Multilinguisme et PFUE2022: Etat des lieux dressé par le rapport Lesquesne, Olivia Tambou

Le programme de la Présidence française du Conseil de l’UE (PFUE2022) affirme que  » La présidence assurera (…) une promotion déterminée du multilinguisme tant dans les travaux du Conseil que lors des réunions organisées en France. » (cf. p. 3 ) Cette priorité accordée au multilinguisme se retrouve ensuite évoquée à deux reprises dans les développements consacrés à la culture de la PFUE2022. Elle est aussi présente dans le programme commun du trio de présidences du Conseil de l’UE entre la France, la République Tchèque, et la Suède. Ce document affirme que « Le multilinguisme, la traduction et les services d’interprétation seront promus afin de refléter la diversité linguistique des États membres et de rapprocher les personnes d’horizons linguistiques différents, notamment en encourageant l’étude de langues étrangères par les citoyens. » ( cf. p. 3) S’il est à ce stade difficile d’évaluer les progrès qui seront accomplis dans le cadre de la PFUE2022 en matière de promotion du multilinguisme, ce post se propose de présenter l’état des lieux et les propositions faites par le rapport dit Lequesne commandé par le gouvernement français lors de la préparation de la PFUE2022.

En effet, le 20 octobre 2021, le groupe de travail pour la francophonie et le multilinguisme présidé par le Professeur Christian Lequesne a remis son rapport aux secrétaires d’État chargé des français de l’étranger et de la francophonie (Jean-Baptiste Lemoyne) et celui chargé des affaires européennes (Clément Beaune). Ce rapport comporte une série de 18 recommandations pour un nouveau départ du multilinguisme dans les institutions européennes, à savoir :

  1. Ne pas considérer l’absence de modification du règlement 1/1958 comme un alibi pour contourner son application.
  2. Demander au secrétariat général de la Commission européenne de produire un rapport annuel sur la pratique du multilinguisme au sein de la Commission.
  3. Appeler à un débat sur le multilinguisme au sein du Parlement européen.
  4. Porter le débat sur le multilinguisme au sein de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
  5. Systématiser la présence de l’interprétation dans les groupes de travail du Conseil et de la Commission.
  6. Systématiser la traduction rapide des documents officiels dans toutes les langues.
  7. Assumer les coûts budgétaires de cette systématisation pour inverser une courbe descendante depuis 2016.
  8. Inciter les directeurs généraux des institutions européennes à pratiquer systématiquement le multilinguisme.
  9. Écrire davantage les documents sources en français et en allemand.
  10. Fixer une limite informelle de 50 % de documents sources écrits dans une seule langue de travail.
  11. Systématiser la troisième langue aux concours d’entrée EPSO.
  12. Veiller à ce que la limitation du nombre de langues ne soit pas un obstacle au déroulement des concours de la fonction publique européenne.
  13. Rendre plus exigeante l’obligation statutaire des connaissances linguistiques lors des nominations aux postes d’encadrement supérieur et intermédiaire.
  14. Aider la Cour de justice à la formation au français de son personnel.
  15. Appeler à l’application du règlement 1/1958 pour le fonctionnement interne du nouveau Parquet européen.
  16. Rendre systématique la consultation des sites web des institutions européennes dans toutes les langues officielles.
  17. Repenser l’outil E-Translation.
  18. Veiller à ce que tout contenu numérique officiel émanant des institutions européennes réponde à une obligation réglementaire de respect du multilinguisme.

En outre, le rapport propose 8 recommandations pour améliorer l’environnement multilingue européen (diversité et citoyenneté),

  1. Réaffirmer les bénéfices tirés de la formation du personnel des institutions européennes aux langues étrangères et particulièrement au français.
  2. Promouvoir la mobilité des fonctionnaires européens.
  3. Réaffirmer l’importance pour les États membres d’investir dans l’apprentissage des langues étrangères dès la petite enfance.
  4. Promouvoir la recommandation du Conseil du 22 mai 2019 sur l’apprentissage obligatoire de deux langues vivantes pendant la scolarité.
  5. Créer un événement visible lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne à l’occasion des trente-cinq ans d’Erasmus+.
  6. Surmonter les obstacles à la ratification en France de la Charte des langues régionales ou minoritaires.
  7. Concrétiser les engagements de soutien à la langue du partenaire prévus dans le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle.
  8. Donner de la visibilité à la Journée européenne des langues auprès des sociétés civiles des États membres.

