Dans cette quatrième et dernière partie de l’interview, Madame Cassandra Fernandes nous parle de la Convention de Macolin sur la manipulation des compétitions sportives qui, à ce jour, est le seul texte international juridiquement contraignant en la matière.
Question. Quel a été le contexte de l’adoption de la Convention de Macolin ?
Réponse. Comment en est-on arrivé à la Convention de Macolin ? En 2011-2012, il y a eu une affaire qui s’appelait Bochum ou JIT VETO. C’était une affaire de trucage de matchs [dans le football] coordonnée par Europol, l’agence européenne de police, qui a impliqué six ou sept pays plus des personnes ayant commis des infractions en dehors de l’Europe. Cette affaire a vraiment mis cet enjeu en avant. Il y a eu d’autres affaires, comme Calciopoli en 2005-2006 ou Calcioscommesse en 2011-2012 qui sont des affaires italiennes, mais c’est l’affaire Bochum qui a fait l’objet d’une coordination par les forces de police judiciaire [de différents pays ] qui est toujours en cours et pour laquelle on vient d’avoir un jugement il y a quelques mois, fin 2018. C’est une affaire qui a quand même duré 6 ans.
Il y a donc eu une reconnaissance politique de devoir agir. On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas du tout ou très peu de législation en dehors des régulations disciplinaires qui pouvaient s’appliquer à ce sujet qui dépassait le cadre purement du sport, alors qu’il y avait une dimension pénale. Il y a eu une décision politique de mettre en place un texte juridique. Le Conseil de l’Europe a été l’organisation à qui l’on a demandé de faire cela, ça a commencé par une recommandation en 2011 en Pologne et ça a continué sur une période d’élaboration de deux ans, entre 2012 et 2014. Les instances de l’UE, Interpol, plusieurs fédérations, le CIO et plusieurs pays ont été impliqués. Au total, cela fait 54 organisations et 4 continents qui ont été impliqués dans l’élaboration de ce texte juridique, du Japon au Maroc…
La Convention a une vocation mondiale, c’est une convention internationale. En l’élaborant, les pays ont trouvé qu’il fallait donner des bases juridiques, comme la définition de la notion de manipulation des compétitions sportives qui a désormais été adoptée par des organisations sportives et d’autres organisations. Il y a une reconnaissance que d’un côté il y a la prévention/éducation et de l’autre la détection, les enquêtes et puis les sanctions.
Les pays en l’élaborant ont trouvé qu’il faut qu’on fasse quelques bases juridiques comme la notion de manipulation des compétitions sportives qui a désormais été adoptée par des organisations sportives et autres et certaines règles autour de ce domaine. Et une reconnaissance que d’un côté il y a la prévention/éducation et de l’autre la détection, les enquêtes et puis les sanctions. Ce n’est pas un domaine que l’on doit laisser uniquement au mouvement sportif. C’est un domaine où l’on doit aider le domaine sportif. Et donc en 2014 on a eu cette Convention et cette année la Convention devrait entrer en vigueur. Il a fallu 5 ratifications, on en a 4 maintenant (Norvège, Portugal, Ukraine et la République de Moldavie) et l’on va sûrement avoir la 5ème courant mai 2019 et trois mois plus tard la Convention va entrer en vigueur comme le seul texte international contraignant [la Suisse a ratifié la Convention le 16/05/2019 et le texte entre en vigueur le 01/09/2019 ; entre temps, l’Italie a aussi ratifié la Convention le 11/06/2019]. Cela va se faire dans le respect d’autres textes qui existent dans le domaine, que ce soit des textes du Conseil de l’Europe et des Nations Unies sur le blanchiment d’argent, contre la corruption et la protection des données.
Q. Quels sont les comportements qui n’entreraient pas dans le champ d’application de la Convention ?
R. Quand la Convention a été élaborée et finalement adoptée, on a laissé en dehors du champ d’application le dopage, parce qu’il y a déjà deux Conventions, une du Conseil de l’Europe et une autre de l’Unesco qui traitent de cette matière.
En principe cela devrait être tout le reste qui peut toucher à une manipulation des compétitions sportives sur et en dehors du terrain. Si je reprends rapidement la définition de manipulation des compétitions sportives, on parle de tout acte pouvant affecter le déroulement de la compétition et les résultats, pas seulement les résultats. C’était une modification qui a été faite pendant l’élaboration de cette Convention. C’est pour dire que le champ va être très grand.
Par contre quand on aura le comité de suivi, c’est lui qui va décider le vrai champ d’application. Cela ne veut pas dire qu’on ne travaille pas déjà dessus, mais pour le moment c’est de manière non-contraignante.
