La communauté politique européenne, Houry MOUSISIAN

Lancée à l’initiative et sous l’égide de la présidence française de l’Union européenne en 2022 (ci-après « PFUE »), la communauté politique européenne (ci-après « CPE ») semble se consolider au gré des sommets européens qui lui étaient dédiés, dont le dernier s’est tenu à Grenade le 5 octobre 2023.

Encore à l’état de concept, ses objectifs sont à l’heure actuelle globaux et manquent clairement de précision. Ceci s’explique par le contexte qui l’a vu naître, marqué par la guerre en Ukraine et la volonté de celle-ci d’adhérer à l’Union européenne (ci-après « Union »). A l’occasion du Sommet européen de Versailles sur « l’avenir de l’Europe » des 10 et 11 mars 2022, la PFUE avait proposé de lancer une CPE pour apporter une réponse provisoire à cette demande d’adhésion (Cf. Post de Houry MOUSISIAN). Il se posait déjà la question de savoir si cette nouvelle structure allait constituer une nouvelle antichambre ou une alternative à l’adhésion à l’Union.

L’avis favorable de la Commission européenne à l’octroi du statut de pays candidat à l’Ukraine et à la Moldavie le 17 juin 2022, n’a pas empêché le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, d’approuver, d’une part, la proposition de lancer la CPE et, d’autre part, d’accorder à ces deux pays le statut sollicité de leur part.

Si l’objectif réel de cette nouvelle structure, composée des 27 États membres ainsi que quasiment de l’ensemble des pays européens, demeure flou quant au fait de savoir si elle constitue ou non une nouvelle étape vers l’adhésion à l’Union, il semblerait néanmoins que la CPE et la question de l’adhésion de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie avancent séparément ; mais malgré tout concomitamment.

Ayant été lancée à l’initiative de l’Union, qui conçoit la CPE tout à la fois comme un « projet d’intégration centré sur elle » et « comme une alliance géopolitique », celle-ci a la charge de lui donner les impulsions nécessaires pour son avancement (I). Néanmoins, elle demeure encore à l’état de concept (II).

I – Le lancement de la CPE, une initiative de l’Union européenne

L’émergence de la CPE s’explique essentiellement par le contexte géopolitique actuel au regard duquel elle constitue une réponse (A). Toutefois, la circonstance qu’elle soit une réponse spontanée à un contexte particulier a pour effet de rendre ses objectifs globaux (B).

A) Le contexte de l’émergence d’une nouvelle structure européenne

La CPE apparaît comme une réponse provisoire à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine en février 2022 et aux demandes d’adhésion à l’Union qui s’en sont suivies. Outre l’Ukraine,  la Géorgie et de la Moldavie ont également posé leur candidature à l’adhésion en raison des conflits qui les opposent à la Russie laquelle soutient les régions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud pour l’une et la région de la Transnistrie pour l’autre. Aujourd’hui, ces trois pays se sont vus octroyés le statut de pays candidat à l’adhésion.

Elle a également permis à l’ensemble des participants de se concerter afin de tenter de résoudre les répercussions de cette guerre concernant notamment la crise migratoire et surtout énergétique. La recrudescence des violences et l’instabilité relatives aux conflits du Haut-Karabakh et du Kosovo ont également incité l’Union à créer la CPE.

Ainsi qu’il avait été relevé dans un précédent papier (Post de Houry MOUSISIAN), c’est dans le cadre de la PFUE2022 que le Président Emmanuel Macron a proposé le 9 mai 2022 lors de la fête de l’Europe une alternative à l’adhésion par la création d’un « Communauté politique européenne » (Cf. Déclaration d’Emmanuel Macron, 9 mai 2022). Il avait alors justifié cette solution par le fait que le processus d’adhésion de ce pays en guerre prendra « plusieurs décennies » avant d’aboutir (Ibid.).

L’objectif de cette nouvelle politique serait selon les termes du Président français de permettre « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs, de trouver un nouvel espace de coopération, en matière de politique, de sécurité, d’énergie, de transport, d’investissement, d’infrastructures, de libre circulation des personnes » (Ibid.). Autrement dit, il s’agit de faire bénéficier ces pays de coopérations accrues avec les autres États européens avant une éventuelle adhésion.

