Depuis le lancement des Etats généraux de l’alimentation en juillet 2017, le président de la République française s’est fait l’ardent défenseur de la souveraineté alimentaire au sein de l’Union que ce soit lors de son discours de la Sorbonne le 26 septembre, de son intervention le mois suivant à ces Etats généraux ou plus récemment fin janvier lors de la cérémonie de présentation des vœux aux représentants du monde agricole dans le Puy de Dôme. Le discours présidentiel sur cette question s’articule autour de la défense d’une conception sociale et environnementale du rôle et de la place de l’agriculture qui bouleverse l’économie de la politique agricole commune (PAC) et n’est pas sans mettre en cause plus généralement les règles applicables aux produits agricoles et aux agriculteurs.
La souveraineté alimentaire, revendiquée depuis le milieu des années quatre-vingt-dix par un nombre conséquent d’ONG et d’Etats, a pour ambition de redéfinir les conditions de production des aliments en mettant l’accent sur des considérations sociales – la protection des agriculteurs, la défense des modes de production, la réponse aux attentes qualitatives des consommateurs, la sauvegarde d’une activité agricole dans certaines zones, la redéfinition des relations entre producteurs, transformateurs et distributeurs-, et sur des conditions environnementales – respect du développement durable, lutte contre le changement climatique, renforcement des pratiques agri environnementales et des cultures biologiques- Historiquement toutefois, le choix d’une PAC en tant que politique par excellence des Communautés correspondait notamment à la volonté politique d’acquérir à la fois une indépendance économique en tant que modèle spécifique et une indépendance alimentaire en recherchant l’autosuffisance. Par ailleurs les divers objectifs de la PAC qui paradoxalement n’ont pas été modifiés par les diverses révisions, sont toujours d’actualité que ce soit le niveau de vie des producteurs agricoles ou les prix des produits aux consommateurs. Or un impératif de qualité depuis une vingtaine d’années est apparu avec la revendication par ces derniers d’une alimentation fiable, saine, durable, et très précisément un besoin de confiance dans les produits agricoles à raison de leur mode de production, de leur transformation, des filières de distribution, des informations figurant sur les étiquetages. La souveraineté alimentaire que défend le président Macron est une souveraineté alimentaire de qualité qui repose sur un tryptique qui se veut très offensif, n’hésitant pas à énoncer trois combats :
- en premier lieu au nom de la valeur de l’agriculture, il s’avère indispensable de revoir et de redéfinir les relations entre les différents acteurs de la filière agricole à savoir les agriculteurs et éleveurs, les industries agroalimentaires et enfin les distributeurs,
- en deuxième lieu au nom de l’ouverture internationale rien ne sert de rejeter la mondialisation, il convient plutôt de s’appuyer sur l’Union européenne et sur la PAC pour bien et mieux négocier les accords commerciaux,
- en dernier lieu au nom de la protection de la planète les agriculteurs eux-mêmes victimes des dérèglements climatiques sont en première ligne pour la défense de la biodiversité, ils sont les acteurs de la transformation environnementale. Et notre Président de conclure de la manière suivante : « Les agriculteurs sont porteurs de réponses aux questions que la société se pose ».
Même si Emmanuel Macron marque son attachement à la PAC, tout en souhaitant la voir évoluer, ou au multilatéralisme, dans le cadre de la mondialisation, il y a fort à parier qu’une telle vision appelle une modification substantielle de la philosophie présidant aux mécanismes agricoles et aux rapports entre certaines politiques de l’Union. Si l’on défend une souveraineté alimentaire prenant en compte les conditions de rémunération des producteurs, on accepte non seulement de revoir les mécanismes de détermination des prix agricoles à partir des coûts réels de production assumés par les agriculteurs mais également de redéfinir les mécanismes de fixation des cours mondiaux des produits agricoles, et par là même les objectifs poursuivis par l’Organisation Mondiale du Commerce. Plus précisément, toujours dans son discours de Saint-Genès- Champanelle du 25 janvier, le président de la République s’est prononcé pour renverser la construction des prix, pour relever le seuil de revente à perte, pour encadrer les promotions pour permettre un juste retour du prix payé aux agriculteurs et enfin lutter contre les prix anormalement bas. Toutefois, cela ne peut se réaliser qu’au prix d’une structuration à la fois des filières agricoles et des agriculteurs et éleveurs autour d’organisations de producteurs. Ce regroupement constitue le dispositif juridique nécessaire pour permettre à ces derniers d’être en position de force afin de pouvoir négocier les prix. Plus précisément ces organisations de producteurs doivent initier une démarche de contractualisation, à partir d’un contrat écrit type adressé aux acheteurs, c’est-à-dire soit les transformateurs, soit les distributeurs. Un tel dispositif peut se revendiquer d’une démarche nationale à travers le projet de loi sur l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable adopté en Conseil des ministres le 31 janvier de cette année actuellement en discussion à l’Assemblée nationale (projet de loi EGALIM), et d’une démarche de l’Union sur le fondement du règlement dénommé « omnibus » (règlement (UE) n° 2017/2393 du 13 décembre 2017 du Parlement européen et du Conseil, JOUE n° L 350, 29 décembre 2017) puisque celui-ci encourage, de manière plus restreinte, les agriculteurs à négocier non seulement des clauses de répartition de la valeur pour encadrer l’évolution des prix mais également à se doter de contrats par organisation de producteurs pour déterminer les prix, les quantités et les standards de qualité. Toutefois le volontarisme du président de la République risque de se heurter aux règles du droit de la concurrence de l’Union ce d’autant plus que la Commission n’a pas hésité à mettre en garde le Parlement et le Conseil par des déclarations sur les conséquences du dispositif en faveur des organisations de producteurs prévu par le règlement « omnibus ». D’ailleurs la Commission a organisé à la fin de l’année dernière (16/08 au 17/11) une consultation « Initiative visant à améliorer la chaîne d’approvisionnement alimentaire » autour de trois questions :
- les pratiques commerciales déloyales,
- la transparence du marché, et enfin
- la coopération entre producteurs.
Par conséquent son résultat devrait alimenter la réflexion sur la future réforme de la PAC qui on l’espère donnera une large place à la vision de la souveraineté alimentaire défendue par le Président Macron.
Christian Mestre, Professeur à l’Université de Strasbourg et au Collège d’Europe de Bruges
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