Une réussite nécessaire pour le multilatéralisme
Après plus de vingt ans de négociations décevantes, l’Accord de Paris sur le climat marquait une réussite nécessaire pour le multilatéralisme. Le 12 décembre 2015 à la « COP21 », la communauté internationale a adopté par consensus un accord global, surmontant des disputes vieilles de plusieurs décennies entre des pays développés et en développement à propos de leurs responsabilités et obligations respectives. Les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’Accord ne suffiront pas à eux seuls pour empêcher le réchauffement catastrophique de la planète, mais les procédures contraignantes dans ce domaine donnent de l’espoir. Notamment, le mécanisme d’accroissement de l’ambition oblige les États à communiquer tous les cinq ans des objectifs plus progressifs, ce qui promet de changer la trajectoire à long terme. L’Accord de Paris représente un résultat ambitieux étant donné son contexte politique et institutionnel, y compris la nécessité de contourner l’hostile Sénat américain et la règle du consensus des négociations climatiques, selon laquelle toute décision prise doit être acceptable pour chacune des 195 Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques (CCNUCC), avec des intérêts et positions radicalement divergents.
Des conditions favorables, et une diplomatie adroite
Il y a de nombreux facteurs sans lesquels l’adoption de l’Accord de Paris n’aurait pas été possible. Les États-Unis et la Chine ont sorti conjointement une déclaration présidentielle annonçant des efforts domestiques pour lutter contre le changement climatique, suite à une longue période de politique antagoniste ; ce rapprochement diplomatique était crucial. Des conditions économiques, dont la chute inattendue du prix d’énergie solaire, ont également favorisé un accord en 2015. Un facteur important était la diplomatie adroite de la Présidence française, qui a guidé les Parties dans les négociations complexes et chargées politiquement jusqu’à la réussite. En établissant un processus ouvert et inclusif, les hôtes français ont évité les défaites des séries de négociations précédentes, comme notamment le sommet à Copenhague en 2009 (« COP15 »), qui s’est conclu par un échec cuisant. La fuite d’un texte qui avait été élaboré en secret par la Présidence danoise et un petit groupe de pays développés a provoqué l’indignation des pays en développement et une perte totale de confiance. Des négociations en coulisses entre les États-Unis, la Chine et quelques autres pays émergents ont livré un accord au dernier moment, mais il n’a pas gagné l’assentiment de toutes les Parties en plénière et le sommet s’est donc terminé sans aucun résultat. Une opportunité tant attendue pour aborder le changement climatique a été perdue.
Les « ingrédients supplémentaires » : la responsabilisation…
On a tiré beaucoup de leçons de Copenhague, et la Présidence française a pu récolter les fruits de ce processus d’apprentissage. Une étude de Kai Monheim explique comment la Présidence mexicaine, qui a accueilli le sommet après Copenhague en 2010, a changé les pratiques de gestion de façon significative. Ils se sont assurés que le processus de négociation soit plus transparent et ont créé une meilleure cohésion organisationnelle, non seulement dans l’équipe de la Présidence, mais aussi entre la Présidence et le Secrétariat de la CCNUCC. La Présidence française s’est appuyée sur ces améliorations et en a tiré profit. Cependant, « l’ingrédient supplémentaire » de la Présidence française était son habilité à gérer non seulement le processus de négociations, mais aussi les individus concernés.
