ONU, 2 Août 2019 – « Au cours d’une conférence de presse au siège de l’ONU à New-York, le Secrétaire Général António Guterres a déclaré que, même s’il y a toujours eu des étés chauds, celui que connaît actuellement l’hémisphère nord n’est « pas l’été de notre jeunesse », mais une urgence climatique.
Des données publiées par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) montrent que 2019 a connu le mois de juin le plus chaud jamais enregistré, avec des records battus de New Delhi au cercle polaire arctique.
Le mois de juillet est également en passe d’égaler ou de surpasser le mois le plus chaud de l’histoire, et la période de 2015 à 2019 est probablement partie pour battre le record des cinq années les plus chaudes de l’histoire.
« Si nous n’agissons pas maintenant pour lutter contre le changement climatique » a déclaré Monsieur Guterres, « ces événements climatiques extrêmes ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Et cet iceberg fond aussi rapidement. »
C’est à la lumière de tels constats que l’on peut considérer qu’enseigner le changement climatique relève d’une évidence et constitue une nécessité. Une évidence, parce que le dérèglement climatique est le problème le plus important se posant à la société contemporaine : il met en jeu la paix et la stabilité sociale ; il interroge le devenir des humains sur la terre et, plus largement, menace l’avenir de tous les écosystèmes qui s’y trouvent. Une nécessité, parce que la compréhension de ses causes comme de ses effets procède d’un savoir complexe, qu’il convient de partager et de transmettre dans la perspective de la définition et de la mise en œuvre des stratégies, d’atténuation comme d’adaptation, en tous les cas de lutte contre ce processus.
Enseigner le changement climatique, donc, mais à la Faculté de droit n’est-ce pas insolite ? Oui, si on réduit ce phénomène à sa dimension physique, c’est-à-dire à l’« effet de serre » qui en est à l’origine et dont l’appréhension paraît effectivement relever en premier lieu des spécialistes des sciences « dures ». Non, si on le considère dans toute sa complexité, c’est-à-dire comme un fait social, au sens plein du terme puisqu’intrinsèquement lié aux activités humaines ‒ qui en sont les principales causes et qui en subissent les effets ‒, et, comme tel, à l’anthropocène. La finalité sociale du droit n’étant plus à démontrer, force est d’admettre que cette discipline a ici toute sa place : place qu’elle a d’autant plus de chance de trouver et d’occuper qu’elle aura intégré le changement climatique, dans ses règles, d’une part (1) et, par voie de cause à effet, dans ses formations, d’autre part (2).
1. Le défi de l’intégration juridique
L’intégration du changement climatique dans le droit est la conséquence d’une prise de conscience générale, individuelle et collective, de l’importance et de la gravité dudit phénomène. Elle se matérialise par la prise en charge de ce dernier par le droit, laquelle obéit à une double logique : temporelle ‒ à travers l’idée d’« urgence climatique » ‒ ; territoriale ‒ le changement climatique néglige les frontières et a donc vocation à être appréhendé à toutes les échelles de gouvernance. C’est dans cette mesure qu’il interroge le droit, quels que soient les ordres et systèmes dont il est issu, dans son aptitude à l’appréhender.
En premier lieu, force est d’observer que, sur le sujet, c’est le droit international qui a « donné le la », avec la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CNUCC), , adoptée en 1992 et entrée en vigueur en 1994, qui vise à « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche les perturbations dangereuses de l’humain dans le système climatique ». Son protocole additionnel, dit de Kyoto , signé en 1997, représente un nouveau pas en avant dans la lutte contre le changement climatique au niveau international : sur son fondement, les pays industrialisés s’engagent à réduire leurs émissions de 5,2 % en dessous du niveau de celles de 1990, entre 2008 et 2012 ; le même texte propose aux parties contractantes de développer des mécanismes de « flexibilité » pour atteindre le but en question. Plus récemment, le régime juridique international de lutte contre le réchauffement climatique a été prolongé et enrichi avec la signature de l’Accord de Paris, premier document élaboré par l’ensemble des pays de la planète, mais dont la normativité est à géométrie variable : contraignant sur la transparence et les comptes-rendus de réductions d’émissions de gaz à effet de serre, il l’est beaucoup moins sur les objectifs de réduction eux-mêmes.
En second lieu, l’ordre juridique européen, et, tout spécialement, celui de l’UE, n’est pas en reste. A défaut d’être pionniers sur le sujet, la Communauté puis l’UE se sont en effet imposées comme acteur central puis chef de file de la lutte contre le dérèglement climatique. Cette situation est d’autant plus remarquable que le droit primaire se rapportant à ces organisations a priori ne s’y prête pas : en effet il ne consacre aucune politique climatique européenne. De fait elle est le produit d’une lecture dynamique des compétences attribuées, confortée par le recours à la clause dite d’intégration de la protection de l’environnement « dans la définition et la mise en œuvre des politiques de l’Union » (TFUE, art. 11), s’autorisant du constat que le changement climatique constitue un problème essentiellement environnemental. C’est donc sur ces bases que l’UE est parvenue à insuffler une dimension climatique à tout ou partie de ses politiques, internes comme externes, soit en particulier à celles qui entretiennent avec le thème considéré un lien, de causalité notamment, direct et immédiat. C’est ainsi que, pour la raison sus-évoquée, les mesures de lutte contre le changement climatique s’inscrivent, par nature pour ainsi dire, dans la politique dite de « protection de l’environnement » : l’article 191.1 TFUE relatif à celle-ci en fait en ce sens un de ses « objectifs ». Dans le même ordre d’idée, parce que la production et l’utilisation d’énergie constituent les principales sources d’émissions de gaz à effet de serre, le même thème a aussi vocation à s’épanouir tout particulièrement dans le sein de la politique de l’UE « dans le domaine » de l’énergie (TFUE, art. 194, issu du traité de Lisbonne). Cette bipolarisation a d’ailleurs donné naissance à une politique énergie-climat « intégrée ».
Enfin le changement climatique défie aussi l’ordre juridique national, ne serait-ce que parce que les dispositions issues des ordres juridiques international et européen s’y rapportant ont vocation à s’y appliquer. C’est ainsi qu’en fonction de leur degré de normativité, lesdites dispositions vont peser sur le contenu du droit interne. A priori toutes les branches et subdivisions sont concernées mais, pour la même raison que celle exposée ci-dessus, il n’est pas illogique de penser que ce soit ici aussi le droit de l’environnement qui sera concerné en première ligne. Et, en pratique, cela est bien le cas : par exemple sur le plan législatif, l’article L. 100-1 du code de l’environnement dispose que le réchauffement climatique correspond à un « engagement » destiné à réaliser l’objectif de développement durable, cependant que l’article L. 229-1 du même code indique que « La lutte contre l’intensification de l’effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique sont reconnues priorités nationales » ; par exemple niveau constitutionnel, l’actuel projet de révision de la Constitution de la Vème République comporte une proposition d’inscription, controversée d’ailleurs, de la lutte contre le réchauffement climatique dans ladite Constitution.
Comme on vient de le constater, l’intégration du changement climatique dans le droit est donc à la fois formelle et matérielle, mais il est notable qu’elle s’accompagne aussi de réformes et/ou évolutions institutionnelles, d’ailleurs elles-mêmes susceptibles d’intéresser toutes ses échelles de gouvernance. Des organes dédiés sont ainsi parfois créés : par exemple, le système onusien a consacré deux structures spécifiques de négociations pour les conférences climatiques (la « Conférence des Parties » : COP) et le « Meeting of the Parties » : MOP) ; par exemple, certains Etats ont institué des instances consultatives indépendantes (Comittee on Climate Change : Royaume-Uni, 2008 ; Haut Conseil pour le Climat : France, 2018). Il peut arriver aussi que les structures existantes soient maintenues mais évoluent dans une logique de spécialisation fonctionnelle : par exemple, la Commission Juncker a créé en 2010 une direction générale ( DG CLIMA) placée sous la tutelle du Commissaire en charge de l’énergie, cependant que la Commission von der Leyen vient de proposer l’installation d’un commissaire spécialement chargé du climat ; par exemple, la France a annoncé vouloir inscrire la lutte contre le changement climatique dans les missions de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (projet de loi énergie-climat actuellement en discussion au Parlement). Enfin, il est possible d’observer aussi le recours à des dispositifs inspirés par la logique de la participation citoyenne : qu’ils soient institués (Convention citoyenne pour le climat (France, octobre 2019), ou utilisés (Initiative Citoyenne Européenne « Fridays for Future », enregistrée par la Commission le 4 septembre 2019), à cette fin.
De façon irrésistible ou irrépressible le changement climatique est donc entré dans le droit, jusqu’à s’insinuer dans tous ses éléments et ce, fatalement, jusqu’à trouver son point d’aboutissement et de cristallisation dans le prétoire de ses juges, contribuant ce faisant à l’émergence d’un contentieux spécifique (« contentieux climatique »).
2. Le défi de l’enseignement d’un droit « global »
Le défi du changement climatique tient aussi au fait qu’il met le droit aux prises avec un enjeu transversal susceptible de modifier sa représentation et, au-delà, sa présentation.
En premier lieu sa représentation, dès lors que l’intégration dans le droit d’un phénomène aussi global que le changement climatique ‒ il l’est au sens fort puisqu’il intéresse tout le globe terrestre ‒ a pour conséquence l’apparition d’un droit lui-même « global », dépassant les frontières nationales. L’idée d’un droit « global » n’est pas en soi une nouveauté : elle émerge dans le cadre de l’utopie du droit commun universel ayant prospéré en particulier après la seconde Guerre mondiale. Ce qui est ici plus nouveau est le fait que le droit en question étende son emprise au-delà de ses territoires ou registres traditionnels ‒ le marché et les droits de l’homme ‒ pour se tourner vers les grands défis environnementaux.
En second lieu sa présentation c’est-à-dire, notamment, son enseignement à l’Université. On se plaît en effet à penser qu’à ce droit « global » d’un nouveau genre doive correspondre un plan large, oubliant, sans méconnaître, les frontières académiques, notamment la summa divisio droit public/droit privé, ou encore la distinction droit international et européen/droit interne. Le Master « Droit global du changement climatique » que l’Université Jean Moulin-Lyon 3 propose, dès la rentrée 2019 pour sa première année, et à compter de celle de 2020 pour sa seconde année, a cette vocation et poursuit cette ambition. Dans le contexte d’un droit marqué par la spécialisation et la sectorialisation, il vise à dispenser une formation transversale et approfondie sur le changement climatique afin de former des juristes capables d’appréhender l’un des principaux défis de la société contemporaine. Ce diplôme s’adresse donc à des étudiants disposant de compétences transversales en droit (public et privé). Il propose par ailleurs une mise en situation du phénomène du changement climatique dans son environnement international et européen. Il ouvre ainsi à la maîtrise des savoirs fondamentaux du droit international et du droit européen (Master 1), auxquels il ajoute des enseignements ciblés sur le thème spécifique du changement climatique (Fiscalité du changement climatique, Droit et contentieux du changement climatique, Collectivités et changement climatique, Entreprise et changement climatique etc.) (Master 2).
Le défi est immense. Tout voir, tout étudier sera évidemment impossible. Le manque d’exhaustivité des spécialistes de chaque matière enseignée est en particulier un risque à courir, mais le manque d’ouverture le serait davantage. On dit souvent que « la connaissance, c’est du pouvoir » (Francis Bacon) ; faisons-le pari que la démarche et l’angle qui ont été ici choisis joueront comme des éléments de l’action, individuelle et collective, impérieusement nécessaire pour répondre à l’enjeu climatique.
Bernadette Le Baut-Ferrarese: Professeure de droit public, EDIEC EA-4185, Co-directrice du Master 2 Droit européen des affaires, Directrice du Master Droit Global du changement climatique, Université Jean Moulin-Lyon 3
Re (lire):
- l’Edito d’Alessandra Donati : Changement climatique : Que que faire le Droit européen?
- Le changement climatique et l’UE: Quelques repères, Olivia Tambou
Ne ratez pas demain, Que retenir du premier People Climate case devant la CJUE ? : Eve Truilhé-Marengo, Directrice de recherche CNRS, Directrice du Centre d’Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC) et par Estelle Brosset, Professeure de droit public, Chaire Jean Monnet, Faculté de droit et de science politique, Aix-en-Provence, Coordinatrice du CEJM
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