Jamais à notre connaissance les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne n’avaient été envisagées sous l’angle d’une analyse croisée entre le droit et l’histoire. C’est désormais chose faite grâce à cet ouvrage original qui dépasse la classique étude des relations normatives entre le droit de l’Union européenne et le plus souvent la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Alors que nous fêterons les soixante dix ans du Conseil de l’Europe en mai prochain, cet ouvrage permet de mieux cerner les processus mutuels de coopération, de concurrence et de fertilisation, entre cette première organisation européenne créée à l’issue de la seconde guerre mondiale et l’Union européenne. L’intérêt de cette double dimension historique et juridique est de mieux saisir la mutation propre à chacune de ces organisations, l’évolution en conséquence de leur place dans l’architecture européenne et leur contribution respective au développement d’une identité européenne. A l’heure où l’Europe n’apparaît plus évidente, les auteurs ont choisi la voie de la pédagogie pour montrer la plus value de l’Europe à travers la complémentarité de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.
Pour ce faire l’ouvrage adopte une approche chronologique. La première partie est consacrée aux années 1949-1989 et démontre comment le Conseil de l’Europe et la CEE émergent en tant qu’organisations parallèles et complémentaires, engagées dans la construction européenne. La seconde partie relate l’impératif des synergies entre les deux organisations dans la période de 1989 à 2017 en raison de la mondialisation. Chaque partie repose sur un focus historique afin de démontrer l’absence de linéarité entre les relations de concurrence et de complémentarités entre les deux organisations. De son côté, le focus juridique tend à montrer qu’à chaque période, au delà de leur autonomie, de leur nature juridique différente voire de leurs domaines d’intervention originellement distincts, les deux organisations ont toujours cherché à organiser de façon formelle ou informelle leurs relations. L’intérêt de l’ouvrage est de donner de multiples illustrations de ces processus d’influences réciproques reposant notamment sur une documentation très fournie mise à la disposition des auteurs par les services mêmes du Conseil de l’Europe et des interviews de certains de ses agents. Le volet juridique permet aussi de bien comprendre comment le Conseil de l’Europe et l’Union européenne avec des logiques différentes se retrouvent ces dernières années autour de la diffusion de valeurs communes dans la mondialisation malgré quelques difficultés à faire respecter ces valeurs par les Etats européens. La question des enjeux budgétaires de la cohérence institutionnelle entre les deux organisations permet aussi de mieux mesurer comment la pratique de travail en commun peut aussi être orientée dès lors que les programmes communs reposent essentiellement sur des financements de l’Union européenne, et en dernier ressort sur des ressources indirectement mais clairement étatiques. L’ouvrage évoque bien entendu la cohérence envisagée par l’adhésion de l’Union européenne à la CEDH qui avec l’avis 2/13 semble désormais illusoire étant donné la volonté de la CJUE de protéger sans concession l’autonomie de l’Union européenne. Mais sa valeur ajoutée est de présenter d’autres formes de stratégies. L’ouvrage évoque le développement de clauses de déconnexion dans les Conventions du Conseil de l’Europe permettant aux Etats membres de l’Union européenne d’appliquer le droit de l’UE en lieu et place des Conventions du Conseil de l’Europe. Ces clauses permettent ainsi de hiérarchiser les droits de deux organisations et sont notamment utilisées lorsque l’acquis de l’Union européenne va plus loin que le droit général du Conseil de l’Europe. Une autre stratégie vise à demander à l’Union européenne et à ses Etats membres d’adhérer à certaines conventions du Conseil de l’Europe afin de faciliter l’émergence d’un noyau dur commun et montrer ainsi l’importance de certaines conventions clefs. C’est sans doute ce qui a poussé l’Union européenne a signé en 2017 la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violation domestique dite « Convention d’Istanbul ». Cette voie de mise en cohérence est néanmoins aléatoire car la plupart des Conventions du Conseil de l’Europe sont des accords mixtes en droit de l’UE nécessitant aussi l’accord de ses Etats membres pour pouvoir entrer en vigueur dans l’UE.
Ces quelques mots de présentation ont vocation à montrer le caractère indispensable de la lecture de cet ouvrage pour ceux qui s’intéressent aux relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ce livre trouvera également toute sa place dans la bibliographie des cours d’histoire et de droit notamment de Licence 1 ou 2 relatifs aux organisations ou institutions européennes. Qu’il soit également permis de souligner que cet ouvrage est dédié à notre regrettée collègue Dorothée Meyer qui a participé au lancement de ce projet et qui malheureusement n’a pu en voir l’aboutissement.
Frédérique Berrod, est professeure de droit et Birte Wassenberg est professeure d’histoire contemporaine, toutes deux sont en poste à l’Université de Strasbourg.
Pour en savoir plus sur cet ouvrage cliquez sur la page du Conseil de l’Europe qui lui est consacré.