Alors que la COP 27 a débouché sur un accord en demi-teinte qui n’inversera pas la tendance au réchauffement global, un autre traité, moins connu du grand public, agite depuis plusieurs mois le landerneau politique européen. Conclu à la fin de la Guerre froide, en 1994, en vue de garantir la transition politique et économique des marchés de l’énergie dans les pays d’Europe centrale et orientale et de la défunte URSS, le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) comporte un règlement des différends entre les investisseurs et les États (mieux connu sous l’acronyme « ISDS », « Investor-to-State Dispute Settlement »). Ce traité a été conclu à l’époque par l’Union européenne (UE) et ses États membres. Ainsi, les États parties au TCE ont-ils consenti, dans le dessein d’attirer les investisseurs étrangers, à soustraire les litiges d’investissement à la compétence de leurs propres juridictions. Grâce à ce mécanisme, un fonds d’investissement dont le siège se trouve sur le territoire d’un État partie au traité (par exemple, au Danemark) peut, en cas de litige concernant ses investissements en matière d’énergie sur le territoire d’un autre État contractant (l’Espagne), introduire un recours contre cet État devant un tribunal arbitral ad hoc. À la différence de l’arbitrage commercial, ces tribunaux sont institués en vertu du TCE lui-même et leur saisine n’est pas laissée à la libre volonté des États parties au TCE. Le recours à l’arbitrage privé en lieu et place des juridictions ordinaires est censé garantir un règlement rapide et impartial des différends qui opposent les investisseurs aux autorités de l’État où l’investissement a lieu.
En raison du montant des compensations accordées par ces tribunaux, de la rapidité des procédures ainsi que de leur confidentialité, l’ISDS du TCE a dépassé les attentes de ses auteurs, puisqu’il a d’ores et déjà donné lieu à plus de 145 litiges, dont plus de 70 % se rapportent à des différends intra-UE. Les tarifs espagnols accordés à la production d’énergie verte ont été la principale cible des investisseurs privés au motif que la diminution de leur subvention à la suite de la crise budgétaire a pu porter atteinte à leurs attentes légitimes. En 2012, Vattenfall a réclamé à l’Allemagne un montant de 4,7 milliards d’euros pour compenser ses pertes prétendument subies en raison de la fermeture progressive des réacteurs nucléaires qu’elle exploite dans ce pays. Par ailleurs, les société RWE et UNIPER ont réclamé en 2021 aux Pays-Bas des compensations totalisant 3,5 milliards d’euros en raison de l’abandon progressif du charbon d’ici 2030. Quarante litiges intra-UE sont eux actuellement pendant. Le TCE constitue ainsi l’accord d’investissement qui engendre le plus grand nombre de procédures d’arbitrage ISDS. Le TCE a été mis à rude épreuve à la suite d’une campagne menée par des ONG et en raison de l’exaspération de la part de certains États membres faisant face à des procédures d’arbitrage.
Dotée récemment d’une Loi sur le climat, l’UE est en passe d’adopter, dans le cadre du programme Fit for 55, une douzaine d’actes législatifs qui devraient accélérer la décarbonisation de la production énergétique. Si ces mesures auront pour effet d’accroître les investissements dans les énergies vertes, elles entraîneront en revanche un déclin significatif des investissements dans les énergies fossiles à travers l’Europe et, partant, affecteront les droits conférés par le TCE aux investisseurs étrangers. Or, d’après ses critiques, le TCE ferait peser, par le biais de son mécanisme d’arbitrage privé, une épée de Damoclès sur les autorités nationales qui décideraient de s’affranchir des combustibles en vue d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Leurs craintes sont-elles exagérées ?
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