Le green deal: une nouvelle priorité
La nouvelle Commission européenne s’installe le 1er décembre 2019 et sa présidente Ursula von der Leyen a, dans son programme, fait des enjeux climatiques et plus généralement environnementaux une priorité. Cette priorité se concrétise par le portefeuille assigné à Frans Timmermans, numéro 2 de la Commission et vice-président exécutif qui est chargé d’un Green Deal européen. Ainsi la Commission européenne affiche pour la première fois une ambition politique importante dans un domaine – le climat et l’environnement – connu pour être un champ d’intervention majeur du droit européen mais qui, jusque-là, ne bénéficiait pas d’une aussi grande visibilité politique. Ajoutons que le jour suivant celui où le Parlement européen accordait son soutien au collège de commissaires, le Parlement adoptait le 28 novembre 2019, dans la perspective de la conférence des parties de la convention sur le changement climatique qui doit se tenir à Madrid (COP25), une déclaration proclamant l’urgence climatique.
Ce poids donné aux questions climatiques ne surprend pas : il est pleinement en phase avec les préoccupations affichées par les citoyens européens qui se sont traduites dans les élections européennes par un score important des Verts dans de nombreux Etats membres. Il est notable qu’à l’exception de l’extrême droite européenne, tous les partis politiques dans le débat précédant le vote de soutien à la nouvelle Commission ont souligné l’importance des questions environnementales. On mesurera le chemin parcouru en relisant par exemple le discours d’investiture de Manuel Barroso en 2004 évoquant « une approche durable aux questions environnementales » dans ses priorités mais sans que le mot climat ne soit prononcé et surtout sans que la moindre consistance ne soit donnée à cette « priorité ».
Le green deal: une ambition globale
Le terme « Green deal » reflète bien une ambition globale. Le programme présenté par Ursula von der Leyen, la lettre de mission de Frans Timmermans ou le discours de la nouvelle présidente devant le Parlement européen du 27 novembre 2019 témoignent que climat et environnement ne sont plus seulement des éléments parmi d’autres mais bien ce qui structure le programme politique de la nouvelle Commission.
Mais si les déclarations d’intention politiques sont une étape nécessaire, elles ne constituent cependant qu’un point de départ qui exige bien plus que des orientations générales. De ce point de vue, il apparait que le travail d’information des scientifiques (notamment par les travaux du GIEC) relayé largement par les médias a conduit à une prise de conscience dans la société européenne et elle ne se satisfera pas de mesures timorées. Que ce soit par les actions de la jeunesse ou les manifestes, tribunes ou pétitions de toutes natures, la thématique climatique et environnementale dépasse celle d’une revendication parmi d’autres. Il est en effet acquis que limiter le changement climatique ou stopper la perte de biodiversité nécessitent des mesures d’une ampleur inédite qui conduisent à une transformation radicale de nos sociétés.
Ainsi les mesures précises qui déclineront ce Green Deal climatique et environnemental permettront de vérifier que les remèdes adoptés correspondent au diagnostic.
Une première indication sur le niveau exact d’engagement sera rapidement donnée puisque la feuille de route de ce Green Deal sera présentée le 11 décembre 2019. Le document préparatoire révélé par la presse montre bien qu’il s’agit de fixer des objectifs revus à la hausse dans tous les secteurs du droit de l’environnement : le premier enseignement que ce document de travail affiche, c’est bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une feuille de route climatique qui s’inscrirait dans la continuité de l’action de l’Union européenne. Rappelons en effet que l’Union européenne ne découvre pas aujourd’hui la nécessité d’agir en matière de climat et qu’elle est sur la scène internationale particulièrement active. Mais la différence d’approche que propose aujourd’hui la déclaration politique de la nouvelle Commission est de transformer l’ensemble des politiques traditionnelles de l’Union pour prendre en compte les exigences du climat et de l’environnement. Les mesures concernent donc autant la politique énergétique que le marché intérieur de l’Union, ses instruments financiers ou encore la politique agricole commune.
Le green deal: une mise en oeuvre encore à préciser
A ce stade la feuille de route, si elle liste des objectifs précis pour chaque domaine d’action, reste muette sur la mise en œuvre concrète permettant d’atteindre ces objectifs. C’est à ce stade tout à fait normal et il faut s’attendre à des difficultés pratiques considérables quand il s’agira de faire des arbitrages nécessairement délicats entre des intérêts économiques et sociaux et les intérêts environnementaux. Ces obstacles sont nombreux et bien connus pour chacun des dossiers que la feuille de route ouvre : réduire les pesticides, oui mais la dépendance actuelle de l’agriculture aux produits phytosanitaires est grande et la transformation de ce secteur n’est pas aisée. Renforcer la législation européenne sur la qualité de l’air pour s’approcher des niveaux de pollution préconisés par l’OMS suppose – alors que les niveaux actuels restent largement dépassés dans la plupart des Etats membres – que des mesures drastiques soient prises en matière de transport comme en matière d’urbanisation. Atteindre du niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l’Union de 55% par rapport à 1990 en 2030 et la neutralité carbone en 2050 ne se fera pas par des ajustements à la marge mais bien par une transformation radicale des modes de production et de consommation avec des enjeux considérables d’équité sociale et de redistribution.
A cet égard, le fait que cette tâche soit confiée à Frans Timmermans est un élément d’optimisme. Plus encore que sa place dans la hiérarchie de la Commission et le fait qu’il dispose d’un portefeuille large, c’est bien sa personnalité et ses compétences européennes qui inclinent à penser que, passé les discours d’intronisation, il sera en mesure de peser fortement sur l’agenda européen et saura déployer son savoir-faire dans des dossiers d’une complexité sans commune mesure.
La nouvelle présidente de la Commission européenne inaugure son mandat par un premier déplacement à Madrid pour la COP25. Il ne fait pas de doute que la question climatique sera bien un enjeu majeur pour les cinq années à venir puisqu’aucun des objectifs ambitieux fixés pour 2030 et 2050 ne pourra être tenu sans que l’ensemble des politiques de l’Union européenne et des Etats membres ne soit nettement infléchies sur la période 2019-2024.
Il était donc naturel que le blog de droit européen inaugure une nouvelle rubrique qui suivra les avancées et les hésitations de ce programme. Nous invitons les juristes à apporter une contribution active et créative à ce vaste chantier.
Marc Clément, Président de la chambre au tribunal administratif de Lyon, membre fondateur de l’Institut européen du droit (European Law Institute), Membre de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, Membre du comité de déontologie de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire