La politique économique et monétaire pendant la crise économique, Revekka-Emmanouela Papadopoulou – Interview, part. 4

RE Papadopoulou

Madame Revekka-Emmanouela Papadopoulou est Professeure Assistante en droit européen à la Faculté de Droit de l’Université d’Athènes.

 

S. X.: Dans votre livre récent, vous présentez l’architecture et les moyens de la politique économique et monétaire institués pour faire face à la crise économique. Quelles ont été les principales conclusions que vous avez tirées de cette étude sur la structure et l’efficacité de ces mécanismes ?

R.-E. P. : Ma recherche est partie de la constatation que l’architecture de l’Union Économique et Monétaire est empreinte d’une asymétrie institutionnelle prononcée. Le pilier monétaire fonctionne selon le modèle supranational, tandis que le pilier économique reste une compétence nationale et il repose sur une simple coordination des politiques économiques des Etats membres : ceux-ci sont seulement obligés de respecter le «modèle économique» adopté par l’Union tel qu’énoncé aux articles 119 et 120 du TFUE et spécifiés dans le Pacte de Stabilité de Croissance de 1997 (notamment en respectant les niveaux fixés en matière d’inflation, de dette et de déficit public).

Ma recherche a démontré que la coordination représente une sui generis compétence de l’Union mais aussi un mécanisme institutionnel assez complexe. Ses deux volets principaux, tels qu’ils résultent du Traité, reposent sur la prévention (procédure de surveillance multilatérale, article 121 TFUE) et la correction (procédure de discipline budgétaire, article 126 TFUE); en même temps, j’ai constaté que la fameuse «no bail-out clause» de l’article 125 TFUE est un instrument complémentaire qui ajoute à ce système un volet disciplinaire, dont le but principal n’est pas de «punir» mais de prévenir les déraillements économiques.

En outre, j’ai constaté une antinomie fondamentale : tandis que les principes et la procédure de la coordination sont énoncés dans des règles contraignantes du droit primaire et dérivé, le déroulement de cette procédure est basé sur des recommandations, c’est-à-dire des règles de soft law qui ne sont pas en mesure d’assurer l’application effective de ces principes, puisqu’elles ne sont presque jamais assorties de sanctions.

Dans ce cadre, j’ai étudié les différentes réponses qu’ont essayé d’apporter à la crise l’Union et ses Etats membres, et j’ai recherché leur empreinte sur l’architecture institutionnelle initiale de la coordination des politiques économiques. J’ai été impressionnée par la multitude des instruments qui ont été mis en place à cet égard, ce qui montre la volonté ferme de tous les acteurs de pallier les effets de la crise. Les Etats membres ont d’abord eu recours à des mécanismes de soutien ad hoc qui se situent à l’écart du système juridique de l’Union, mais qui prévoient un rôle restreint pour ses institutions (par exemple en prêtant de l’argent à la Grèce sur base de traités bilatéraux du droit international, ou en créant le FESF, société anonyme à durée limitée régie par le droit luxembourgeois).

En même temps, de nouvelles initiatives ont vu le jour en marge du cadre institutionnel de la coordination, visant non seulement à dépasser la crise, mais surtout à garantir la stabilité du système pour l’avenir. Ce fut le cas du Traité Budgétaire qui a pris la forme d’un traité international conclu par les Etats membres afin de proclamer leur engagement de respecter la «règle d’or» du budget équilibré. Mais le «saut qualitatif» dans la direction d’un réaménagement du système fut la création du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), qui a été décidée par les Etats à la marge de l’ordre juridique de l’Union et a été par la suite prévue dans le droit primaire au moyen d’une révision simplifiée du TFUE. Le MES est un mécanisme de soutien permanent, et de ce fait il comble les lacunes du système en apportant un élément de stabilité. Les arrangements institutionnels par lesquels ce mécanisme a été créé ont été légitimés par la Cour de Justice dans son fameux arrêt Pringle, qui a démontré qu’une aide financière aux Etats en difficulté est toujours possible, si elle est accompagnée de conditions et d’engagements stricts de leur part. Par ailleurs, dans son arrêt Gauweiler la Cour a corroboré la démarche de la Banque Centrale Européenne, qui a annoncé la prise de mesures d’intervention sur les marchés secondaires de la dette souveraine afin de préserver la stabilité de l’Euro.

Ma recherche a aussi démontré que la crise économique a conduit à une restructuration profonde du système institutionnel de la coordination des politiques économiques, qui vise à pallier les insuffisances de son architecture initiale. Les actes dits du «six-pack» (applicables à tous les Etats membres) et ceux du «two-pack» (visant les Etats membres de la zone de l’Euro), adoptés respectivement en 2011 et en 2013, ont réformé le Pacte de Stabilité et de Croissance dans le sens de l’introduction d’obligations strictes et contraignante pour les Etats mais aussi pour les institutions de l’Union, tant au niveau de la procédure qu’à celui du fond. La surveillance multilatérale est renforcée grâce à l’adoption du «semestre européen» qui prévoit un cycle permanent de dialogue entre les Etats et la Commission, mais aussi grâce à l’introduction d’une nouvelle dimension, à savoir la surveillance et la prévention des déséquilibres macro-économiques. Il en va de même du volet de la discipline budgétaire, où l’accent est désormais mis sur l’adoption de décisions imposant des amendes. Plus généralement, le nouveau système essaie de combler les lacunes de la procédure initiale en donnant une place centrale à l’imposition de sanctions pécuniaires aux Etats qui ne respectent pas les obligations découlant des recommandations et des décisions du Conseil.

Au terme de cette étude, je suis arrivée à la conclusion que la crise économique a conduit à un profond réaménagement du volet économique de l’Union Economique et Monétaire. A mon sens, le schéma institutionnel de ce volet repose aujourd’hui sur deux piliers :

  • d’une part, la prévention, qui comprend tant la surveillance multilatérale que la discipline budgétaire; en effet, ces deux aspects sont désormais soumis à une même approche, à savoir le contrôle permanent des paramètres de l’économie nationale et la mise en place d’un système de sanctions de nature dissuasive;
  • d’autre part, le soutien, qui est assuré par le MES et qui est fourni aux Etats en difficulté contre des conditions et des engagements stricts entrepris par ces derniers.

Ces deux piliers ne pourront fonctionner efficacement que si les Etats membres eux-mêmes acceptent d’appliquer les principes énoncés dans le Traité et le Pacte de Stabilité et de Croissance; car, malgré tous ces changements, le domaine de la politique économique reste toujours une compétence nationale.

 

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