Catherine Kounelis, responsable de la mission Open Access au sein de la COMUE PSL, revient sur la pratique actuelle des enseignants et chercheurs de PSL en matière d’Open Access et l’accompagnement proposé pour développer l’Open Access. PSL est une COMUE parisienne regroupant 26 établissements prestigieux couvrant tous les domaines du savoir : sciences, arts, sciences humaines et sociales 26 établissements dont l’Université Paris-Dauphine, l’EHESS, l’ENS et l’ESPCI (École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris). Catherine Kounelis est la Directrice de la Bibliothèque de l’ESPCI depuis 1999. Si d’autres COMUE souhaitent nous faire part de leur l’implication dans l’Open Access qu’elles n’hésitent pas à nous contacter ou à laisser des commentaires.
O.T. : Les 26 établissements de PSL disposent-ils tous d’une archive institutionnelle ouverte?
Catherine Kounelis : Non, c’est la raison pour laquelle PSL lance un projet visant à développer une solution technique au niveau de la ComUE qui s’appuiera sur les archives ouvertes existantes et servira de plateforme de dépôt pour les établissements qui n’en disposent pas. Cette plateforme poussera les données vers HAL et d’autres archives ouvertes thématiques.
O.T. : Avez-vous des statistiques sur le nombre de publications intégrales des établissements PSL disponibles en libre accès?
Catherine Kounelis : L’une des premières actions du comité opérationnel sera de dresser un état des lieux des outils et des pratiques des enseignants chercheurs des établissements PSL. On peut cependant s’attendre à trouver une dynamique dans les établissements qui ont déjà une politique de dépôt en archive ouverte, comme l’Université de Dauphine, l’Ecole des Mines et l’Observatoire de Paris-Meudon. Certains de nos établissements (Mines, Chimie ParisTech, ESPCI) avaient par ailleurs mis en œuvre une politique de dépôt des thèses dans le cadre du portail Pastel initié en 2001 par le réseau de leurs bibliothèques, projet à l’époque très novateur, jusqu’à ce que STAR, le dispositif de dépôt national des thèses électroniques françaises prenne le relai au début des années 2010.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que les physiciens déposent depuis longtemps une version de leurs articles, notamment les pre-prints dans ArXiv (qui, en occurrence moissonne HAL), que les biologistes, initiateurs comme on le sait de la Public Library of Science (PLOS) et de eLife, ont créé plus récemment bioRxiv sur le modèle d’ArXiv, et que les sciences sociales en ont fait de même avec SocArXiv et l’agriculture avec AgriXiv.
En attendant la mise en route de la mission Open Access de PSL, la collection HAL PSL compilée par la Direction des ressources et savoirs recense à ce jour près de 35000 documents en texte intégral avec un taux de dépôt en constante augmentation depuis 2011 :
Années | Documents | Notices | % Full-Text |
Avant 2011 | 19281 | 45052 | 43% |
2011-2016 | 13712 | 23632 | 58% |
Depuis 2016 | 1757 | 1835 | 96% |
Mais nos chercheurs ont aussi pris l’habitude de communiquer dans les réseaux sociaux académiques comme Academia.edu, MyScienceWork et ResearchGate. Ils y déposent même leurs articles plus facilement qu’ils ne le font dans les archives ouvertes des établissements ou dans l’archive ouverte nationale HAL. On doit s’interroger sur les raisons qui attirent les chercheurs sur les réseaux sociaux académiques si on veut tirer des enseignements pour améliorer l’offre publique. Il ne faut pas perdre de vue le fait que les réseaux sociaux académiques ne sont pas véritablement « ouverts » puisqu’il faut avoir un compte pour accéder aux documents et qu’ils sont des sites commerciaux qui ne présentent aucune garantie de pérennité quant à la « gratuité » de leurs services. Il nous reste donc un grand effort de pédagogie à faire pour convaincre les chercheurs à venir sur les archives ouvertes des établissements. La réussite de ce pari passe cependant aussi par la mobilisation des moyens techniques d’ingénierie documentaire afin de fluidifier le dépôt et d’augmenter l’offre de services sur les plateformes d’archives ouverts.
O.T. : Quels sont les principaux freins selon vous au développement d’archives ouvertes institutionnelles?
Catherine Kounelis : Le coût d’un projet d’archive ouverte et plus encore, la disponibilité des équipes en place peuvent constituer un frein sérieux pour les établissements qui souhaitent s’engager dans la voie du libre accès. Nous savons par ailleurs qu’un des défis dans tous les projets de plateformes d’archives ouvertes est le taux de remplissage qui peut rester bas sans une politique active des établissements et en absence d’une politique nationale. Sans dépôt de texte intégral une archive ouverte n’est plus qu’une base de signalement sans intérêt pour la visibilité de la recherche. Une ergonomie des plateformes insuffisante, le déficit d’information (qui, quoi, comment déposer ?), le manque de temps de la part des chercheurs pour s’occuper du sort de leurs articles une fois publiés, les contrats liant auteurs et éditeurs très restrictifs pour les premiers sont autant des facteurs qui peuvent faire obstacle à la diffusion des résultats de la recherche par la voie verte.
On peut constater qu’aujourd’hui, dans les matières scientifiques notamment, le modèle auteur-payeur de l’open access, en particulier dans les sciences dures, est en train lentement mais assurément, de prendre son envol, conforté par la politique européenne de H2020. Les frais de publication sont parfois très élevés, notamment dans les revues ayant acquis un prestige international. Ces frais s’ajoutent aux dépenses des abonnements car très astucieusement beaucoup d’éditeurs internationaux ont choisi d’appliquer un modèle économique hybride. Dans les revues qu’on appelle « hybrides » une partie des contenus est accessible en abonnement et une partie est en libre accès, financée par les auteurs. Cette formule, plébiscitée par de nombreux éditeurs étrangers contraint les bibliothèques à maintenir les abonnements et retarde la transition vers le libre accès.