Q. Quels sont les sports qui n’entreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Macolin ?
R. La liste des sports qui entreront dans le champ d’application de la Convention de Macolin dépendra du comité de suivi qui va l’établir. Ce que je peux dire est qu’elle ne se limite pas aux sports olympiques. Il y a beaucoup de pays dans le monde qui ne font pas forcément des sports olympiques, par exemple les pays de l’Océan Pacifique, à Fiji il y a plusieurs sports internationaux qui n’entrent pas dans le champ olympique. Donc ce n’est pas limité dans ce sens.
Si on parle des e-sports, c’est difficile à dire parce qu’il y a beaucoup de pays, par exemple la France qui mettent en place la législation pour réglementer les e-sports. Après ça va être aux pays de décider ce qui entre ou non dans le champ d’application de la Convention et c’est justement pourquoi on essaie d’avoir le plus d’Etats possible qui la ratifient dès le départ, sachant que l’un des objectifs principaux est la protection de l’intégrité du sport et des personnes qui y sont impliquées. Si éventuellement, ça n’entre pas dans le champ d’application, je pense que ça pourrait être difficile à gérer, mais je ne pense pas que les pays qui font partie vont se limiter dans ce sens, puisque s’ils ratifient la Convention, c’est parce qu’ils veulent protéger l’intégrité de leurs sports, de leur économie.
Q. Comment va être organisé le suivi de la Convention de Macolin ?
R. Pour le suivi de la Convention de Macolin, c’est comme la plupart de nos Conventions, c’est une particularité et c’est quelque chose qui est unique et un super outil que l’on a au Conseil de l’Europe, c’est que l’on met en place des mesures de monitoring, de suivi. Dans la Convention il y a certains articles à partir de l’article 30 qui parlent d’un comité de suivi, un follow-up committe, en anglais. Il est composé d’autorités publiques, à définir une fois que ça entre en vigueur, des Etats qui ont ratifié la Convention qui vont se réunir à peu près deux fois par an de manière plénière et plus souvent en fonction des décisions des groupes de travail pour suivre et mettre en place des détails sur l’application des différents articles de la Convention, par exemple : la liste des sports qui sont concernés par la Convention ou la liste sur les types de manipulations qui sont concernés.
Et ils vont mettre en place aussi lors de ce comité statutaire, il y aura aussi comment on va faire le suivi des pays, comment on va faire en sorte que les pays soient conformes. Alors, ce n’est pas imposé, ce n’est pas une obligation d’aller visiter un pays comme d’autres divisions au Conseil de l’Europe, mais une fois qu’un pays demande d’avoir une visite pour voir ce qu’il manque. Alors là on peut composer une équipe faite par le comité de suivi et d’autres experts et le Conseil de l’Europe pour visiter le pays et pour voir ce qu’il y a en place etc. Donc c’est comme ça qu’on peut suivre, le développement par les pays des mesures et la législation. Dans le domaine de l’antidopage par exemple ils sont soutenus par le fait qu’il y a la Convention internationale de l’Unesco et il y a l’Agence mondiale antidopage qui peut faire en sorte que les pays conforment bien aux articles de notre Convention antidopage, parce que c’est un lien avec la participation de leurs compétitions. Dans le domaine de la manipulation, c’est encore plus nouveau et c’est à développer dans les prochaines années.
Q. Qu’est-ce que le « Groupe de Copenhague » ?
R. Le « Groupe de Copenhague » est un surnom. C’est le réseau des plateformes nationales qui a été établi par le Conseil de l’Europe à l’été 2016. C’était à l’initiative des Etats et ça a été fait parce que le concept central de la Convention est ce concept de plateforme nationale. La plateforme nationale est censée être établie par chaque pays qui ratifie la Convention et c’est un forum centralisé qui réunit tous les différents types d’acteurs qui sont concernés par ce sujet. Comme je l’ai dit avant, il s’agit de plusieurs ministères, le monde sportif, le monde des paris, les forces de police, le parquet, la police judiciaire… On se réunit tous avec l’objectif commun de lutter contre la manipulation des compétitions sportives et au sein de ce forum, il ne s’agit pas seulement de dire qu’on est d’accord sur l’objectif, mais on met en place des mesures et un plan d’action dans l’objectif de prévention, d’éducation et aussi suivi de compétitions et notre présence là sur place. Nous devons comprendre le besoins de tous les différents acteurs sur les sanctions et élaboration de la législation.
C’est un groupe informel. Il y a une vingtaine de pays de plusieurs continents qui en font partie. C’est informel parce que d’un côté la Convention n’est pas en vigueur et de l’autre côté beaucoup de ces pays sont des Etats membres de l’UE et pour le moment pour des raisons politiques, ces Etats sont bloqués de ratifier la Convention.
Q. Qui sont les lanceurs d’alerte et comment les protéger ?
R. Les lanceurs d’alerte pourraient être surtout dans ce domaine plusieurs types de personnes. Souvent on pense aux sportifs, aux arbitres, aux staffs dans et autour du stade, impliqués dans la gestion des clubs et des fédérations. Cela peut être la famille de ces personnes, aussi. Et toute personne travaillant autour de ce domaine.
