Les impacts environnementaux du spatial dans le viseur réglementaire de la Commission européenne, par Djilali Taïar

Aujourd’hui, de nombreux services dépendent des activités menées dans l’espace extra-atmosphérique : prévisions météorologiques, aide à la navigation, télévision, fourniture internet à haut-débit dans les zones blanches ou les transports, observations de la Terre à des fins scientifiques et militaires… Les activités spatiales n’étant pas exemptes de conséquences environnementales, la Commission européenne entend limiter leurs impacts afin de garantir une utilisation durable de l’espace extra-atmosphérique.

Un EU Space Law sur la base de lancement

Bien que l’Agence Spatiale Européenne (ASE) développe des programmes spatiaux tels que Copernicus ou Galileo sous les auspices de l’Union européenne (UE), les activités spatiales ne sont couvertes par aucune réglementation harmonisée. Au contraire, les règles applicables au marché européen sont actuellement fragmentées : pas moins de onze États membres* ont adopté une législation spatiale nationale, dont la France avec une loi de 2008. Leur objet vise principalement à garantir le respect de l’article VI du Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967, ouvert à la signature des seuls États et non des organisations internationales, et en vertu duquel les États doivent autoriser puis surveiller les objets spatiaux qu’ils envoient dans l’espace extra-atmosphérique.

Face à cette mosaïque de législations nationales, la Commission souhaite harmoniser les règles applicables aux activités spatiales dans l’UE. Faute de compétences spéciales en matière d’activités spatiales, elle entend se fonder sur l’article 114 du TFUE pour rapprocher les législations nationales afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

Si la forme que pourrait prendre cette réglementation et son contenu ne sont pas encore déterminés, la consultation publique organisée à ce sujet pendant les mois d’octobre et novembre 2023 confirme l’intention d’édicter de nouvelles règles communautaires pour encadre le marché de l’industrie spatiale. Selon la Commission, il est désormais nécessaire d’harmoniser les législations des États membres pour mettre en œuvre l’objectif de « renforcer la sûreté, la résilience et la viabilité de toutes les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique » du programme spatial de l’UE.

Derrière ces termes généraux, la Commission entend apporter des réponses juridiques à des problèmes concrets : saturation de l’espace extra-atmosphérique avec le déploiement des constellations de satellites internet telles que Starlink ou bientôt le projet européen Iris²**, risques accrus de collisions, menaces militaires avec les missiles anti-satellites, vulnérabilité face aux cyberattaques… Les impacts environnementaux croissants des activités spatiales sur Terre et dans l’espace extra-atmosphérique attirent également l’intention sur la nécessité de faire évoluer le cadre juridique afin de mesurer et surveiller leur évolution.

Les acteurs européens du spatial favorables mais…

Le processus d’adoption d’un EU Space Law ne devrait pas rencontrer de difficultés insurmontables, l’industrie aérospatiale européenne ayant explicitement manifesté son enthousiasme pour une telle initiative. Par la voix d’associations professionnelles (ASD-Eurospace, EARSC, YEESS), les entreprises du secteur ont souligné que le morcellement actuel des législations nationales perturbait le marché spatial européen.

Néanmoins, elles ont également exprimé leurs inquiétudes à propos de leur compétitivité sur la scène mondiale. Tout d’abord, elles ne veulent pas que le champ d’application de la future législation soit limité aux seuls opérateurs européens, c’est-à-dire aux opérateurs établis dans l’UE qui déploient des objets spatiaux afin de fournir leurs services. Elles plaident au contraire pour l’étendre à tous les acteurs fournissant des services spatiaux sur le territoire européen, sans considération pour leur nationalité. Ensuite, elles souhaitent échelonner les potentielles nouvelles exigences dans le temps afin de ne pas affecter les projets existants. Enfin, elles appellent la Commission à proposer des règles qui n’induiraient aucun coût supplémentaire de leur part, ou, si c’est le cas, à faire peser ces surcoûts sur le contribuable.

Or, ce dernier point risque d’être une pierre d’achoppement lors des futures discussions, car la Commission a expressément souligné le fait que les nouvelles exigences pourraient entraîner une augmentation des coûts de conception et d’exploitation. Reste à savoir si cette question pourrait mener à un affaiblissement des exigences environnementales.

Les débris spatiaux, marqueurs d’une utilisation insoutenable de l’espace

Le secteur contribue significativement au changement climatique et ses activités entraînent une pollution lumineuse qui crée des conflits d’usages avec les astronomes. Cependant, la Commission souligne qu’aucune méthodologie d’évaluation ne permet actuellement « de connaître et de comparer l’impact environnemental des activités spatiales sur la Terre et dans l’espace ».