« La responsabilisation concerne l’auto-détermination, ou la capacité des Parties de définir leurs problèmes et arriver à des solutions eux-mêmes »
Deux concepts éclairent le rôle qu’a joué la Présidence française dans la réussite de l’Accord de Paris : la responsabilisation et la reconnaissance. La responsabilisation concerne l’auto-détermination, ou la capacité des Parties de définir leurs problèmes et arriver à des solutions eux-mêmes. Dans le contexte de négociations multilatérales, la responsabilisation s’aligne sur un processus inclusif et ascendant, qui reste sous le contrôle des Parties (« impulsé par les Parties »). Cette dynamique a énormément d’importance pour celles-ci, surtout après le sommet de Copenhague. La période entre Copenhague et Paris est caractérisée par un changement d’approche. On est passé du paradigme descendant du Protocole de Kyoto au paradigme ascendant des Contributions déterminées au Niveau national (en anglais « NDC »). Le Protocole de Kyoto a fixé des objectifs de réductions d’émissions contraignants, mais peu flexibles pour quelques pays développés qui ont ratifié le Protocole, représentant seulement 12% des émissions globales. Les NDCs étaient une pierre angulaire de l’Accord de Paris. Elles invitent chaque pays à soumettre ses propres engagements dans l’action climatique selon ses circonstances nationales. Le concept des NDCs a été lancé à Varsovie en 2013 et a connu un grand succès : avant l’ouverture du sommet de Paris, 183 pays avaient déjà soumis leurs engagements climatiques, représentant 95% d’émissions globales. La Présidence française a bien saisi l’importance de cette approche et a assuré que l’élaboration de l’Accord de Paris suivrait un processus inclusif et impulsé par des Parties. Chaque Partie était invitée à soumettre un texte pour considération et des négociations clefs étaient gérées non pas par la Présidence, mais par des ministres représentant des pays développés et en développement en tant que « facilitateurs », collaborant avec d’autres Parties pour trouver des compromis textuels acceptables pour tous.
…et la reconnaissance
La reconnaissance concerne le besoin qu’a un participant d’une négociation de se sentir entendu et que sa perspective ait été comprise pour pouvoir s’éloigner d’une position d’égocentrisme vers une position de réceptivité et de coopération. À Copenhague, les Parties avaient l’impression que leurs opinions n’avaient pas été prises en considération ou même pas écoutées par la Présidence. Par conséquent, elles ont refusé de céder sur leur position publique. La Présidence française, en revanche, a entrepris des consultations extensives avec quasiment toutes les Parties. Plus d’un an avant le sommet, la Présidence s’est lancée dans un travail diplomatique « d’écoute et de la confiance » hors pair, parcourant le monde entier pour entendre les préoccupations des Parties et pour comprendre les intérêts sous-jacents des positions.
« La reconnaissance concerne le besoin qu’a un participant d’une négociation de se sentir entendu et que sa perspective ait été comprise »
Pendant la COP, la Présidence a suivi une méthode porte ouverte pour des consultations nommées « confessionnaux », au moyen de laquelle toute Partie pouvait discuter en privé avec un représentant de la Présidence pour exprimer ses soucis et pour discuter des matières problématiques. Des négociateurs des pays développés autant que des pays en développement s’accordaient sur le fait que la Présidence avait écouté leurs opinions et les avaient prises en compte. Par ailleurs, à la COP21, les Parties étaient encouragées à s’écouter et à apprendre des perspectives des autres dans un cadre informel par une série de réunions organisées par la Présidence pendant la période qui précédait le sommet. Les résultats les plus importants de ces réunions ont été l’accroissement du niveau de compréhension mutuelle et l’amélioration des relations entre des participants clefs.
« Des négociateurs des pays développés autant que des pays en développement s’accordaient sur le fait que la Présidence avait écouté leurs opinions et les avaient prises en compte »
Bien que des négociateurs soient des agents de leur gouvernement qui représentent l’intérêt national, ils sont également des êtres humains. Le désir d’avoir un siège à la table et son mot à dire sur des résultats ainsi que le besoin de faire écouter et reconnaitre ses opinions sont intuitivement nécessaires à tout processus de négociation, que ce soit sur la garde des enfants après un divorce ou sur le partage d’efforts dans la lutte internationale pour réduire le taux global d’émissions des GES. En gérant un processus inclusif et impulsé par les Parties et en assurant que les opinions de chaque Partie étaient entendues et prises en considération, la Présidence française a pu livrer un Accord qui respectait les lignes rouges de tous, tout en fournissant à chaque Partie quelque chose à « ramener à la maison » comme une victoire : un Accord dans lequel toutes les Parties se sentaient responsables et reconnues.
Hayley Walker est Aspirante F.N.S.-F.N.R.S à l’Université catholique de Louvain et à la Katholieke Universiteit Leuven en Belgique. Ses recherches se focalisent sur la gestion des négociations multilatérales dans une perspective socio-psychologique. Elle a également participé aux projets de recherche sur les effets de la politique extérieure de l’UE sur la gouvernance environnementale et la diplomatie climatique UE-Etats-Unis. Hayley a obtenu sa licence à l’Université d’Oxford et un master d’études européennes à l’Université KU Leuven.