même que le marché intérieur se conçoit comme un espace de libre circulation des biens, marchandises et capitaux ignorant les frontières interétatiques, ce MIED remet fortement au goût du jour la notion de la préférence communautaire.
La protection des intérêts dits légitimes de l’UE dans le domaine des investissements directs à l’étranger (IDE)
Dans son discours annuel sur l’état de l’Union en 2017, Jean-Claude JUNCKER a explicitement approuvé la mise en place de ce dispositif européen : « Laissez-moi le dire une fois pour toutes : nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange. L’Europe doit toujours défendre ses intérêts stratégiques. C’est la raison pour laquelle nous proposons aujourd’hui un nouveau cadre de l’UE pour l’examen sélectif des investissements ».
Pourtant, la position de la Commission est très ferme sur la finalité de ce MIED qui ne doit en aucun cas être instrumentalisé à des fins de protectionnisme économique, et encore moins, nuire à l’attractivité des investissements étrangers sur le marché intérieur. Dans son document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation publié le 10 mai 2017, il a bien été rappelé que : « l’ouverture aux investissements étrangers reste un principe essentiel pour l’UE et une source majeure de croissance ».
Ce dispositif européen vise seulement à protéger les intérêts dits légitimes de l’UE. Par exemple, en évitant que des infrastructures essentielles comme il en existe dans les industries de réseau, ne deviennent la propriété des investisseurs étrangers (hors UE) alors qu’elles sont éligibles à des aides publiques. La proposition de règlement apporte plus de précision en ciblant les : « investisseurs étrangers, notamment les entreprises publiques [rachètent] des entreprises européennes dotées de technologies clés pour des raisons stratégiques [alors que], souvent, les investisseurs de l’UE ne jouissent pas des mêmes droits à investir dans le pays d’origine des investisseurs ». Ainsi, ce MIED vise à surveiller prioritairement les IDE originaires d’un État tiers restreignant l’accès des investissements européens sur son territoire national. A l’instar d’une mesure de défense commerciale, ce MEID permettrait à l’UE de répliquer à une absence de réciprocité en matière d’ouverture à des investissements étrangers.
Ce projet de règlement permettrait à la Commission de donner son avis sur la faisabilité d’un IDE opérant sur des filières économiques qui sont décisives pour la compétitivité de l’économie européenne. Selon cette proposition de règlement, la Commission pourrait désapprouver le projet d’un IDE compte tenu des : « craintes pour la sécurité et l’ordre public de l’Union ou ses États membres ».
Bien que ce MIED soit destiné à protéger les intérêts commerciaux de l’UE, il est regrettable que les moyens d’action prévus à cet effet soient faiblement efficaces.
Un mécanisme européen de surveillance faiblement efficace
En effet, ce MIED est complètement dépourvu d’un effet contraignant. Les États membres ne sont pas obligés de suivre systématiquement l’avis de la Commission. L’article 9 de la proposition de règlement ne les obligerait qu’à tenir : « le plus grand compte de l’avis de la Commission et, s’il ne suit pas cet avis, il fournit une explication à la Commission ». Dès lors, un État membre pourrait très bien autoriser un IDE alors que cette opération capitalistique porterait une atteinte particulièrement grave et irréversible aux intérêts dits légitimes de l’UE. Il est alors paradoxal que l’UE ne s’approprie pas un pouvoir d’opposition plus ferme dans un domaine de compétence qui lui est exclusivement réservé depuis le Traité de Lisbonne (art. 3 du TFUE).
Néanmoins, cette nouvelle règlementation européenne n’a pas l’ambition de remplacer les régimes nationaux de déclaration ou d’autorisation préalable des IDE déjà existants dans certains États membres comme c’est le cas de la France depuis 2014.
Cette réticence s’explique très certainement par le fait que l’UE a conclu de nombreux traités bilatéraux d’investissement (TBI) qui ont considérablement réduit les obstacles à la libre circulation des capitaux étrangers. L’objectif de ces TBI est d’accorder un traitement non moins favorable aux investissements d’un État partie à cet accord et même de prendre en compte les attentes légitimes des investisseurs étrangers dans le cadre des politiques nationales. Le dernier accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada (CETA) a renforcé cette protection juridique par la création d’un organe de règlement des conflits spécialement compétent dans le domaine des IDE. Cette juridiction spéciale peut être saisie par un investisseur canadien ou européen si un litige l’oppose à un État partie à cet accord. Le Conseil constitutionnel français a même reconnu la constitutionnalité de cet organe spécialisé dans une décision rendue le 31 juillet 2017 ce qui l’habilite également à disposer d’une compétence matérielle en ce qui concerne les investissements étrangers autres que directs (§. 22 et suivants). Le juge constitutionnel a même érigé en un motif d’intérêt général justifiant une différence de traitement entre les investisseurs canadiens et les autres investisseurs étrangers de la France, la logique libérale qui a motivé la création de cette organe car : « d’un côté, [cette juridiction spécialisée vise] à créer, de manière réciproque, un cadre protecteur pour les investisseurs français au Canada et, de l’autre, à attirer les investissements canadiens en France » (§. 38).
Tout porte donc à considérer que l’UE n’a pas voulu enfreindre ces engagements internationaux en instaurant un MIED particulièrement contraignant à l’égard des investissements étrangers. Loin de vouloir apparenter son marché intérieur à une forteresse commerciale, l’UE n’est pas encore prête à durcir la politique d’accueil des investissements étrangers. Sans compter que l’UE détient le plus grand stock d’investissements directs à l’étranger et se targue d’avoir l’un des régimes d’investissement les plus ouverts au monde malgré la crise économique persistante (d’après les dernières statistiques de l’Eurostat publiées le 12 janvier 2017). En raison des avantages qu’elle y soutire, l’UE préfère clairement encourager ses partenaires commerciaux à libéraliser l’accès des investissements étrangers sur leur territoire national. Ainsi, l’UE ne veut pas leur envoyer un message contradictoire en érigeant des barrières protectionnistes autour de son marché intérieur, quitte à sacrifier le projet d’une souveraineté européenne dans le domaine des IED.
Annabella Sabine, doctorante en droit à la faculté de Droit de l’Université de Paris Est Créteil, laboratoire MIL
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