Les anniversaires ont cette vertu qu’ils permettent de se retrouver, de partager et de passer un bon moment. Le 25 mars prochain, rien n’est moins sûr, certains des participants auront de la peine à manifester leur joie comme la Pologne du parti Droit et Justice de plus en plus isolée au sein des 27, d’autres ne goûteront guère les joies du partage, la solidarité n’étant plus forcément de mise, quant à passer un bon moment, les nuages qui se sont amoncelé ces derniers temps sur les scènes nationales, européenne et internationale n’inciteront guère les Européens à se réjouir, et même l’humour d’un François Hollande en partance ne devrait pas les pousser à sourire encore moins à rire.
Il faut dire que les préparatifs d’anniversaire ne sont pas à la mesure de l’événement, chacun s’est contenté du service minimum, histoire d’éviter d’essuyer des reproches, mais sans cœur à l’ouvrage. On aura beau nous servir à satiété le Brexit, l’élection de Trump, l’autocratisme de Poutine et de Erdogan, les poussées nationalistes, les inconnues électorales…rien n’y fera, la fête aurait pu être belle si nos dirigeants européens étaient à la hauteur, mais décidemment tout comme la Commission ils ont choisi de nous gâcher ce jour, comme si ils n’y croyaient plus ou si peu à cette Europe. Faute de pouvoir annuler au dernier moment, on risque d’avoir une cérémonie qui ressemble à une pièce de Tchekhov et de Beckett, entre non-dits éclatants et absurdités proclamées.
La Commission, élément moteur de la construction européenne, capable en d’autre temps d’imposer le marché unique ou l’euro, se contente d’adresser un document technique sans prendre position, s’en remettant aux Etats membres s’ils sont encore en mesure de faire des choix. On savait M. Juncker désabusé, non candidat à sa succession, mais on ne pouvait imaginer que ses propositions de relance européenne se limitent à imaginer cinq scénarii, dont l’ambition pour certains d’entre eux s’identifie à résignation : du statu quo amélioré à plus d’intégration en passant par une Europe à plusieurs vitesses, ou rétrécie au marché unique ou encore concentrée sur quelques domaines prioritaires. On pourrait annoter la copie de la Commission par cette appréciation « Peut mieux faire », mais on devrait surtout inscrire en lettres rouges « HORS SUJET ».
En dehors des conditions très particulières d’élaboration de ce livre blanc, la Commission, contrairement à son essence, n’a pas voulu prendre une initiative marquante préférant faire la courte échelle aux Etats pour leur laisser toute marge de manœuvre. Ils n’ont pas besoin de la Commission pour s’autoriser à vouloir plus ou moins d’Union, ce n’est pas son rôle de se résigner à être une structure d’expertise, un simple secrétariat d’une organisation internationale. Les Européens se moquent de la grande loterie institutionnelle qu’elle propose, même si cette question est importante à condition de défendre une option et de l’imposer mais cette dernière ne peut consister en moins d’Union, c’est une absurdité sur le plan de la logique de la construction européenne, veut-on donner « post mortem » raison aux Britanniques ou bien est-ce une « drague » éhontée pour les faire revenir dans l’Union ?
Les Etats membres ne sont manifestement pas en reste dans ce fiasco festif. L’initiative tapageuse des quatre les plus peuplés parmi les 27 est apparue quelque peu paradoxale sinon déplacée. Non seulement la montagne a accouché d’une souris à travers l’affirmation de coopérations différenciées ou structurées, mais surtout elle a fragilisé la cohésion européenne à travers un mini-sommet qui s’apparente à un concert de quelques nations européennes. Sur la forme soit les 27 se retrouvaient pour un nouveau traité de Versailles, soit les Etats fondateurs en raison justement de cette qualité indiquaient la voie à suivre, mais en ne se limitant surtout pas à un choix qui n’est que la reconnaissance de ce qui se fait en partie, simplement on l’érige en mode de gouvernance et de fonctionnement.
Puisque la Commission est dans l’incapacité de faire face à ses responsabilités, il appartient aux Etats de s’y substituer, et justement dans la logique institutionnelle, le Conseil européen est entre autres là pour donner les impulsions, déterminer les orientations, bref définir les priorités de l’Union, à la Commission de les mettre en place juridiquement. Les responsables politiques nationaux connaissent bien les doutes, les réticences, les rejets que l’Union peut susciter parmi leurs compatriotes, les critiques les plus fréquentes consistant à dénoncer son incapacité à les prémunir contre les risques de toute sorte. Même si l’on sait que l’Union dans beaucoup de domaines visés ne disposent pas des compétences requises, même si cette dernière ne doit pas être perçue comme une assurance-vie, il n’empêche que les Européens veulent plus d’Union à condition que celle-ci leur apporte un plus dans leur quotidien. Il serait grand temps pour les responsables politiques d’arrêter leur jeu de Gribouille qui consiste à excuser leur impuissance par les contraintes de l’Union et à refuser plus d’Union pour soi-disant faire taire l’euroscepticisme.
Plutôt que d’exprimer leur satisfaction à l’idée d’une Union plus profonde pour ceux qui le souhaitent, il eût été politiquement plus ambitieux pour les dirigeants politiques des Etats et pour la Commission de proclamer la « Protection des citoyens européens » et de la présenter comme la nouvelle cause européenne, la décliner en un libre blanc en divers domaines (la protection économique, la protection sociale, la protection environnementale, la protection contre le terrorisme…) comme cela fut fait pour la marché unique, avec un ensemble de dispositions législatives à prendre dans chacun d’entre eux. C’est à ce prix que l’on permettra aux Européens de se réconcilier avec l’Union, de restaurer la légitimité du projet européen et de leur redonner confiance dans l’avenir de la construction européenne. Le soixantième anniversaire des traités de Rome aurait pu être le moment de ce nouveau rendez-vous entre les citoyens européens et les porteurs d’un projet partagé, il n’en sera rien malheureusement, une nouvelle fois nos dirigeants politique louperont leur rendez-vous avec l’histoire européenne.
Puisque le titre de ce propos emprunte à un proverbe chinois, la conclusion prendra la forme d’un proverbe chinois que n’aurait pas désapprouvé Robert Schuman : « Ce n’est pas le but de la promenade qui est important mais les petits pas qui y mènent ».
Christian Mestre, Professeur au Collège d’Europe de Bruges
Re(voir) :
- Les posts précédents de notre rubrique anniversaire :
- Libres propos sur un anniversaire, par Jean-Victor Louis
- Quel rôle dans les parlements dans l’Union européenne de demain ?, par Diane Fromage
- La nécessité d’une réforme : l’insuffisance des outils de contrôle à la disposition du droit de l’Union en cas de violation par un Etat membre des valeurs de l’UE, par Fabienne Péraldi-Leneuf
- Le traité de Rome : 60 ans et toute sa modernité, par Frédérique Berrod
- After 60 Years : Pax europea and fundamental values of the EU, par Vassilios Christianos
- 60 ans après, le droit européen n’a pas changé (à condition que l’on redécouvre sa vraie nature), par Jean-Sylvestre Bergé
- Regards explicatifs sur les crises de l’UE et comment s’en sortir, par Jean-Clausde Gautron
- La vérité sur les soixante (cinq) ans de l’Union européenne, par Jacques Ziller
- La programmation des futurs posts de la semaine