Europe souveraine, Europe qui protège ? par Catherine Warin

Lors de son dernier discours sur l’état de l’Union le 13 septembre 2017, Jean-Claude Juncker a souhaité « une Europe qui protège, une Europe qui donne les moyens d’agir, une Europe qui défend ». Quelques jours plus tard à la Sorbonne, Emmanuel Macron lui a fait amplement écho en faisant de cette Europe qui protège un motif récurrent de son discours et en présentant la capacité protectrice de l’Union comme une composante essentielle de la souveraineté européenne.

Si l’Union ne peut être souveraine qu’en protégeant, il importe dès lors de s’interroger sur le sens et le contenu de cette notion de protection. Ceci implique un triple questionnement : qui protéger ? de qui ou de quoi protéger ? et comment protéger ? Les réponses à ces questions sont développées de façon très inégale dans les deux discours précités et ce billet proposera des pistes pour combler certaines de ces lacunes en tirant parti de la nature protectrice du droit de l’Union.

Protéger : qui, de quoi, comment ?

Qui l’Europe doit-elle protéger ? Si Jean-Claude Juncker s’en tient à la nécessité de protéger les Européens comme une évidence, le président français s’est montré un peu plus précis en souhaitant une meilleure protection des agriculteurs, des consommateurs, des travailleurs, ou encore des entreprises de l’Union. Il reconnaît également que certains immigrants méritent une forme de protection, c’est-à-dire l’asile.

Le point focal d’Emmanuel Macron n’est cependant pas ceux qui ont besoin de protection, mais plutôt la source des dangers qui suscitent ce besoin de protection. Il s’agit essentiellement de ce qu’il appelle des « défis mondiaux » à la souveraineté européenne, des défis qu’il présente comme essentiellement exogènes (en écho là aussi au président de la Commission) : sécurité (terrorisme et catastrophes naturelles), migration, transition numérique, volatilité des marchés alimentaires mondiaux. Il reconnaît aussi, mais de façon discrète et implicite, que certains problèmes sont liés au fonctionnement interne de l’Union, par exemple lorsqu’il déclare que « simple, efficace, protecteur, le marché unique doit redevenir cet espace de convergence plus que de concurrence. »

Finalement, un autre point commun aux deux discours est malheureusement une lacune non négligeable : force est de constater que les pistes de mise en œuvre de cette protection qui devrait être inhérente à la souveraineté européenne sont assez limitées (plus généralement et ainsi que l’a souligné P.Y. Monjal dans son post d’anniversaire la semaine dernière, le discours de la Sorbonne offre bien peu de propositions concrètes à se mettre sous la dent). Macron comme Juncker appellent de leurs vœux une meilleure maîtrise des frontières, sans plus de précision et au risque de se réfugier dans un souverainisme de repli. Parmi les rares pistes concrètes, notons la proposition macronienne de créer une Force européenne de protection civile, et celle de créer un Office européen de l’asile dont le mandat demeure vague. Ces idées sont somme toute relativement timides au regard des nombreux défis évoqués précédemment.

Ces lacunes sont d’autant plus regrettables que renforcer la capacité de protection de l’Union renforcerait aussi légitimité, laquelle est étroitement liée à la question de la souveraineté comme l’a remarqué F. Berrod. Face à ces lacunes, voyons donc comment le droit de l’Union contribue et peut contribuer encore davantage à faire de l’Europe une Europe qui protège.

Un droit protecteur pour une Europe souveraine

Reconnaissons d’abord que le droit de l’Union est déjà un droit protecteur, et ce de façon plus exhaustive que les décideurs ne le laissent entendre. Historiquement, comme la Cour de Justice l’a explicité dès l’arrêt Simmenthal, l’applicabilité directe du droit de l’Union signifie que ses dispositions « sont une source immédiate de droits et d’obligations pour tous ceux qu’elles concernent » – et donc aussi qu’elle peuvent protéger ceux qui les invoquent.

Il faut ensuite souligner une différence importante d’avec l’approche de Macron et Juncker : la CJUE a, dès les origines, reconnu que le besoin de protection ne naît pas seulement des relations avec l’extérieur. Bien au contraire, ce besoin existe dans toutes les relations que crée ou que régule le droit de l’Union. Le juge de l’Union a bien pris en compte les déséquilibres générateurs de vulnérabilités en faisant du principe de proportionnalité un outil central du processus juridictionnel et en situant les droits fondamentaux des individus par rapport à leur fonction sociale. Couplée au travail du législateur européen dans des secteurs de plus en plus variés, cette approche a permis le développement d’un droit qui protège désormais d’innombrables catégories d’individus (bien plus nombreuses que les quelques-unes évoquées par le président Macron). Notons en outre que, dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE, la plupart des dispositions de la Charte des droits fondamentaux ne protège pas exclusivement les Européens, mais bien tous les individus auxquels le droit de l’Union est susceptible de s’appliquer.

Pour aller plus loin, outre la conscience que les défis de l’Europe qui protège sont endogènes et non pas seulement exogènes, une piste intéressante serait de décloisonner l’approche des vulnérabilités afin de permettre une réponse transversale aux besoins de protection. La notion de vulnérabilité commence à être théorisée en droit et son intégration plus systématique en droit de l’Union pourrait permettre d’en faire un droit encore plus protecteur, au service de la souveraineté de l’Union et de la légitimité du projet européen.

(Re) lire l’ensemble des contributions de notre rubrique Anniversaires sur la souveraineté européenne

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