Retour critique sur l’émergence d’un droit voisin européen des éditeurs de presse sur leurs contenus en ligne – Première partie

Le 14 septembre dernier, la Commission européenne publiait sa très attendue proposition de directive sur le droit d’auteur au sein du marché unique numérique. Cette dernière aura pour tâche de moderniser le cadre quelque peu vieillissant mis en place par la directive dite « InfoSoc » de 2001. La proposition de la Commission contient nombre de dispositions phares. Nous nous attarderons sur celle d’entre elles qui pourrait venir compléter la constellation des droits de la propriété littéraire et artistique: un nouveau droit voisin  des éditeurs de presse sur les utilisations numériques de leurs contenus Ce nouveau droit  est inscrit à l’article 11 de la proposition de directive et est  intitulé « protection des publications de presse concernant les utilisations numériques » . Il confère aux éditeurs de presse le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou la mise à disposition  de leur publication  en vue d’une utilisation numérique.

Cette initiative ne surprend guère. La consultation de la Commission sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur du droit d’auteur en mars 2016 était annonciatrice. En outre,  la France, l’Allemagne ou l’Espagne avait déjà entrepris des démarches similaires entre 2012 et 2014. Les échecs rencontrés par ces Etats membres auguraient une intervention de l’Union.

Sont principalement visés par la proposition, les agrégateurs d’actualités et d’information, et possiblement les moteurs de recherche. Au terme de l’article 11 de la proposition, ce nouveau droit exclusif les contraindra à rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation de leurs contenus. Or on sait que les éditeurs s’agacent de ne pouvoir les mettre à contribution ces relais d ‘actualité . Les conséquences sur la diffusion des contenus informationnels risquent donc d’être importantes.  La liberté d’expression et son corollaire, le droit du public à l’information, ainsi que  la liberté d’entreprendre pourraient en ressortir affaiblies.

Compte tenu de ces enjeux, il apparaît nécessaire de questionner ce droit. Il ne s’agit pas de contester aux éditeurs de presse un droit à la protection de leur contenu en ligne, ce qui nous amènerait sur le terrain glissant des fondements et des équilibres de la propriété littéraire et artistique. En revanche, il nous parait essentiel d’en comprendre la logique et le contenu réel afin de juger de sa cohérence et de son efficacité attendue. Or si la logique gouvernant la création de ce droit semble claire et fondée (Première partie), l’étude de son contenu révélera que cette proposition paraît manquer de cohérence. Il est alors à craindre qu’en l’état, ce droit voisin soit inefficace. Et à défaut d’une structure solide, sa légitimité ne pourra qu’être contestée (Seconde partie).

Première partie – La ratio legis claire et fondée entourant la proposition de la Commission européenne

Un droit voisin fondé sur les investissements économiques réalisés par les éditeurs de presse

Traditionnellement, les droits voisins portent sur la protection des artistes et interprètes, des producteurs de vidéogrammes et de phonogrammes et enfin des entreprises de communication audiovisuelle. A l’exception du droit des artistes et interprètes, il est entendu que les droits voisins viennent protéger un investissement nécessaire à la fixation et à diffusion des œuvres à une échelle industrielle. L’idée d’un droit voisin des éditeurs de presse pour l’utilisation en ligne de leur contenu s’inscrit de manière très classique dans ce schéma. Le considérant 32 de la proposition de directive l’illustre parfaitement puisqu’il précise que la contribution financière et organisationnelle des éditeurs de presse doit être reconnue et encouragée par une protection légale de leur publication à l’échelle de l’Union. Plus concrètement, un certain consensus règne en Europe pour estimer que les éditeurs de presse voient la valeur générée par leurs publications en ligne injustement perçue par certains acteurs tels que les agrégateurs de presse ou le moteur de recherche. Un nouveau droit voisin leur permettrait de s’opposer à cette captation de valeur.

On se demandera alors pourquoi un tel droit maintenant ?  Certainement car les services en ligne n’existaient pas lors de l’élaboration de la directive 2001/29. Par exemple Google news n’est apparu qu’en 2002. Il faut également noter qu’en France, les éditeurs de presse étant cessionnaires du droit d’auteur des journalistes, il ne leur est sans doute pas apparu nécessaire de revendiquer un droit voisin. Mais  les nouveaux usages des agrégateurs et autres moteurs de recherches semblent saper et limiter la protection offerte à leur publication par le truchement du droit d’auteur.