Cependant, H2020 laisse libres les auteurs à choisir la voie verte ou la voie dorée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, en repensant sans doute les critères d’évaluation des chercheurs comme certaines voix le réclament, de communiquer sur les biais des revues hybrides et de convaincre les auteurs que plusieurs autres chemins du libre accès existent, qui sont gratuits ou à peu de frais et qu’il leur appartient de les emprunter pour le bénéfice de la recherche. Les bibliothèques ont ici un rôle à jouer en déployant à la fois beaucoup de pédagogie et des plateformes techniques souples et ergonomiques.
O.T. Existe t-il une réflexion, des actions envisagées au sein de PSL pour informer, sensibiliser les auteurs sur les possibilités ouvertes par l’article 30 de la Loi République Numérique?
Catherine Kounelis : Oui, l’équipe projet sur l’Open Access de PSL est chargée de lancer des actions dès le début de son fonctionnement. La mission s’articule autour de deux axes principaux.:
- Le premier porte sur le choix de la solution technique qu’il faudra implémenter et développer en fonction des besoins de nos utilisateurs.
- Le second axe, aussi essentiel que le premier, est celui de la stratégie à adopter pour inciter les chercheurs à déposer leurs publications.
Comme je le disais précédemment, un déficit d’information (qui, quoi, où déposer) est l’un des freins à la réussite d’un projet d’archives ouvertes. Quels sont les leviers à utiliser pour sensibiliser les chercheurs sur les enjeux de la science ouverte, et de préférence de la voie verte ? Le Comité de pilotage tracera les lignes directrices de la stratégie à adopter. Elle peut utiliser pour cela plusieurs leviers, dont certainement celui du site SHERPA-Romeo qui renseigne sur la politique des éditeurs en matière de l’open access. Nous avons un grand effort de communication à faire pour informer de l’existence de ce site dont beaucoup de chercheurs n’ont pas encore connaissance. C’est pour cette raison que PSL participe au financement du projet Dissemin, qui permet à chaque chercheur d’identifier très facilement celles de ses publications qui ne sont pas encore disponibles en libre accès et de les mettre en ligne en quelques clics dans le respect des politiques des éditeurs ».
La loi sur la République numérique du 7 octobre, notamment son article 30, vient renforcer cet arsenal en apportant un cadre juridique qui manquait jusqu’à présent. Cet article figure dans le Code de la recherche. Il autorise sous certaines conditions un auteur (chercheur), « même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur », à déposer dans une archive ouverte « la version finale de son manuscrit acceptée pour publication » immédiatement si l’éditeur lui-même met celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique, sinon dans un délai (embargo) qui est de 6 mois pour les sciences et techniques et de 12 mois pour les sciences humaines et sociales. Sont ici concernées les publications telles que les articles scientifiques publiés dans une revue à une périodicité d’au moins une fois par an, ce qui exclut de fait les ouvrages et les actes de congrès.
Toutefois, si la revendication exprimée par les auteurs d’écrits scientifiques à diffuser leurs travaux par voie numérique est ancienne, le texte vise indiscutablement à préserver un équilibre entre cette revendication et les intérêts des éditeurs (voir dans ce blog l’article « Quelques précisions sur l’article 30 »). Quand on creuse un peu, le texte laisse en fait plusieurs questions ouvertes (voir l’article « Open Access : quelles incidences de la loi République numérique ? »). Chaque auteur (chercheur), en fonction de son domaine disciplinaire et les pratiques de la communauté scientifique à laquelle il appartient, en fonction également du type du financement dont est issue une publication (projet ANR, projet européen, contrat privé, pas de projet particulier), de l’année de la publication (avant ou après la loi), de la revue où il publie (éditeur français ou éditeur étranger, par exemple), de la politique de son éditeur en matière de l’open access et des termes du contrat de cession des droits qu’il a signé avec lui, ne sentira pas les mêmes freins.
C’est pourtant à lui, et à lui seul que revient de mettre en ligne une version de son manuscrit. Comme il a été rappelé et confirmé pendant le colloque tenu en novembre à Meudon sur la loi République numérique, il n’y aura pas de décret d’application pour l’article 30. Ce qui veut dire que la loi est immédiatement applicable. C’est bien pour cette raison qu’il y a une forte attente de la part des bibliothécaires de disposer d’un cadre de sécurisation juridique précisant l’interprétation de certains dispositions de la loi pour répondre aux interrogations des chercheurs. L’INRA a publié en octobre une charte pour le libre accès et le CNRS a adopté le 24 janvier dernier une recommandation. Les yeux se tournent vers les pouvoirs publics et nul doute que le sujet est au cœur de la réflexion de tous les responsables de l’IST dans des organismes de recherche et auprès des instances nationales.
Propos recueillis par Olivia Tambou
Pour aller plus loin:
- (Re) voir la première partie de l’interview de Catherine Kounelis: Les COMUE et l’Open Access, l’exemple de PSL
- (Re) voir le post sur La BU Dauphine et l’Open Access, interview de Christine Okret-Manville,
- Pour voir l’ensemble de nos posts dans le cadre du e-débat Open Access cliquez ici
2 réflexions sur “Comment améliorer la pratique de l’Open Access au sein d’une COMUE comme PSL? Interview Catherine Kounelis, part.2”