Dans cette première partie d’interview, Georges Ravarani, juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, revient sur son parcours et nous explique comment il travaille à la Cour.
Pouvez-vous revenir sur l’itinéraire professionnel qui vous a mené jusqu’à la Cour ?
J’ai passé presque toute ma carrière dans le judiciaire luxembourgeois. J’ai comme juge civil, j’ai passé 11 ans au tribunal d’arrondissement de Luxembourg. J’ai ensuite fait une petite excursion vers le barreau pendant 5 ans puis je suis revenu à la justice lors de la création des juridictions administratives. Dès leur création, j’ai été président du tribunal administratif, puis dix ans plus tard j’ai accédé aux fonctions de président de la Cour administrative, et en même temps, comme le prévoit la loi, à celles de vice-président de la Cour constitutionnelle. J’avais pour ainsi dire « tout vu », même si c’est un grand mot, et dans ma profession j’avais toujours été en contact avec les questions liées aux droits de l’homme : aussi bien comme juge civil que comme juge administratif on a quasi quotidiennement affaire à la Convention. Quand le poste est devenu vacant à la Cour EDH, j’ai été intéressé à y terminer ma carrière comme juge. J’ai eu la chance et le privilège d’avoir été proposé puis élu à cette fonction.
Pouvez-vous décrire une journée de travail à la Cour ?
Dans un sens on y est un peu comme un moine dans sa cellule, on passe une grande partie de la journée au bureau à lire des documents, à écrire. Comme pour tout juge national, il y a une grande part de travail de bureau, de lecture, de rédaction. Bien entendu, il y a aussi des réunions, des délibérations, des audiences. La Grande Chambre a des audiences où viennent le public et les avocats. On a aussi une fois par semaine une réunion de section. En effet, la Cour est divisée en sections et les arrêts présentant un degré de difficulté élevé sont rendus en formation de chambre composée de 7 juges ; on se réunit une fois par semaine, on discute des projets de manière très approfondie, on les modifie, on vote, cela prend beaucoup de temps. Par ailleurs, les affaires moins compliquées ou pour lesquelles il existe une jurisprudence bien établie sont jugées dans des formations plus restreintes. Enfin, nous avons aussi des réunions au sein de différents groupes de travail, par exemple celui concernant l’organisation de la Cour, etc. Une journée de travail à la Cour passe très vite !
Comment fonctionnent les relations entre 47 juges d’autant de pays et de cultures juridiques ?
Voilà une question très intéressante et qui va au cœur du sujet. Il faut réussir à faire travailler ensemble tous ces gens. Il y a ici des juges, des professeurs, des avocats, des gens de différentes cultures juridiques : common law, continentale, anciens pays de l’Est, Ouest, Nord, Sud. Tout cela donne un mélange tonnant, enrichissant bien entendu mais parfois cela crée des problèmes qu’on n’aurait jamais soupçonnés dans son propre pays. Ici, même face à des problèmes en apparence anodins, on peut découvrir une complexité qu’on n’aurait pas imaginée. Cela fait le poivre et le sel de la profession. Les gens s’entendent bien, les relations humaines sont extrêmement bonnes, mais on discute de manière très approfondie et on ne se met pas toujours d’accord. A la Cour EDH, les opinions séparées – concordantes ou dissidentes – sont admises : certains arrêts ne sont pris qu’à la majorité, parfois une infime majorité. Certains arrêts très importants de la Grande Chambre sont pris à une majorité de 9 contre 8.
Cette interview a été réalisée le 9 mai 2018 par Catherine Warin.
Sincères remerciements à Georges Ravarani pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Retrouvez la deuxième partie la semaine prochaine sur blogdroiteuropéen!