L’affaire Schrems – Retour sur l’arrêt C-498/16 de la CJUE

Résumé: Ce post propose une lecture critique des principaux développements de la CJUE dans l’arrêt C-498/16.

Le combat de Max Schrems  

Maximilian Schrems est un doctorant en droit domicilié en Autriche et grand défenseur de la protection des données. C’est notamment grâce à sa ténacité que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé les fameux principes de la «sphère de sécurité» en 2015 (C-362/14) (sur cette affaire, je vous invite à visionner l’interview de Herwig Hofmann). En parallèle, Max Schrems a également intenté une action civile contre le réseau social Facebook. En substance, il réclame la réparation du dommage causé par ce dernier en raison de sa violation des dispositions en matière de protection des données (C-498/16). A cette action se sont joints six autres plaignants qui ont cédé leurs droits à Max Schrems. D’autres utilisateurs (estimés à 25.000) sont prêts à en faire autant.

Les questions que pose cette action civile relèvent du droit international privé, et plus particulièrement des règles européennes régissant la compétence internationale. Dans un premier temps, la juridiction de renvoi (ici : la Cour Suprême autrichienne) demande à la CJUE si Max Schrems peut encore être considéré comme un consommateur, alors qu’il a créé un compte et une page Facebook lui permettant d’organiser son procès contre le géant américain, publier des livres et participer à des conférences. Ensuite, il est demandé à la Cour de Luxembourg de déterminer si l’article 16 du Règlement de Bruxelles I (RBI) -devenu l’article 18 du Règlement de Bruxelles I bis– permet l’accumulation des actions semblables d’autres utilisateurs en un lieu unique, i.e. celui du domicile du consommateur cessionnaire.

La décision de la Cour de Justice

Tout d’abord, la Cour rappelle que la notion de « consommateur » doit faire l’objet d’une interprétation objective. De plus, elle s’analyse en relation à un contrat donné. Ni les connaissances ni le niveau d’expertise d’une personne n’affectent sa qualité de consommateur. Par conséquent, la Cour conclut que l’utilisateur d’un compte Facebook (en l’occurrence, Max Schrems) ne perd pas sa qualité de consommateur lorsqu’il « publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet, collecte des dons et se fait céder des droits de nombreux consommateurs afin de faire valoir ces droits en justice » (par. 41).

Puis, en ce qui concerne la centralisation des actions en un lieu unique, la Cour clarifie que le consommateur ne peut se prévaloir du for de protection de la section 4 RBI que s’il/elle intente son action personnellement. Par conséquent, Max Schrems ne peut faire valoir les actions qui lui ont été cédées par d’autres victimes domiciliées en Autriche, dans un autre État membre ou hors de l’UE, devant le tribunal de son domicile (par. 44).

L’interprétation dynamique de la notion de consommateur

La Cour de Justice admet que la notion de consommateur peut faire l’objet d’une interprétation dynamique (par. 37-38), consolidant ainsi les conclusions de l’Avocat Général Bobek (par. 35-41). Vu que les services d’un réseau social ont vocation à s’étendre sur une longue durée, l’évolution ultérieure qui est faite de tels services doit être observée afin de qualifier l’utilisateur de consommateur ou non. Dans la mesure où l’une des parties peut modifier la finalité du contrat par son usage, il me semble que l’interprétation dynamique compromet la prévisibilité de l’application des règles de droit international privé. Lorsqu’un consommateur se convertit en professionnel, il peut paraître acceptable de lui « retirer » la protection accordée par le régime de Bruxelles. Mais que dire de la situation inverse ? Serait-il raisonnable de protéger celui qui décide unilatéralement d’utiliser des biens ou des services pour une finalité privée, et par là, imposer les conséquences d’un tel changement à son co-contractant ? Bien que la Cour limite l’interprétation dynamique à des contrats de longue durée, elle laisse l’incertitude s’installer dans ses règles de droit international privé.

Les limites du droit international privé face à l’action collective

La Cour met fin aux doutes qui entouraient l’interprétation littérale de l’article 16 RBI en admettant que seul le consommateur qui intente personnellement l’action contre le professionnel peut bénéficier du for de protection (par. 44). En effet, après l’arrêt Henkel, certains ont milité en faveur d’une interprétation extensive dudit article. A l’appui de cette position, le texte du Règlement admet qu’un consommateur (et non pas le consommateur) peut intenter l’action devant les tribunaux de son propre domicile. Dès lors, il faudrait comprendre que la personne du consommateur n’est pas la seule à pouvoir se prévaloir de la section 4 RBI. L’affaire Schrems vient toutefois mettre un terme à ce débat doctrinal.

De plus, il faut souligner que le jugement de la Cour concernant l’article 16 RBI impacte la capacité des associations de consommateurs d’intenter des actions en réparation sur le marché qu’elles protègent. Cette question, restée ouverte après l’arrêt Henkel, est maintenant résolue: le droit international privé ne facilitera pas l’accès aux tribunaux des associations de consommateurs.

Finalement, la Cour analyse en bloc la capacité de Max Schrems de faire valoir les droits des utilisateurs localisés tant en Autriche que dans un État membre ou hors de l’UE. Toutefois, et plus particulièrement en ce qui concerne les consommateurs domiciliés en Autriche, il aurait été intéressant de clarifier la relation du droit international privé européen avec le droit de procédure national qui, dans certains cas, permet la consolidation des actions et donc, leur centralisation en un unique lieu.

Conclusions et liens utiles

En conclusion, l’affaire Schrems met en lumière les limites du droit international privé face aux violations des droits d’envergure globale et à la digitalisation. En particulier, l’on retiendra la difficulté d’adapter la notion de consommateur et celle de renforcer l’accès à la justice en favorisant le recours à l’action collective. En ce qui concerne ce dernier point, et comme le mentionne l’Avocat Général (par. 119 ss.), il semble que seul le pouvoir législatif soit en mesure de corriger un tel résultat.

Pour accéder aux jugements des instances nationales :

Landesgericht (1ère instance)

Oberlandesgericht (2ème instance)

Oberster Gerichtshof (Cour Suprême)

Pour aller plus loin, je vous invite également à lire mon post de présentation de ma thèse de doctorat intitulée «Cross-Border Collective Redress in the European Union and Private International Law Rules on Jurisdiction».

Alexia Pato, Collaboratrice scientifique à l’Université de Wiesbaden

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