Ma thèse en 180 secondes version blogdroiteuropéen – par Louis Feilhes

Ma thèse en 180 secondes est un concours dont le but est de présenter les propos d’une thèse de doctorat au grand public. Les doctorants ont 3 minutes pour convaincre leur auditoire et lui faire comprendre en termes simples et clairs le thème de leur projet de recherche.

Dans la version blogdroiteuropeen d’aujourd’hui, Louis Feilhes nous explique en quoi consiste sa thèse de doctorat. Vous n’aurez besoin que de 3 minutes pour parcourir ce post et comprendre le sujet et l’objectif de sa thèse intitulée « Le principe d’équivalence en droit de l’Union européenne». Prêt(e) ?

Top chrono. 

Jusqu’à quel point le droit de l’Union européenne est-il intégré dans les systèmes juridiques nationaux ? Peut-on encore prétendre qu’il s’agit d’un « droit venu d’ailleurs », un corps étranger greffé aux ordres juridiques nationaux et à tout moment susceptible d’en être rejeté ? À l’évidence, le juriste de droit de l’Union comprend ces questions comme des négations de l’idée d’intégration européenne. Nombreux sont les principes, les notions et les mécanismes qui, plus ou moins directement, plus ou moins efficacement, permettent d’assurer une imbrication durable et harmonieuse du droit de l’Union dans les systèmes juridiques nationaux. Le « principe d’équivalence », étudié dans la thèse, est l’un d’eux.

Affirmer une telle chose n’est toutefois pas évident. Tel que défini dans la jurisprudence de la Cour de justice, le « principe d’équivalence » se présente comme une exigence très modeste. Il s’agit d’interdire aux États membres, lorsqu’ils appliquent les règles européennes, de prévoir des modalités procédurales qui seraient moins favorables que celles applicables pour la mise en œuvre de règles similaires purement nationales. En somme, il faut éviter une forme de traitement discriminatoire du droit européen. Par défaut, l’État doit traiter, appréhender, appliquer, mettre en œuvre, exécuter une règle européenne de la même manière, selon les mêmes modalités et procédures, que s’il s’agissait d’une règle purement nationale. Par exemple, il y aurait violation du principe d’équivalence si des délais très courts étaient imposés à un recours en responsabilité de l’État ayant violant le droit de l’Union en comparaison des délais prévus pour un recours en responsabilité fondé sur une violation de la Constitution.

Ainsi présenté, le principe d’équivalence se pare d’une ambition assez limitée pour l’intégration européenne. En forçant le trait, on pourrait presque dire qu’il n’a qu’une fonction symbolique, voire décorative. Pour cause : présent depuis 1976 dans la jurisprudence européenne, il n’a jamais été étudié en tant que tel par la doctrine ; on compte sur les doigts d’une main les arrêts de la Cour de justice dans lesquels le principe est un point important de la décision rendue ; enfin, les juges nationaux semblent mal connaître ce principe, tant il est absent des jugements nationaux rendus. En somme, le principe d’équivalence semble inspirer une forme d’indifférence.

Cette indifférence s’explique pour différentes raisons. L’application du principe d’équivalence se heurte à des obstacles et difficultés conséquents. Jusqu’à quel point peut-on affirmer que l’application d’une règle européenne est « similaire » ou « équivalente » à celle d’une règle purement nationale ? Comment apprécier concrètement cette « similitude » ? Plus encore, envisager à l’heure actuelle des situations incompatibles avec le principe d’équivalence s’avère improbable. Il n’existe pas vraiment de recours, de procédures, de mécanismes nationaux prévus uniquement pour permettre l’application du droit de l’Union et qui aurait des équivalents pour l’application de règles purement nationales. Presque par souci d’avoir une cohérence du système juridique national, ou pour éviter des complications inutiles, les modalités procédurales nationales s’appliquent indistinctement au droit de l’Union ou au droit purement national. Enfin, si d’éventuelles divergences existent, elles sont souvent à l’avantage du droit de l’Union.

Le constat devient alors péremptoire : la manifestation des effets du principe d’équivalence est rarissime et de l’ordre de l’improbable. Cependant, ce serait une erreur que d’en déduire que sa fonction, voire son existence, est risible ou anecdotique. Ce n’est pas parce qu’un filet de sécurité n’a jamais servi à l’équilibriste sur son fil qu’il n’a aucun intérêt. Bien au contraire, il constitue une garantie constante en cas d’accident ou d’un écart, même improbable, de l’artiste. Disons-le : le principe d’équivalence doit se comprendre comme un filet de sécurité, une garantie en toile de fond et à la présence diffuse que, en toutes circonstances, l’application du droit de l’Union ne sera pas défavorisée par un État membre.

Cette nouvelle perspective dévoile ainsi des “profondeurs d’intégration cachées” (selon une expression de Michael Dougan), révélant l’utilité réelle du principe d’équivalence. Sa fonction première est évidemment de préserver l’effet utile du droit de l’Union, en interdisant des entraves procédurales imposées injustement par l’État membre, simplement parce qu’il s’agit d’appliquer une règle d’origine européenne. Le champ d’application du principe d’équivalence est également plus étendu qu’il paraît et touche à des domaines insoupçonnés. Par exemple, c’est bien le principe d’équivalence qui commande que des sanctions pénales équivalentes soient prévues en cas de violation du droit de l’Union ou du droit purement national. Enfin, l’exigence du principe d’équivalence s’avère opportunément peu contraignante. Si un État faillit et viole le principe, le correctif requis est simple : il suffit d’appliquer à la mise en œuvre de la règle européenne le régime procédural qui existe déjà et qui est prévu pour la mise en œuvre du droit purement national.

La combinaison de tous ces éléments conduit ainsi à banaliser le droit de l’Union au sein des ordres juridiques nationaux. En effet, le principe d’équivalence ne commande rien de plus que de traiter les règles européennes avec la même verve, avec le même entrain, la même diligence que les règles purement nationales. En interdisant tout traitement spécifique et injustifié prévu à leur égard, le principe d’équivalence participe ainsi, d’une manière très “soft” et originale, à faire en sorte que le droit de l’Union ne soit plus vu – et surtout traité – comme un corps étranger dans les États membres.

Au bout du compte, si le principe d’équivalence est assez peu appliqué et sanctionné, c’est peut-être parce que la greffe a pris ; et si jamais, de manière occasionnelle ou intempestive, un risque de rejet était à craindre, le principe d’équivalence pourrait alors intervenir pour y remédier.

…3, 2, 1, le temps de ce post est écoulé.

Louis Feilhes est maître de conférences en droit public  à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne. La publication de sa thèse est prévue pour février 2023 (éditions Bruylant).

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