Le projet de la CPE sera approuvé par le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 (Conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022). Dans ses conclusions, le Conseil européen considère que « Le but est d’offrir une plateforme de coordination politique pour les pays européens à travers le continent. Cette plateforme pourrait concerner tous les pays européens avec lesquels nous entretenons des relations étroites. / L’objectif serait de favoriser le dialogue politique et la coopération afin de répondre aux questions d’intérêt commun, de manière à renforcer la sécurité, la stabilité et la prospérité du continent européen. / 2. Ce cadre ne remplacera pas les politiques et instruments existants de l’UE, notamment l’élargissement, et il respectera pleinement l’autonomie décisionnelle de l’Union européenne. / 3. Sur la base de ce premier échange de vues, le Conseil européen reviendra sur cette question » (Ibid.).

Cette présentation ne définit pas clairement la forme juridique de la CPE. Tout au plus, le Conseil européen la qualifie de « plateforme de coordination politique» ou de « cadre » qui n’a pas pour vocation de remplacer une organisation, une structure ou un processus existants (Réunion de la Communauté politique européenne, 5 octobre 2023).

Elle regroupe désormais 47 États dont les 27 États membres de l’Union, l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, l’Islande, le Kosovo, le Liechtenstein, la Moldavie, Monaco, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Norvège, Saint-Marin, la Serbie, la Suisse, la Turquie, l’Ukraine et le Royaume-Uni.

Bien que la CPE ne soit « ni l’Union européenne, ni le Conseil de l’Europe », elle constitue néanmoins une nouvelle structure née à l’initiative de l’Union et placée sous son égide. D’ailleurs, le conseil européen affirme dans ses conclusions que l’autonomie décisionnelle de l’Union sera pleinement respectée, comme s’il était veillé à ce qu’elle soit l’actrice principale donnant le tempo aux autres acteurs. C’est elle qui organise les réunions semestrielles au cours desquelles elle s’attache à préciser les objectifs.

B) Des objectifs globaux

Après trois réunions (à Prague en octobre 2022, à Bulboaca en Moldavie en juin 2023 et à Grenade en octobre 2023), les objectifs de la CPE demeurent encore à ce jour imprécis et généraux si bien qu’il n’est toujours pas question de parler d’une mise en application de la CPE. Rappelons-le, la CPE ne constitue pas une nouvelle politique telle que la politique européenne de voisinage mais plutôt « une nouvelle structure de sécurité en Europe ».

Cette situation s’explique par le fait que les principaux acteurs de la CPE avaient surtout la volonté, à travers ce nouveau cadre, de faire preuve d’unité avec l’ensemble des pays du continent européen face à la Russie. Dès lors, il semble que l’objectif global de la CPE est de favoriser un repositionnement géopolitique des pays participants pour faire bloc contre les belligérants.

La CPE ne constitue donc pas un cadre juridique, mais plutôt géopolitique. A cet égard, il convient surtout de relever l’absence de texte normatif contraignant propre à la CPE, ou du moins qui serait issu du droit souple. En effet, aucun document tel qu’une déclaration commune ou un plan d’action n’annonce son lancement ou ne fixe ses objectifs.

Pour dégager les objectifs de la CPE, il faut se référer aux textes normatifs propres à l’Union tels que les conclusions des 23 et 24 juin 2022 susvisés ou encore aux discours prononcés par les principaux acteurs de l’Union, tel que par le président du Conseil européen Charles MICHEL (intervention du 6 octobre 2022).

Concrètement, le Conseil européen attribue au CPE deux objectifs globaux (Conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022) :

  • Favoriser le dialogue politique et la coopération afin de répondre aux questions d’intérêt commun ;
  • Renforcer la sécurité, la stabilité et la prospérité du continent européen.

Cette imprécision quant à ses objectifs a nécessairement un impact sur l’institutionnalisation de la CPE qui demeure encore aujourd’hui une idée générale et abstraite.

II – Une CPE encore à l’état de concept

Ainsi qu’il a été dit supra, la CPE se construit au gré des réunions semestrielles qui lui sont consacrées. Tel est aussi le cas au sujet de son organisation et de son fonctionnement (A). L’imprécision générale concerne également l’objectif ultime de la CPE et notamment le fait de savoir si elle constitue une antichambre à l’adhésion à l’Union (B).

A) Une organisation et un fonctionnement à déterminer

Comme pour ses objectifs, l’organisation et le fonctionnement de la CPE ne sont fixés par aucun document ; son action est donc essentiellement coutumière.

Ainsi, il est d’usage que les participants se réunissent en « sommets de la Communauté politique européenne » environ tous les six mois. Ces sommets, souvent sobrement appelés « réunions », font fonctionner la CPE comme « un forum de dialogue et de coopération entre l’Union européenne et les pays voisins pour aborder des questions d’intérêt commun», autrement dit, la plateforme CPE se conçoit comme un forum de discussion intergouvernemental.

