Du linéaire au circulaire, du déchet au produit, du droit européen au droit interne : flux et reflux !, Rémi Radiguet

Eliminer. Déchu de son statut de « produit », le « déchet » reste néanmoins un bien au sens juridique du terme qu’on voudrait ne plus voir. Arrivé en fin de chaine d’un modèle de consommation linéaire consistant à « extraire, fabriquer, consommer et jeter » (art. L.110-1 C. env.), le déchet a été initialement appréhendé comme le bien à éliminer.

Les premières réglementations traitent donc principalement de son élimination. La directive du Conseil du 15 juillet 1975 relative aux déchets n’indique pas autre chose en affirmant en son article 4 que « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans porter préjudice à l’environnement ». Même date, autre texte, la loi n°75-633 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux ne préconise pas autre chose. Dans un cas comme dans l’autre, la santé de l’homme devance les questions environnementales même si ces dernières ne sont pas totalement absentes des textes. Imbriquées plus que concurrentes, ces deux catégories d’exigences d’intérêt général justifient d’un point de vue individuel une certaine traçabilité des opérateurs et d’un point de vue plus global un suivi des déchets qui se traduit par la mise en œuvre de plans censés organiser leur gestion (art. 6 de la directive et art. 10 de la loi).

Hiérarchiser. Véritable baromètre de la croissance économique et reflet de notre mode de consommation, le déchet s’est diversifié à la mesure de la diversification et de l’augmentation des produits manufacturés. L’acception négative du déchet s’est progressivement estompée afin que celui-ci soit perçu et utilisé comme ressource participant à l’avènement d’une nouvelle « société du recyclage » (préambule, point 28, directive n°2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets). Au cœur de cette approche, l’adoption d’une hiérarchie de traitement des déchets donne le cap. La directive du Conseil n°91/156/CEE du 18 mars 1991 précise en son article 3 que les États membres doivent promouvoir « en premier lieu, la prévention ou la réduction de la production des déchets et de leur nocivité […] en deuxième lieu la valorisation des déchets par recyclage, réemploi, récupération ou toute autre action visant à obtenir des matières premières secondaires ou l’utilisation des déchets comme source d’énergie ». Plus évasive, la loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 indique en son article premier sensiblement la même chose tout en renforçant cette hiérarchie, par une interdiction d’enfouir des flux de déchets pouvant être valorisés (art. 1er, II et III de la loi n°92-646). Dès lors, la hiérarchie n’a eu de cesse de se perfectionner au fur et à mesure des réformes, afin qu’in fine, le déchet ne soit que portion congrue. Pour ce faire, elle se voit accoler des objectifs chiffrés ambitieux à atteindre tant au niveau européen qu’au niveau national. L’article L. 541-1 dans sa version modifiée par la loi du 10 février 2020 dite « AGEC » et la loi du 22 aout 2021 dite « climat et résilience » prévoit divers objectifs dont certains reprennent évidemment ceux européens : – 15% des quantités de déchets ménagers et assimilés par habitant en 2030 par rapport à 2010 ; 65% de valorisation matière des déchets non dangereux non inertes en masse en 2025 ; 65% des déchets ménagers faisant l’objet d’une préparation en vue du réemploi en 2035 ; valorisation matière de 70% des déchets du bâtiment en 2020 ; valorisation énergétique de 70% des déchets ne pouvant faire l’objet d’une valorisation matière d’ici à 2025…

Séparer pour mieux responsabiliser. Dans cette transition vers plus de circularité, le respect des différentes étapes suppose une séparation accrue des flux de déchets pour en permettre un traitement approprié. Séparer est une exigence qui mobilise la société dans son ensemble pour développer les collectes sélectives des déchets par le biais du service public – papier, métal, plastique, verre, textile biodéchets – mais aussi en dehors avec le développement des filières « Responsabilité élargie au producteur » (REP) qui imposent aux producteurs, fabricants, distributeurs de s’organiser en filière afin de gérer les déchets issus de leurs produits. Papiers, piles jouets, médicaments, pneus, textiles, équipements électriques et électroniques… la liste prévue à l’article L.541-10-1 et insufflée là encore par le droit européen ne cesse de s’allonger pour concerner 22 catégories de produits.

Augmenter le reflux. L’objectif bien compris est de permettre une « utilisation prudente, efficace et rationnelle des ressources naturelles » (pt. 1, préambule de la directive 2018/851) qui se traduit par un changement de paradigme consistant à reconnaitre le déchet comme « ressource » quand il ne s’agit pas d’organiser la sortie de son statut pour une réhabilitation en tant que bien. Aussi le même article L.541-1 du code de l’environnement fixe les objectifs de réduction de 50% des quantités de produits manufacturés non recyclables mis sur le marché avant 2020 et de 100% de plastique recyclé d’ici le 1er janvier 2025. Hors les frontières de la réglementation environnementale, la mise en place d’une société du recyclage suppose l’utilisation de matières recyclées pour la fabrication des produits afin que « la boucle soit bouclée ». Ceci explique que le législateur prévoit d’imposer un taux minimal d’incorporation de matière recyclée dans certains produits et matériaux (art. L.541-9 c. env.). Dans la même veine, le droit de la commande publique y contribue grandement non seulement en privilégiant l’achat de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou comprenant des matières recyclées au pourcentage variable selon les produits (art 58 loi AGEC) mais aussi en orientant la politique d’achats par une analyse du coût du cycle de vie des biens (art. 36 loi « climat et résilience »).

Limiter le flux. Faire revenir les déchets dans le champ des produits constitue l’une des deux faces d’une même médaille que donne triomphante l’économie circulaire. L’autre, consubstantielle, consiste à éviter qu’un déchet n’advienne. Au centre de cette préoccupation, la longévité des produits. Apparaissent alors de nouvelles règles relatives à l’obsolescence programmée, à la réparabilité des produits afin d’assurer la disponibilité des pièces de rechanges et corrélativement à l’information du consommateur pour qu’il fasse un choix éclairé. Parce que la linéarité est synonyme de mort, le mouvement est enclenché pour que notre mode de vie atteigne l’objectif d’une empreinte écologique neutre respectueuse des limites planétaires (art. L.110-1 c. env.). Flux et reflux non sans rappeler que ce qui sort de terre à vocation à y retourner…comme un retour pour la Terre !

Rémi Radiguet, Maître de conférences en droit public, Université de Perpignan Via Domitia, CDED (EA 4216), Chercheur associé à l’IMH (EA 4657) de l’université de Toulouse 1 Capitole et au CRJ (EA 14) de l’université de La Réunion

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