Le sport au-delà du Conseil de l’Europe. Interview avec Cassandra Fernandes, 2ème partie

Dans cette deuxième partie de l’interview, Mme Cassandra Fernandes nous parle des attitudes envers cette quête d’intégrité dans le sport que le Conseil de l’Europe promeut. Elle répond également à des questions sur les relations et collaborations du Conseil de l’Europe avec d’autres organisations politiques ou sportives, sans lesquelles les efforts en faveur d’un sport éthique ne pourrait aboutir et les droits fondamentaux ne sauraient être respectés.

Question. Le sport peut-il être un sujet clivant  et si oui pourquoi?

Réponse. Le sport peut absolument être un sujet clivant, puisqu’il s’agit d’une matière assez transversale et que l’on peut avoir des avis différents. Même si l’on dit aujourd’hui que la question du dopage est une question dont tout le monde pense qu’elle est importante parce qu’elle porte sur la santé ou sur des questions accessoires comme le trafic de stupéfiants, cette unanimité n’a pas toujours été aussi évidente. Dans les années 1980 et même au début des années 1990, beaucoup de personnes pensaient qu’il appartenait uniquement au mouvement sportif de gérer la question du dopage.

C’est pareil pour le domaine de la manipulation des compétitions sportives. Même si l’on a des preuves de manipulation des compétitions qui remontent aux jeux olympiques de l’Antiquité, c’est devenu une question d’intérêt politique seulement dans les dernières dizaines d’années à cause de certains scandales dans le sport.

Comme c’est un sujet transversal, transsectoriel, il faut une grosse volonté de la part non seulement du mouvement sportif, mais aussi des différents ministères, des autorités publiques de vouloir non seulement travailler sur le sujet, mais surtout de vouloir travailler dans le même sens. L’objectif unique devrait être l’intégrité du sport et des personnes impliquées dedans. Mais, souvent, il y a d’autres intérêts en jeux, des ressources financières et des ressources humaines qui sont aussi en jeu et des opinions divergentes sur les priorités. Sans la sensibilisation des dangers posés par les différentes menaces à l’intégrité du sport, il est difficile de voir pourquoi il est important de vraiment traiter ce sujet.

Q. Y-a-t-il des disparités entre les sports dans leur volonté de lutter en faveur d’un sport éthique?

R. Oui et non. A mon avis, il semble y avoir une différence dans leur volonté parce qu’il est plus facile de voir des enfreintes à des règles dans certains sports que dans d’autres. Il semble plus facile de voir quand un cycliste s’est dopé, que lorsqu’un footballeur se dope. Quand on pense au football, on pense plus au trucage de matchs, alors que pour le cyclisme ou le tennis ce serait le dopage, même si le tennis est aussi impliqué dans le trucage de matchs.

Quand on pense à ce que le sport fait de lui-même, pour moi, cela dépend des ressources qu’il a à disposition. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui se passent et que l’on ignore car ils essaient de garder cela dans le sport, à l’intérieur de la famille… Ce sont surtout les ressources humaines et financières qu’ils ont à leur disposition pour traiter ces sujets qui peuvent peser sur la volonté.

Après, pour le football avant et après chaque match, il y a toujours des tests antidopage faits au hasard. Par exemple, lors du match de Ligue des champions, Liverpool-Barcelone [le 7 mai 2019], il y avait un contrôle antidopage et on l’a su parce que c’est Messi qui a subi ce contrôle et qu’il a ensuite été oublié par son bus de retour. Il y a des suivis, mais c’est vrai qu’en fonction du thème : manipulation des compétitions sportives, dopage ou sécurité, cela dépend du sport. Peut-être cela devrait être plus équilibré, mais cela reflète aussi une volonté de se focaliser sur certains aspects.

Q. Le sport est une compétence relativement nouvelle de l’UE (art. 165 TFUE). Comment qualifieriez-vous les relations actuelles et comment voyez-vous les relations futures avec l’UE ?

R. Alors, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont deux institutions indépendantes, mais qui travaillent bien ensemble depuis très longtemps. Petite anecdote, le drapeau de l’Union européenne est en fait le drapeau du Conseil de l’Europe qui a été offert à l’UE qui l’a ensuite adopté.

Comment on adopte nos Conventions ? Une des premières choses que l’on fait est de demander à l’Union européenne de regarder les projets de Conventions, de donner son avis, donc on travaille de manière très proche sur l’élaboration des traités. C’est très important pour nous, parce que sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, 28 sont des pays membres de l’UE. Et l’Union européenne en tant qu’organisation est aussi considérée comme faisant partie des actions du Conseil de l’Europe.

