L’enseignement du droit de l’Union européenne, Revekka-Emmanouela Papadopoulou – Interview, part. 2

RE Papadopoulou

Madame Revekka-Emmanouela Papadopoulou est Professeure Assistante en droit européen à la Faculté de Droit de l’Université d’Athènes.

 

 

S.X. : Présentez-nous le travail fait à la Faculté de Droit de l’Université d’Athènes dans l’enseignement du droit de l’Union ainsi que les opportunités offertes aux étudiants grecs et étrangers.

R.-E. P. : Dès le niveau de la Licence, nous donnons aux étudiants l’occasion de participer activement aux cours optionnels « Droit Économique de l’UE » et « Séminaire de Droit européen » : ils élaborent et présentent (par groupes de 2 à 4 étudiants) des travaux sur le droit du marché intérieur, le droit de la concurrence ainsi que sur des questions d’actualité européenne qui ont des implications juridiques importantes. Cette pratique est très populaire parmi nos étudiants, car elle leur permet d’effectuer une recherche juridique combinée de la législation et la jurisprudence et d’approfondir sur des sujets qui affectent leur quotidien en tant que citoyens de l’Union.

Au niveau du Master nous combinons cette même pratique avec un enseignement ex cathedra. En plus, nous invitons souvent des collègues étrangers et des praticiens qui donnent des conférences sur des sujets spécifiques; ces conférences étant en anglais et ouvertes au public, elles sont suivies aussi par les étudiants du programme Erasmus.

À la Faculté de Droit nous accueillons chaque année plusieurs étudiants « Erasmus » et nous leur offrons le cours de « Droit de l’Union européenne » en anglais; ce cours comprend le droit institutionnel ainsi que le droit économique de l’Union.

Par ailleurs, nous avons récemment inauguré une collaboration avec l’association d’étudiants European Law Students Association (ELSA), dans le cadre de laquelle nous accueillons des étudiants étrangers désirant effectuer une sorte de « stage »; nous encadrons ces étudiants en les impliquant dans des recherches spécifiques en droit européen, ou encore dans la préparation de l’équipe de notre Faculté qui participe au Concours international de procès simulé en droit de l’UE (ELMC). Cette expérience est très enrichissante tant pour nous que pour les étudiants et nous recevons un assez grand nombre de demandes de stage.

Par ailleurs, notre Faculté participe régulièrement au Concours de procès simulé en droit de l’UE susmentionné, avec de brillants résultats; ce concours est une expérience unique qui permet à nos étudiants de mener une recherche approfondie sur des questions complexes de droit européen, d’élaborer une argumentation juridique solide et de la défendre publiquement en anglais et en français devant un jury extrêmement exigeant.

Je suis assez fière du fait que nos diplômés du Master maintiennent un contact étroit avec notre Faculté et s’impliquent activement dans des initiatives de recherche; ils ont même fondé une Association d’Alumni (European Law Masters Alumni Association – ELMAA) qui organise des colloques et un « Summer School » en Droit de l’Union européenne à l’île de Corfu, que nous soutenons assidûment par notre enseignement.

 

S.X. : Quelles sont, à votre avis, les caractéristiques de l’enseignement classique du droit qui ne sont pas adaptés à l’enseignement du droit de l’Union européenne ?

R.-E. P. : L’enseignement classique du droit exprime souvent une approche « introvertie », à savoir confinée à l’intérieur de l’ordre juridique national, qui ne tient pas suffisamment compte de la dimension transnationale grandissante des règles de droit. En plus, il utilise des outils qui sont plutôt adaptés aux branches dites « traditionnelles » du droit tel que le droit civil : l’accent est surtout mis sur l’analyse des règles écrites et la jurisprudence est étudiée à titre supplémentaire afin de corroborer cette analyse ; les principes généraux ont une place marginale dans l’enseignement du droit, ce qui, à mon avis, est dû au fait que la plupart des sujets sont déjà amplement réglementés par le droit positif.

L’enseignement du droit de l’UE ne saurait adopter cette approche. Etant donné que cet ordre juridique nouveau est inédit, nous devons avant tout le situer par rapport au droit national et international, tout en démontrant son autonomie à leur égard. Il faut, en d’autres termes, adopter une approche « extrovertie » donnant aux étudiants une image complète de la co-existence et des relations entre plusieurs ordres juridiques.

