L’histoire mouvementée d’Air France, notamment sa quasi-faillite au début de années 90, est régulièrement marquée par un rôle de « chevalier blanc » du ciel français, avec la reprise des compagnies telles qu’Air Inter, 1997, ou sous la marque chapeau « Hop ! » des compagnies Régional, Brit Air et Airlinair en 2013. Mais son intégration dans un groupe biculturel, donnant à cette époque la première compagnie mondiale en termes de chiffre d’affaires et la troisième pour le nombre de passagers transportés (66 millions pour 550 avions exploités en 2003) a marqué un tournant majeur dans la recomposition du ciel aérien européen. Et la pandémie actuelle qui a mis l’économie mondiale entre parenthèse va accélérer ce mouvement. Dès lors, le montant et la forme de l’aide apportée par les Etats français et néerlandais, devront obtenir l’accord de la Commission européenne. Mais quel pourrait-il être ?
1 – Le cadre actuel de cette future aide d’Etat
Lors de la constitution progressive de l’offre de transport d’Air France, l’autorité de la concurrence européenne a eu à se prononcer et envisager l’utilisation des ressources indispensables à la concurrence sur ce marché. Qu’il s’agisse des droits de trafic permettant les libertés de circulation aérienne ou encore des regroupements entre compagnies pour mutualiser la ressource aéroportuaire, l’objectif reste de renforcer sinon maintenir une concurrence par l’entrée effective ou potentielle de nouvelles compagnies.
Cela fut le cas lors des tentatives de coopération plus ou moins renforcée entre Alitalia et Air France en 1987 puis en 2001 puis de la « fusion entre inégaux » présentée à la Commission européenne par les compagnies française et néerlandaise. Toute la doctrine de la Commission énoncées dans les conditions de son dénouement pose le cadre futur dans lesquelles les annonces gouvernementales vont devoir être prises.
La situation actuelle, aussi extraordinaire qu’elle soit, n’envisage pas de questionnement spécifique, qu’il s’agisse d’une part de maintenir l’indépendance capitalistique et financière du groupe par le maintien d’un équilibre entre ses actionnaires publics et privés, ou d’autre part de pouvoir obtenir l’aide la plus pertinente dans un cadre budgétaire très contraint pour les Etats. Immédiatement, la question des modalités de l’aide semble avoir une première réponse. Mais qu’il s’agisse de prêt bancaire garanti par l’Etat, d’une recapitalisation, voire d’une nationalisation, ces deux dernières éventualités étant rejetées par la direction du groupe, ces scénarios n’ont pas les mêmes conséquences.
Depuis que le transport aérien est sorti du régime des exemptions par catégories, le contrôle de toute aide d’Etat (arts. 107 et 108 du TFUE) repose sur quelques principes qui s’imposeront à tous. S’il s’agit d’une recapitalisation, la précédente opération en 2001 semble a priori écarter toute nouvelle augmentation de capital. Mais dans une telle situation de « circonstance exceptionnelle » et pour assurer le sauvetage de la compagnie aérienne, la Commission saura écarter le principe du « one time, last time » comme lors du sauvetage d’Alitalia en 2005.
En dehors de cette possibilité, la Commission dans les différents règlements encadrant les aides d’Etat évoque des « instruments d’aide spécifiques, tels que les prêts, les garanties, les mesures fiscales » pour mieux les encadrer par une mesure de l’équivalent-subvention d’une intervention financière publique. Si les informations qui circulent confirment bien que le gouvernement choisit un prêt bancaire garanti par l’Etat, la somme engagée (entre 6 et 8 milliards d’euors) ne pourrait être à la hauteur des attentes de la compagnie.
2 – Une aide pour recomposer à terme le ciel européen ?
En tout état de cause, le choix final du soutien massif des Etats devra se conformer aux principes de toute aide d’état, notamment celui de garantir une concurrence équitable sans distorsions. La doctrine de la Commission jusqu’à ces temps exceptionnels, n’a guère changé depuis en 1994. Celle-ci, adoptée à la suite de l’adoption du 3e paquet de mesures de libéralisation du transport aérien de passagers, dispose qu’« il est interdit à la compagnie aérienne recourant à un financement public de développer sa propre capacité au-delà de ce qu’exige l’évolution générale du marché ».
Les projets du directeur général d’Air France-KLM, de « participer activement à la phase de consolidation qui suivra », et ainsi prendre des participations au capital de compagnies low cost telles Norwegian ou Easyjet pourrait être déçus. D’autant que cette envie de participer à la recomposition du marché « post-Codiv19 », sera à envisager à l’aune des récentes décisions.
Le Groupe Air France-KLM était depuis quelques mois au cœur d’une actualité importante. D’une part, son choix de ne pas participer au sauvetage d’Aigle Azur et XL Airways faute de pouvoir conserver l’intégralité sinon la grande partie des créneaux aéroportuaires, ressources essentielles à l’activité aérienne alors que d’autre part, la Commission européenne acceptait par étapes, le rapprochement entre Virgin Atlantic, filiale de Delta depuis 2013 et d’Air France-KLM avec sa compatriote Flybe.
La série de faillites dans le secteur du transport aérien de passagers, essentiellement du fait de compagnies aériennes dite à bas-coûts, l’islandaise WOW, les françaises Aigle Azur ou XL Airways après les inquiétudes autour de Norwegian, ont mis en lumière des faiblesses du secteur que la pandémie risque fort d’accentuer.
On a pu envisager le rôle des charges en France et de la taxation spécifique du transport aérien français. Le premier réflexe des gouvernements européens a été de les suspendre pour améliorer à court-terme les trésoreries des compagnies et sauvegarder le plus possible l’atomisation du secteur avec la présence de plusieurs compagnies de petite taille (Corsair, Air Caraïbes, French Bee, Air Austral, Air Tahiti Nui…).
Mais l’immobilisation de la flotte des compagnies aériennes avec une perspective de reprise totale des vols dans une année a nécessité un soutien plus massif. Le niveau d’aide, la rapidité de sa mise en œuvre en tenant compte des engagements climatiques ont fait l’objet de nombreux débats. Et les atermoiements du gouvernement allemand au sujet de Luthsansa augurent certainement que la Commission européenne soit face à un dilemme : assouplir pour cause de circonstances exceptionnelles sa doctrine et mettre en avant l’intérêt pour l’Union européenne de soutenir ainsi de telles compagnies aériennes.
Car les réactions vives de certains concurrents tant français qu’étrangers augurent de contentieux à venir, rendant la tache fort compliquée pour les services de Margrethe VESTAGER.
Pascal Simon-Doutreluingne, Doctorant CEIE / Université de Strasbourg