Nous avons beaucoup de réunions interinstitutionnelles, à plusieurs niveaux : opérationnel, stratégique, politique. On fait aussi des projets joints. En ce moment avec le Conseil de l’Europe dans le domaine du sport, on a un projet joint dans le domaine de la sécurité, de la sûreté et des services des spectateurs. On fait cela aussi dans le domaine de l’égalité hommes-femmes. Par le passé, on avait un projet sur la manipulation des compétitions sportives. C’était la première version du projet dont j’ai été la chargée. On a fait partie de leur groupe de travail en lien avec le sujet. On entretient un dialogue permanent avec l’UE et on travaille de manière proche avec les différentes directions de la Commission européenne, comme la Direction Générale Education et Culture [DG EAC].

Q. Collaborez-vous avec des instances sportives ?

R. Le Conseil de l’Europe collabore régulièrement avec de nombreuses instances sportives. Par exemple, en octobre 2018 on a conclu un protocole d’accord (Memorandum of Understanding – MoU) avec la FIFA et on l’a aussi fait en mars 2018 avec l’UEFA [cf. Protocole d’accord avec la FIFA et avec l’UEFA]. On a aussi un protocole d’accord depuis très longtemps avec le Comité international olympique.

De manière plus opérationnelle, on travaille avec plusieurs instances sportives internationales, mais aussi régionales. Par exemple, dans le domaine de la lutte contre le dopage, on travaille avec l’Agence mondiale antidopage, on travaille aussi avec toutes les agences nationales antidopage et avec le Comité international olympique.

C’est pareil pour la manipulation des compétitions sportives. Là on travaille de manière plus récente avec d’autres sports comme le volleyball, le tennis et son unité d’intégrité (Tennis Integrity Unit) qui est un service international, aussi avec le hockey sur glace de manière ponctuelle. Et en matière de sécurité et de sûreté des spectateurs, on travaille aussi avec des syndicats de sportifs. En fait, on fait cela dans les trois domaines. On travaille avec des syndicats de sportifs, des supporters de football et en fonction des thèmes de manière très étroite avec certaines organisations quand on fait des visites consultatives.

Q. Pourquoi et comment le Conseil de l’Europe s’investit dans l’organisation de grands évènements sportifs ? (Coupe du monde, Coupe d’Europe ?)

R. L’objectif principal pour le Conseil de l’Europe à travers ses Conventions est de faire en sorte que les pays respectent les droits fondamentaux, les droits de l’homme et donc mettent en place des réglementations, des mesures et des législations, pour protéger toutes les personnes dans le domaine du sport. Cela concerne aussi bien des compétitions sportives qui peuvent être des championnats qui durent plusieurs mois, que des tournois qui durent plusieurs semaines ou jours. On a un intérêt très fort de faire en sorte que les organisateurs des compétitions soient au courant des normes à respecter, des mesures et législations à mettre en place.

Prenons deux exemples.

Dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022, on a un projet [d’assistance technique] avec ce pays notamment dans le domaine de la sécurité, de la  sûreté et des services [cf. l’accord de coopération conclu entre le Qatar et le Conseil de l’Europe, le 26 mars 2018]. Là, on parle non seulement de protéger, lors de cet événement, les droits de l’homme des sportifs, des spectateurs, des personnes venant des pays qui font partie de cette Convention de Saint-Denis, mais l’on parle aussi des droits de l’homme des personnes qui travaillent sur les sites à construire les stades.

Un autre exemple, est dans le domaine de la manipulation des compétitions sportives. Quand on a un tournoi, on veut que ces tournois se déroulent de manière correcte, de manière à respecter l’éthique sportive, l’intégrité du sport, à éviter que le crime organisé n’infiltre l’organisation et le déroulement des compétitions parce que finalement on veut que les compétitions soient saines, imprévisibles et protectrices de toutes les personnes impliquées.

La troisième partie de l’interview sera publiée le vendredi 5 juillet 2019.

(Re)voir:

Pour aller plus loin sur le sport et le Conseil de l’Europe: https://www.coe.int/fr/web/sport/home

Cassandra Fernandes est spécialiste en droit du sport et travaille en tant que juriste au sein de la division des Conventions du sport du Conseil de l’Europe. Son travail porte actuellement sur les aspects juridiques de la lutte contre la manipulation des compétions sportives et devraient bientôt porter également sur les questions relatives à la lutte contre le dopage. Elle est notamment chargée d’un projet qui accorde une assistance technique permettant aux Etats d’adopter des mesures pour lutter de manière plus efficace contre la corruption dans le sport, conformément aux Conventions du Conseil de l’Europe.

Pour plus d’informations vous pouvez consulter son profil professionnel LinkedIn.

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