Les limites du droit d’auteur en vue de la protection des contenus de presse à l’égard du référencement

 Pourtant, en théorie le droit d’auteur semble pouvoir jouer sur les extraits de contenus référencés par les agrégateurs d’actualités ou les moteurs de recherche.  Dans un arrêt Copiepresse de 2011, la Cour d’appel de Bruxelles a estimé que les titres et les extraits référencés par Google actualités bénéficient de la protection du droit d’auteur sans qu’aucune exception ne puisse jouer. Selon la Cour bruxelloise, en tant qu’ils participent de l’originalité de l’oeuvre  et qu’ils contiennent certains éléments reflétant une création intellectuelle propre à son auteur, la protection est acquise.  La Cour de justice de l’Union européenne adopte une   vision similaire (l’arrêt Copiepresse s’appuie d’ailleurs nettement sur la jurisprudence de la CJUE). Dans l’arrêt Infopaq I,  la Cour  a indiqué au considérant 47 qu’ « il ne saurait être exclu que certaines phrases isolées, ou même certains membres de phrases du texte concerné, soient aptes à transmettre au lecteur l’originalité d’une publication telle qu’un article de presse, en lui communiquant un élément qui est, en soi, l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de cet article. De telles phrases ou de tels membres de phrase sont donc susceptibles de faire l’objet de la protection… ». Même si la formulation est ambiguë, la Cour semble valider le principe d’une protection d’extrait d’article de presse par le droit d’auteur. Il ne resterait alors aux éditeurs qu’à en profiter.

On opposera à ce raisonnement que en pratique la mise en œuvre du droit exclusif se complique. Certes, la Cour de justice n’exclue pas l’originalité des éléments référencés par les agrégateurs d’informations, mais elle ne pose pas en principe que cela devrait être systématiquement le cas. Or sans originalité, point de protection par le droit d’auteur.  Il faudrait donc pour celui qui revendique la protection démontrer au cas par cas l’originalité des éléments référencés. Compte tenu des quantités massives de références générées par les agrégateurs et les moteurs de recherche, cette tâche est hors de portée pour les ayants droit. C’est d’ailleurs ce qui les motivent à plaider coûte que coûte pour la création d’un droit voisin. Les Etats membres ont bien cherché à intervenir sur cette question mais sans le succès escompté.

Des initiatives diversement infructueuses au sein des Etats membres

L’Allemagne fut la première a lancé les hostilités en 2013. Afin de lutter contre la vampirisation des contenus de presse en ligne, la loi allemande sur le droit d’auteur octroie désormais aux éditeurs de presse le droit exclusif d’autoriser la mise à disposition des contenus de presse à l’exception des mots, des très courts extraits et des liens hypertextes. La loi allemande ne s’applique qu’aux moteurs de recherches et aux agrégateurs de contenus (article 87f à 87g de la loi ). La riposte de la société Google a été sanglante. Cette dernière a refusé de négocier avec les éditeurs de presse et pour l’essentiel a demandé une autorisation gratuite d’exploitation des contenus de presse. Les éditeurs de presse allemands, après quelques vaines résistances, ont accepté. L’autorité de la concurrence et le juge allemand ont par ailleurs refusé de voir dans l’attitude de Google un abus de position dominante (nous reviendrons sur ce point).

L’Espagne a choisi une voie différente de celle du droit voisin mais l’esprit reste le même. La loi espagnole prévoit depuis 2014 une exception au droit d’auteur autorisant les agrégateurs de contenus à utiliser de très courts fragments d’article de presse. Cette exception est compensée par un droit à rémunération géré collectivement et auquel il ne peut être renoncé. A priori, à ce jour aucune rémunération n’a été perçue par les sociétés de gestion collective concernées. Et pour cause, un nombre important de services d’agrégation de presse ont cessé leur activité. Quant à la société Google, elle a fermé son service d’actualités.

En France, des envies de droits voisins sur les contenus de presse se sont également fait sentir. En 2013, l’Association de Presse et d’Information Générale a proposé la création d’un droit voisin pour les articles de presse sur un modèle similaire au droit allemand. A cette initiative juridiquement et politiquement instable, il a été préféré la résolution amiable du conflit opposant les éditeurs à Google. Un fond d’aide à la presse qui vise soutenir le développement en ligne des éditeurs de presse a ainsi été mis en place. Ce dernier cessera son activité à la fin de l’année 2016 et laissera place à un fond d’envergure européenne.

Dans l’esprit de la Commission, l’échec de ces initiatives isolées et la persistance du problème du partage de la valeur justifieraient donc une intervention de l’Union. Il n’en demeure pas moins que le contenu de cette proposition de droit voisin doit être interrogé au vu des échecs que nous avons constatés. En quoi l’Union serait elle plus efficace à mettre en place un tel droit ? …« to be continued. » dans une seconde partie.

Pour aller plus loin :

Rapport de la mission de réflexion du CSPLA
sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse

The Remunerated Statutory Limitation for News Aggregation and Search Engines Proposed by the Spanish Government – Its Compliance with International and EU Law 

Understanding “Ancillary Copyright”in the Global Intellectual Property Environment

Thomas Pérennou, Doctorant en droit à Télécom Bretagne et à l’Université de Rennes 1

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