Par ailleurs, l’enseignement de droit de l’UE ne saurait utiliser les outils de l’enseignement classique du droit : si les règles écrites doivent être notre point de départ, nous devons impérativement insister sur la jurisprudence de la Cour de Justice qui les a interprétées afin de garantir leur application uniforme dans tous les Etats membres. Nous devons aussi faire valoir le rôle des principes non-écrits et du soft law dans l’évolution du droit de l’UE. Plus généralement, l’enseignement du droit de l’UE doit tenir compte de l’objectif d’intégration qui sous-tend l’ensemble des secteurs et qui rend nécessaire une approche téléologique prononcée. En d’autres termes, nous ne pouvons pas examiner les règles de droit européen séparément de leur contexte et du but qu’elles sont appelées à servir.

 

S.X. : On constate parfois que les étudiants ignorent la place, l’utilité et l’importance du droit de l’Union européenne dans la vie juridique. Selon vous, comment doit-être enseigné le droit de l’Union ?

R.-E. P. : En effet, les étudiants ont l’impression que le droit de l’UE se limite aux questions d’ordre institutionnel et qu’il a une place marginale dans l’ordre juridique national. Je constate souvent qu’ils connaissent le contenu d’une loi transposant une Directive tout en ignorant l’existence même de celle-ci!

A mon avis, ceci est dû au fait que l’enseignement des autres branches du droit analyse le contenu des règles nationales transposant les normes européennes sans pour autant démontrer leur lien avec ces dernières. Ainsi, l’origine « européenne » des règles nationales est ignorée ou sous-estimée. On mentionne parfois la jurisprudence des tribunaux nationaux appliquant ces règles, mais très rarement la jurisprudence de la CJ elle-même.

Dans le cadre du cours du Droit de l’UE, et surtout du Droit Economique de l’UE, et bien sûr dans le cadre du Master, nous démontrons ce lien et nous insistons sur le fait que les mesures nationales d’exécution doivent être interprétées et appliquées à la lumière des règles européennes respectives. Ceci deviendrait encore plus évident si l’enseignement des autres matières (eg Droit des consommateurs, Droit de l’environnement, etc) analysait l’historique et le contenu des règles européennes transposées en droit national ainsi que l’interprétation qui leur est attribuée par la jurisprudence de la CJ.

 

S.X. : Quels sont les éléments principaux d’une bonne thèse en droit de l’Union ? Quels sont vos conseils aux doctorants ?

R.-E. P. : À mon avis, une thèse en droit de l’Union ne doit pas se contenter de présenter et d’analyser la législation ou la jurisprudence de l’Union concernant un sujet ; elle doit rechercher -et poser- la ou les questions théoriques sous-jacentes aux règles spécifiques. En d’autres termes, il faut essayer de faire surgir une problématique de départ, qui donnera un sens à la recherche.  L’approche d’analyse doit progressivement céder sa place à un travail de synthèse.

A ce titre, je conseille à mes doctorants d’être « ouverts » à de nouvelles idées et de ne pas commencer leur recherche par des positions déterminées ; en même temps, je leur conseille de ne pas confiner leur recherche aux limites étroites du sujet spécifique qu’ils traitent, mais d’essayer d’y inclure des questions théoriques plus larges. Je crois aussi que l’étude des sources bibliographiques doit être la plus étendue possible, mais toujours avec un regard critique.

Du point de vue méthodologique, une bonne thèse doit reposer sur un plan détaillé qui présente avec clarté la problématique centrale de départ, la position prise et sa justification, ainsi qu’une conclusion qui démontre la « valeur ajoutée » et l’aspect innovant de la recherche. Je conseille à mes doctorants d’insister sur l’élaboration du plan détaillé avant de commencer d’écrire ; le plan leur permet de mettre leurs idées en ordre et de vérifier si leur hypothèse de départ, ainsi que le développement de leur argumentation, est valide.

 

S.X. : Est-ce qu’il existe des particularités dans l’enseignement du droit de l’UE en Grèce ? Est-ce qu’il s’agit d’une matière qui est enseignée plus ou moins depuis la crise économique?

R.-E. P. : Basée sur ma propre expérience et mes discussions avec des collègues étrangers, je peux affirmer qu’il n’existe pas de particularités dans l’enseignement du droit de l’UE en Grèce par rapport à d’autres pays de l’Union. La crise économique n’a pas changé la façon d’enseigner le droit de l’UE dans notre Faculté. Il est vrai, toutefois, qu’elle nous a donné l’occasion d’insérer de nouvelles rubriques dans les cours optionnels tels que de Droit Economique et le Séminaire en Droit Européen, ainsi que dans le cadre du Master : les étudiants ont présenté des travaux sur l’évolution du Pacte de Stabilité et de Croissance, la création de l’ESM ou encore la jurisprudence de la Cour de Justice dans les affaires Pringle et Gauweiler, ce qui nous a permis d’approfondir le secteur de l’Union Economique et Monétaire.

Propos receuillis par Stamatina Xefteri

Suite de l’Interview mardi prochain

 

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