Les lanceurs d’alerte veulent souvent être anonymes parce que le sport est un domaine particulier où si l’on est connu pour avoir été la personne qui a donné les informations souvent on risque de traîner derrière soi une mauvaise réputation. La Convention encourage à son article 21 la protection des lanceurs d’alerte. Beaucoup de fédérations ont déjà mis en place une protection, mais avec la Convention on demande une protection de ces personnes par la législation, par les autorités publiques. Il y a une obligation positive des Etats. C’est le nouveau sujet d’intérêt par beaucoup de pays en ce moment en 2019.
Q. Quels pourraient être les obstacles à une adhésion rapide des Etats à cette Convention ?
R. Il y a un obstacle à l’adhésion à la Convention qui existe en ce moment. La Convention a été élaborée avec l’UE, mais par la suite il y a eu une décision politique d’une institution de l’UE qui était que comme la Convention était de compétence partagée, il fallait non seulement un vote par une majorité qualifiée des 2/3 pour donner le droit aux pays de l’UE de ratifier la Convention, mais il fallait un vote à l’unanimité. La raison pour laquelle un seul pays, Malte, a bloqué, a posé son véto sur la ratification par les pays de l’UE à la ratification, est bien connue. C’est parce qu’elle n’était pas d’accord avec la définition de « pari sportif illégal », dans l’article 3 de la Convention. Pour cette raison, par solidarité des Etats membres de l’UE, les institutions de l’UE ont découragé les Etats membres de ratifier la Convention. Ceci dit, le Portugal a déjà ratifié, c’était avant la décision finale de la Commission européenne, mais en ce moment le blocage est toujours en place et c’est pourquoi on a des groupes comme le « Groupe de Copenhague », parce que la plupart des pays sont d’accord pour ratifier la Convention et veulent avancer sur la mise en place des mesures pour lutter contre la manipulation des compétitions sportives et c’est pour ça qu’on a des plateformes nationales informelles, non-officielles.
Q. Quelle est la plus-value de la Convention de Macolin ?
R. La Convention de Macolin est un texte juridique, que moi en tant que sportive apprécie beaucoup et c’est parce que la Convention donne un champ, un domaine spécifique au traitement de ce problème qu’on a. On parle beaucoup des paris illégaux, de matchs truqués, des lanceurs d’alerte justement, des fraudes, des pots-de-vins, mais sans une vraie les personnes commettant des infractions peuvent s’infiltrer et peuvent faire ce qu’ils veulent. Parce qu’ils profitent des domaines qui sont peu réglementés. Ça c’est une vraie plus-value.
L’autre plus-value est que c’est un texte international juridiquement contraignant.
Q. Quels sont les chantiers à venir dans le domaine de la manipulation des compétitions sportives ?
R. Le plus gros chantier à venir dans le domaine de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives est l’entrée en vigueur de la Convention qui devrait avoir lieu en 2019 [1er septembre 2019]. Après ça va être de mettre en place le comité de suivi qui va ensuite mettre en place tout ce qui est liste de sports concernés, les types de manipulations. Il va donner une vraie base juridique et un soutien officiel aux différentes actions qui sont déjà en place, comme les actions des plateformes nationales, des procureurs. Et en ce moment, on parle souvent des lanceurs d’alerte, par exemple.
Un autre champ qu’on continue et qui constitue une priorité est la coordination au niveau national des différents types d’acteurs publics ou privés qui n’est pas forcément particulière au domaine de manipulation des compétitions sportives, mais qui est un domaine auquel on accorde beaucoup d’importance.
(Re)voir:
- la première partie de l’interview sur la prise en compte du sport au sein du Conseil de l’Europe
- la deuxième partie de l’interview sur la manière dont le Conseil de l’Europe promeut les valeurs dans le sport auprès de ses partenaires
- la troisième partie de l’interview qui nous donnes des pistes de réflexion pour mieux comprendre le phénomène de manipulation des compétitions sportives
Pour aller plus loin sur le sport et le Conseil de l’Europe: https://www.coe.int/fr/web/sport/home
Cassandra Fernandes est spécialiste en droit du sport et travaille en tant que juriste au sein de la division des Conventions du sport du Conseil de l’Europe. Son travail porte actuellement sur les aspects juridiques de la lutte contre la manipulation des compétions sportives et devraient bientôt porter également sur les questions relatives à la lutte contre le dopage. Elle est notamment chargée d’un projet qui accorde une assistance technique permettant aux Etats d’adopter des mesures pour lutter de manière plus efficace contre la corruption dans le sport, conformément aux Conventions du Conseil de l’Europe.
Pour plus d’informations vous pouvez consulter son profil professionnel LinkedIn.