La violation du délai raisonnable dans le contentieux de l’Union européenne, Adriano MAFFEO (partie II)

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Adriano Maffeo est professeur associé à la Faculté de Droit de l’Université de Naples « Federico II ». 

Il est auteur d’une thèse sur « La protection des parties faibles dans les litiges transfrontaliers » sous la direction du Professeur Roberto Mastroianni. 

 

 

S.X. : Vous êtes auteur d’un livre sur la violation du délai raisonnable dans le contentieux de l’Union européenne. Quel est le champ et le contenu du principe du respect du délai raisonnable ?

A.M. : Codifié par l’art. 6 de la CEDH et par l’art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, le respect du délai raisonnable est sans doute l’un des principes fondamentaux que l’on retrouve dans chaque État de droit. Il représente un pilier de la culture juridique occidentale et, bien que faisant partie des « exigences procédurales », constitue une composante essentielle pour la mise en œuvre effective du droit à un procès équitable, poursuivi par toute société démocratique.

S.X. :Présentez brièvement trois arrêts importants de la Cour de justice qui permettent d’avoir une vue rapide sur la violation du délai raisonnable.

A.M.: Afin de reconstruire l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice sur la violation du délai raisonnable l’un des premiers arrêts à prendre en considération est sans doute l’arrêt Baustahlgewebe (C-185/95 P).Dans cet arrêt, en statuant sur le pourvoi formé contre le jugement du Tribunal qui avait pris plus de cinq ans pour se prononcer sur un recours en annulation d’une décision de la Commission en matière antitrust, la Cour de Justice a pour la première fois affirmé la violation du délai raisonnable imputable à une juridiction de l’UE. Dans ce contexte, les juges du Kirchberg avaient décidé qu’un remède efficace aurait pu être la réduction du montant de la sanction imposée à l’entreprise par la décision attaquée.

Toutefois, les limites de cette solution pragmatique ont été mises en évidence une dizaine d’année plus tard  dans l’affaire Der Grüne Punkt (C-385/07 P). Dans cette affaire, la CJUE  a montré que « l’approche Baustahlgewebe » ne pouvait pas s’appliquer dans le cas d’espèce (ayant pour objet la seule injonction à l’entreprise de s’abstenir d’un comportement abusif de sa position dominante), où il n’y avait pas de sanction susceptible d’être réduite en fonction de la violation du délai raisonnable.

Finalement les affaires des sacs industriels en plastique du 26 novembre 2013, Gascogne Sack Deutschland (C-40/12 P), Kendrion (C-50/12 P), et Groupe Gascogne (C-58/12 P) ont marqué un revirement explicite de la jurisprudence Baustahlgewebe. Seul le recours en indemnité formé contre l’Union européenne est utilisable en cas de violation du délai raisonnable par une juridiction de l’UE.

S.X. : Quel est le rapport entre la jurisprudence de la Cour de justice et de la CEDH sur le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ?

A.M.: En raison du contenu très proche de l’art. 47 de la Charte et de l’art. 6 de la CEDH, on peut sans doute constater un lien très étroit qui se manifeste également dans la jurisprudence des deux Cours. Ce rapport est évident surtout pour ce qui concerne l’évaluation du dépassement du délai raisonnable. En fait, la Cour de justice, tout en les adaptant au contexte du droit de l’UE, utilise les mêmes critères-guide élaborés par la Cour de Strasbourg, à savoir l’importance de l’affaire pour la partie requérante, la complexité de l’affaire, le comportement de la partie requérante et des autorités compétentes.

Quelques doutes de conformité aux principes élaborés dans le contexte de la CEDH, toutefois, subsistent quant au remède élaboré en droit l’UE, notamment par rapport au choix d’attribuer l’évaluation de la violation à la même juridiction qui l’a déterminée, bien que siégeant dans une formation différente. Or, à cet égard, il faut constater que dans le cadre du système juridictionnel actuel de l’UE, il n’y avait pas d’autres solutions.

S.X. : Une série d’arrêts du Tribunal et, plus récemment, de la Cour de justice s’est penchée sur la responsabilité extra-contractuelle de l’Union européenne du fait de la méconnaissance du délai raisonnable de jugement par le juge de l’Union.  Quel est votre avis sur cette jurisprudence ?

A.M.: La jurisprudence la plus récente de la Cour de justice, en adoptant une interprétation très stricte des conditions pour obtenir une indemnisation au sens des art. 268 et 340 TFUE et notamment du lien de causalité, a considérablement réduit la possibilité pour les parties d’obtenir une réparation pour toute une série de dommages de toute façon liés à la violation du délai raisonnable.

En effet, certains arrêts du Tribunal (ASPLA e Armando Álvarez c. Union européen, T-40/15Gascogne Sack Deutschland et Gascogne c. Union européen, T-577/14 et Kendrion c. Union européenne, T-479/14), en reprenant une idée avancée par l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Holcim dans le domaine du droit de la concurrence, avaient admis l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la violation du délai raisonnable de l’affaire et le préjudice. Ce dernier consistait dans le montant des frais de garantie bancaire que l’entreprise avait dû soutenir, aussi pour la période dépassant le délai raisonnable, afin de retarder le paiement de la sanction infligée à la fin du procès.

En revanche, la Cour de justice, en statuant sur les pourvois le 13 décembre 2018, (Union européenne c. Kendrion, C-150/17 P, Union européenne c. Gascogne Sack Deutschland et Gascogne, C‑138/17 P et C‑146/17 P et Union européenne c. ASPLA et Armando Álvarez, C-174/17 P et C-222/17 P) a exclu l’existence d’un tel lien de causalité suffisamment direct, en estimant que le maintien de la garantie bancaire constituait un libre choix des entreprises.

Donc la seule indemnité reconnue aux entreprises, déterminée ex aequo et bono, est fondée sur le préjudice qu’elles ont subi en raison de l’état d’incertitude prolongé dans lequel elles se sont respectivement trouvées au cours de la procédure.

De mon point de vue, je suis d’avis que l’approche découlant de cette dernière jurisprudence de la Cour est susceptible de trop limiter les exigences d’effectivité du remède pour les violations du délai raisonnable qui, à vrai dire, dans le cadre du contentieux de l’Union, ne sont pas fréquentes. On espère que la récente réorganisation de la Cour de justice sera en mesure de les prévenir complètement.

Propos recueillis par Stamatina Xefteri

Pour lire la première partie de l’interview d’Adriano Maffeo, cliquez ici.

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