Ma thèse en trois questions posées par Mme la professeure Frédérique Berrod, Université de Strasbourg à Dr. Pascal SIMON-DOUTRELUINGNE
Pourquoi une thèse sur le transport aérien de passagers?
L’histoire de l’aviation civile est un condensé de fantasmes et de rêves, technologique et expansionniste qui a pu marquer l’esprit de chacune et chacun. C’est autant le mythe d’Icare que les exploits de la fin du XIXe et tout au long du XXe siècle de la conquête des airs. L’invention d’Éole, par Clément ADER, le 9 octobre 1890, ce prototype d’avion inspiré des ailes d’une chauve-souris effectuait un voyage de 50 mètres, suivi, le 17 décembre 1903, par le « Wright Flyer » qui réalisait un trajet de 260 mètres à 3 mètres au-dessus du sol ouvre la voie au record de vitesse d’Hélène BOUCHER en 1934. Tous ces éléments participent de ces rêves d’enfants, que beaucoup d’entre nous ont pu concrétiser par des voyages plus ou moins lointains.
C’est aussi, plus personnellement, une histoire familiale. Celle de mon grand-père paternel, qui alors que j’évoquais mon Mémoire de recherche de M2 à ScPo Strasbourg, consacré à la réforme de l’attribution des créneaux aéroportuaires, me racontait son périple aérien pour revenir, en 1954, d’Indochine vers la France métropolitaine. Il lui fallut 32h, en trois escales (Calcutta, Karachi puis Beyrouth) et un dernier trajet, en train, de Marseille à Paris, pour rejoindre sa famille. Il n’en faut plus que 12h40, actuellement.
Cette anecdote faisait écho à ce que je pouvais, alors, étudier. La régulation du secteur aérien par la gestion de l’une de ses ressources, le créneau horaire d’atterrissage et décollage des avions, était au service d’une politique européenne fondamentale, les transports, pour l’édification du marché intérieur. Les institutions européennes par ce biais définissaient et mettaient en œuvre l’objectif d’une connectivité de notre territoire avec le reste du monde par ces grandes portes d’entrée que sont les aéroports intercontinentaux et leur connexion avec le territoire qu’elles desservent. Ce double point de vue, interne/externe, renvoie par ailleurs à des questions qui dépassent le droit de la concurrence, en invoquant les analyses du développement géographique comme les questions de concurrence loyale.
Pourquoi la concurrence plus que la réglementation ?
Pour ce secteur économique, la réglementation est loin d’être absente et donc, une nouvelle fois, de rejeter l’idée que le transport aérien serait déréglementé depuis sa libéralisation dès la fin des années 1980. Elle prescrit aussi bien la sécurité due aux passagers que le régime social des salariés des compagnies aériennes, comme la protection des droits des passagers en cas de retard ou d’annulation de leur vol.
Mon propos était d’envisager tous ces aspects pour comprendre la concurrence qui est à l’œuvre dans le transport aérien de passagers et de la penser comme durable. En utilisant ce terme qui est le plus souvent utilisé en sciences économiques ou en management, je tenais à montrer une combinaison d’objectifs voulus par l’Union européenne pour la mobilité.
L’image de l’alliage est assez vite venue. Un alliage au sens premier du terme, pour tenter d’envisager tous les nouveaux enjeux de la concurrence et constater l’émergence d’une durabilité de la concurrence. Ce faisant, il s’est agi de montrer non pas une mutation brutale des notions, mais plutôt d’une évolution faisant de la concurrence, partie d’un « écosystème juridique » et d’une vision intégrée du transport, à partir de l’intermodalité. En cela, le transport ferroviaire, en pleine ouverture à la concurrence, prenait une part importante dans mes recherches.
Pourquoi la loyauté sur un marché ?
C’est un concept, fort peu défini, ou à défaut, en creux lorsque l’on sanctionne la déloyauté. Ce ne fut que tardivement, que les contours de la loyauté ont été rappelés. C’est au considérant 4 du règlement (UE) n° 2019/712 que l’UE est évoquée dans son rôle de garantir « l’égalité des chances et des conditions de concurrence équitables pour les transporteurs aériens de l’Union et les transporteurs aériens de pays tiers qui opèrent dans l’Union ». Mais cette volonté européenne se heurte à la différence de moyens et d’approches entre réglementations unilatérales et opérateurs économiques. Alors que les premières sont naturellement des acteurs territoriaux, les seconds sont le plus souvent continentaux, voire mondiaux. Le transport aérien est vu comme une partie structurante de l’offre globale par les conséquences urbanistiques et plurimodales qu’il prescrit.
Ces deux ensembles se croisent bien évidemment, mais peuvent aussi, au travers des tentatives de captation de la réglementation européenne, s’opposer. Cette toute cette bivalence qui fut l’objet des développements de ma thèse sur l’intégration de la dimension loyale au concept de concurrence durable.
Aussi, dans ce secteur du transport aérien de passagers, la loyauté est envisagée à double titre. Puisque la compétence de la Commission européenne est reconnue dans la négociation d’accords aériens avec des États tiers extraeuropéens depuis l’émergence de la politique extérieure européenne issue de la jurisprudence de la Cour de novembre 2002, les États membres vont lui octroyer des mandats de négociations au niveau de l’Union dans lesquels la Commission va imprimer, par sa pratique, sa vision de la loyauté.
Puis, la Commission alors qu’elle entamait le réexamen de sa première réglementation, règlement n° 868/2004 sur les pratiques déloyales, engageait un mouvement de fond. En effet, l’assemblée de l’OACI adopta le principe de la concurrence loyale par une résolution qui en fit un principe essentiel dans l’exploitation des services aériens internationaux. Ce faisant, l’OACI réaffirmait une valeur énoncée au préambule de la Convention de Chicago qui stipule que les services internationaux de transport aérien devraient être « établis sur l’égalité des chances ». Enfin, dans un effort de rapprochement des législations nationales et favoriser ainsi la sécurité juridique, l’OACI, en marge de cette résolution, publiait un appendice listant et comparant les définitions des pratiques anticoncurrentielles, telles que la prédation ou les discriminations, et leur traitement dans les grandes régions aériennes. On pouvait ainsi y lire, et en cela il était impossible de ne pas en tirer parti dans mon propos, la confirmation que, comme la Commission l’énonce elle-même, le cadre normatif de l’Union est un des plus complets et sans qu’il s’impose aux autres États, sa qualité doit pouvoir être un modèle dont il faut se rapprocher.
La loyauté prend ainsi une dimension externe, d’autant plus qu’elle est associée à la politique européenne d’ « un modèle d’autonomie stratégique ouverte ». Promouvoir ainsi la loyauté entre compagnies aériennes européennes et leurs concurrentes issues des États tiers implique un rééquilibrage du marché aérien international.
Cette question de la loyauté qui fait actuellement l’objet d’une prise en compte plus large par l’UE, si on se réfère au règlement UE 2022/2560 du 14 décembre 2022 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur. Il est notable de relever que jusque-là, la législation européenne sur la défense du marché intérieur contre la concurrence déloyale ne portait que sur le marché aérien. C’est justement cet autre exemple d’une politique de transport pionnière qui m’a amené à cette recherche. Je l’ai traitée autant comme un état des lieux de la concurrence dans le transport aérien de passagers que comme comprendre l’émergence d’un écosystème juridique que j’ai appelé « concurrence durable ».