A ce jour, trois réunions ont eu lieu :

  • La première à Prague le 6 octobre 2022, qui a surtout eu pour but d’apporter une réponse immédiate à la guerre en Ukraine,
  • la deuxième à Bulboaca le 1er juin 2023 qui visait à apporter un soutien à l’Ukraine et à la Moldavie, et
  • la troisième à Grenade le 5 octobre 2023 qui avait pour objet de « consolider le nouveau forum de dialogue en Europe ».

Durant ces réunions, se tiennent des séances plénières sur des questions stratégiques telles que sur l’avenir de l’ensemble de l’Europe lors de la réunion à Grenade, des tables-rondes thématiques au cours desquelles les dirigeants abordent des questions telles que la paix et la sécurité ou encore les questions économiques.

La CPE fonctionne aussi comme un forum de rencontres informelles entre dirigeants européens, c’est-à-dire de réunions bilatérales. Par exemple, lors de la première réunion à Prague en octobre 2022, la CPE a permis de mettre en place une mission civile menée par l’Union aux frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan concernant le conflit du Haut-Karabakh. Cette mission avait été rendue possible grâce à une rencontre avec le président azerbaïdjanais et le premier ministre arménien ; ce qui n’empêchera pas pour autant la reprise du conflit et la prise de l’enclave par la voie militaire un an plus tard par l’Azerbaïdjan. D’ailleurs, en marge de la troisième réunion à Grenade, le président du Conseil européen, Charles MICHEL, le chancelier Allemand, Olaf SCHOLZ, et le président de la République française, Emmanuel MACRON ont notamment rencontré le Premier ministre arménien Nikol PACHINIAN et ont soutenu l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières de l’Arménie (Cf. Déclaration à l’issue de la réunion avec le premier ministre arménien).

Par ailleurs, l’organisation et le fonctionnement du CPE se peaufinent au fur et à mesure des réunions. Par exemple, lors de la troisième réunion à Grenade, les discussions se sont organisées en quatre groupes de travail autour de trois thèmes (la numérisation/ l’énergie et l’environnement/ le multilatéralisme et la géostratégie).

Enfin, une réunion de la CPE est programmée environ tous les six mois avec une alternance entre pays membres de l’Union et pays non-membre en tant que pays d’accueil.

B) La CPE, une antichambre à l’adhésion à l’Union européenne ?

Ainsi qu’il a été indiqué dans un précédent post (Post de Houry MOUSISIAN), la CPE avait été présentée par le Président Emmanuel MACRON lors de la fête de l’Europe comme une alternative à l’adhésion à l’Union (Cf. Déclaration d’Emmanuel Macron, 9 mai 2022). Le projet CPE consistait alors à faire bénéficier ces pays (Ukraine, Moldavie et Géorgie) de coopération accrues avec les autres États européens avant une éventuelle adhésion dont la perspective n’avait pas été totalement écartée.

Par ce choix initial, la CPE avait suscité une méfiance auprès des pays candidats à l’adhésion, craignant qu’elle ne constitue en réalité « une antichambre perpétuelle de l’Union européenne ». En effet, la CPE leur permet « une première forme d’intégration européenne, par le prisme politique et le biais d’actions communes dans des domaines variés. Soit avant qu’ils n’aient une économie suffisamment robuste pour faire partie de l’Union et transposé l’ensemble du droit européen dans leur législation nationale ».

Il convient ici de rappeler que la politique européenne de voisinage et sa déclinaison orientale, le Partenariat oriental, avaient au moment de leur lancement entre 2003 et 2009, suscité les mêmes craintes puisqu’il avait été explicitement précisé qu’ils n’avaient pas pour vocation à aboutir à l’adhésion à l’Union des pays partenaires. En effet, à cette époque il n’était pas question pour l’Union de procéder à un nouvel élargissement.

Par ailleurs, on est en droit de s’interroger dès à présent sur le sort qui sera réservé à ces politiques et notamment au Partenariat oriental, dans la mesure où l’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie signifierait logiquement leur sortie du Partenariat oriental lequel ne comprendra plus que l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie.

A priori, la CPE ne constitue pas une nouvelle étape vers l’adhésion à l’Union et semble s’en distinguer au regard notamment de certains pays participants qui ne souhaitent manifestement pas adhérer à l’Union tels que la Suisse et les pays de l’AELE, ou même du Royaume-Unis qui vient d’en sortir.

La CPE se présente aujourd’hui plutôt comme un complément à l’Union en ce qu’elle contribue à établir « une communauté de valeurs ».

Houry MOUSISIAN, Docteure en droit public de l’Université Paris-Est et Avocate au Barreau de Versailles, membre de l’équipe de blogdroiteuropéen depuis septembre 2021

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