Le principal souci provient des objets spatiaux qui ne sont plus opérationnels, mais qui continuent à être en orbite autour de la Terre : les débris spatiaux. Leur prolifération attendue*** avec le déploiement des constellations de satellites internet inquiète la communauté internationale. Dans une étude d’octobre 2023, l’université des Nations unies alertait l’humanité sur le fait qu’elle se trouvait actuellement à un point de bascule (tipping point) au regard de la quantité de débris spatiaux en orbite. Plus il y a de débris spatiaux, plus le risque de collision augmente, ce qui pourrait conduire à une réaction en chaîne à un point tel qu’il deviendrait impossible de placer de nouveaux engins dans l’espace. Or, l’université des Nations unies rappelle qu’un grand nombre de services terrestres (prévisions météorologiques, surveillance de l’évolution du climat…) dépendent de la mise en orbite de satellites d’observation. Dans un tel scénario, l’humanité se retrouverait dans l’incapacité de prévenir des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et intenses sous l’effet du changement climatique.

Actuellement, aucune règle internationale n’oblige les acteurs de l’industrie spatiale à prendre des mesures concrètes pour remédier à l’augmentation des débris spatiaux en orbite. Seules des lignes directrices d’application volontaires ont été adoptées, comme les Lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique des Nations unies, ou plus récemment la Charte Zéro Débris développée par l’ASE. Malgré l’existence de ces guides de conduite, seuls 60 % des opérateurs de l’orbite terrestre basse les respectent volontairement, et cette proportion descend à 20 % pour les autres orbites. Relevant « qu’il est peu probable qu’un cadre juridique au niveau international se concrétise dans un avenir proche » pour garantir une utilisation viable de l’espace, la Commission entend agir.

Quel niveau de protection pour l’environnement terrestre et extra-atmosphérique ?

Entre la promotion d’engagements volontaires, l’adoption de mesures incitatives ou des prescriptions techniques contraignantes, toutes les options sont encore sur la table. Face aux réticences d’ores et déjà manifestes de l’industrie spatiale à l’égard d’une réglementation environnementale trop coûteuse, il appartient désormais à la communauté scientifique et, plus largement, à la société civile de plaider auprès de la Commission pour que soient adoptées des mesures environnementales ambitieuses (la prochaine période de contribution est attendue pour le 1er trimestre de 2024).

L’adoption de prescriptions environnementales contraignantes ne semble pas pour autant être un horizon indépassable. Aux États-Unis, le mois dernier, la Commission fédérale des communications a commencé à sévir en matière de débris spatiaux, en infligeant une amende de 150 000 $ à l’entreprise de télévision par satellite Dish Network. Cette dernière a échoué à déplacer son satellite en fin de mission sur une orbite de rebut sécurisée, le laissant dans une zone où la présence de débris augmente les risques de collision avec les futurs engins placés en orbite géostationnaire.

À l’article 4 du règlement de 2021 établissant le programme spatial de l’Union, l’UE indique travailler sur la « mise au point et le déploiement des technologies d’élimination » des débris spatiaux, dans la continuité du contrat passé en 2019 par l’ASE pour développer un marché d’élimination des débris. Si la volonté de retirer ces déchets de l’espace est louable, elle ne dispense pas pour autant l’UE de prévenir leur production afin d’atteindre un niveau de protection élevé comme l’exige l’article 114 du TFUE. Des solutions techniques émergent et certaines réglementations nationales intègrent des exigences de conception. Des mesures d’écoconception des objets spatiaux pourraient ainsi être mises en œuvre, conformément au principe de correction par priorité à la source prévu à l’article 191 du TFUE. À l’UE de se les approprier dans le cadre du marché unique pour paver à son tour la voie vers une utilisation soutenable de l’espace extra-atmosphérique, faute de prévenir sa saturation…

Pour aller plus loin

* Outre la France susmentionnée, les États membres de l’UE ayant développé une législation spatiale nationale sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal et la Suède.

** Sur la constellation Iris² : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/18/bruxelles-donne-le-coup-d-envoi-d-iris-sa-constellation-de-satellites-concurrente-de-starlink_6150455_3234.html

*** L’université des Nations unies indique que 100 000 satellites en orbite sont attendus d’ici 2030, contre seulement 8 300 satellites fonctionnels aujourd’hui.

Doctorant en droit public, Djilali Taïar effectue une thèse sur l’appréhension des activités numériques en droit de l’environnement. Il est rattaché au Centre Droit Éthique et Procédures (CDEP – UR 2471) de l’université d’Artois, établissement au sein duquel il est également chargé d’enseignements. Il est aussi membre du groupe de travail « Politiques environnementales du numériques » (Centre Internet et Société, CNRS, GDR 2091) et écrit occasionnellement des articles d’actualité sur des thématiques au croisement de la protection de l’environnement, des nouvelles technologies et de la surveillance. »

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