Un aperçu global de ces propositions de bon sens laissera néanmoins le lecteur sur sa faim. Il est heureux que le groupe de travail se refuse à tenter de réformer le règlement 1/1958 portant fixation du régime linguistique de la CEE, et cherche des solutions opérationnelles plus souples permettant de remettre du multilinguisme là où il n’y en a plus assez. Pour autant, comment se départir de la solution de facilité de recourir au tout anglais quand les budgets de traduction et d’interprétation manquent. Le rapport souligne d’ailleurs que le Covid a accentué le recul du multilinguisme. Débattre autour des avantages du multiluinguisme comme barrière au populisme et à l’intolérance est sans aucun doute nécessaire mais est-ce suffisant?

L’intérêt principal de ce rapport est surtout de dresser un état des lieux solide du recul du multilinguisme dans les institutions européennes et de la domination de l’anglais en apportant des nuances, la situation étant inégale selon les institutions. Sans surprise, cette tendance est très prononcée à la Commission européenne. Ainsi, si en 1999, 34% des documents publiés par la Commission avait le français comme langue source, en 2019, ce chiffre est tombé à 3,7 %. En 2019 seuls 11,7 % des documents publiés au Parlement européen avaient le français comme langue source. Seule la Cour de Justice de l’UE pratique encore le multilinguisme. D’une part, le français y est la langue de communication interne, même si l’intérêt d’introduire l’anglais comme langue de délibéré est régulièrement débattu. D’autre part, la Cour est tenue de respecter les langues de procédures choisies par le requérant. De son côté, le nouveau parquet européen installé depuis juin 2021 a lui clairement opté pour le monolinguisme en anglais. Le rapport souligne également que la communication externe auprès des institutions est également de plus en plus faite en anglais, exception faite de la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui a un site multilingue grâce à l’interface E-Translation.

L’avenir du multilinguisme serait il à rechercher dans l’amélioration des technologies de traduction et interprétations automatiques ? Le rapport a la sagesse de proposer le développement de ces outils en complément de l’amélioration de l’apprentissage des langues et non en substitution. Dans un cas comme dans l’autre le multilinguisme a un coût direct qu’il est parfois difficile de mettre en balance avec des avantages sociétaux qui pour beaucoup restent flous. C’est cette tension qui explique que jusqu’à présent l’on n’ait guère progressé en la matière.

On ne peut que saluer le travail d’analyse de ces 16 experts de la société civile qui ont contribué à ce rapport et leur volonté de débattre du multilinguisme notamment autour de la Présidence Française. Il reste à espérer que ces propositions comme d’autres faites précédemment ne resteront pas lettre morte.

La prochaine étape sera sans conteste le forum « Innovation, technologies et plurilinguisme » organisé du 7 au 9 février 2022 par le Ministère de la Culture à Lille. Ce forum devrait selon les organisateurs « réunir 400 acteurs français, européens et internationaux de la traduction, des technologies du langage, du numérique et de l’intelligence artificielle au service du plurilinguisme. Le fil conducteur du forum sera « le plurilinguisme dans l’environnement numérique : un enjeu de cohésion sociale et de citoyenneté européenne. Les questions de la traduction, du traitement du langage, de la recherche et de l’innovation, de la diversité linguistique, de la découvrabilité des contenus, des technologies pour l’apprentissage des langues seront également abordées. » ( cf. site internet de la PFUE2022 )

Blogdroiteuropéen reviendra sur la manière dont la PFUE2022 a finalement et concrètement permis d’avancer dans la promotion du multilinguisme. Si certains d’entre vous souhaitent contribuer sur cette thématique qu’ils n’hésitent pas à nous contacter à blogdroiteuropeen@gmail.com.

Pour en savoir plus sur la PFUE cf. notre post précédent: Libres propos sur la PFUE2022

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