Les normes européennes sont-elles menacées par l’Accord économique et commercial global ?

Abstract: The signature of the free trade agreement between the EU and Canada has stirred a lot of concerns regarding the protection of European standards. Taking a look at the CETA provisions in this respect as well as the cooperation mechanisms between European and Canadian standardization bodies points to the little influence one Party has on the standardization process of the other Party. Instead, the EU should focus on getting the European citizen closer to the standardization process that pervades EU policies.

Signé le 30 octobre 2016, l’accord de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne vise à favoriser le commerce transatlantique, stimulé déjà, depuis un certain nombre d’années, par une série d’accords parmi lesquels l’accord de reconnaissance mutuelle de 1998. Cet Accord économique et commercial global (AECG ou CETA en anglais) suscite pourtant des prises de position contrastées entre engouement sans bornes parmi ses promoteurs et méfiance parmi les détracteurs.

L’un des aspects les plus importants de tout accord commercial est la réduction ou l’élimination des obstacles techniques au commerce (des produits, des services…). Le processus de normalisation joue un rôle incontestable dans la facilitation des échanges internationaux. Il implique l’élaboration de normes qui sont des spécifications techniques ou de qualité, facultatives, élaborées sur la base d’un consensus atteint par des organismes de normalisation nationaux ou régionaux auxquelles peuvent se conformer des produits, des procédés de fabrication, des services ou des méthodes existants ou futurs. Au sein de l’Union européenne, ce système est central dans le fonctionnement du marché intérieur et  dans les politiques de l’UE  (« nouvelle approche »), dans la mesure où les normes permettent de réduire les coûts  et contribuent à accroître la compétitivité.

Pour l’Union européenne, dont le poids commercial est incontestable, la promotion des normes européennes est un enjeu majeur et inhérent à son système de normalisation. L’un des moyens privilégiés est la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux avec d’autres États. L’AECG, de par son ampleur, offre un cadre encourageant les Parties à aller vers un rapprochement des normes. Ce phénomène implique un dialogue et une influence réciproque qui peut être plus ou moins directe sur le processus de normalisation. D’où l’intérêt de s’intéresser aux principales mesures qui définissent la nature et le degré de cette coordination.

La normalisation au sein de l’AECG

C’est d’abord le préambule de l’AECG qui stipule que les Parties conservent « leur droit de fixer des règles sur leurs territoires et la latitude dont elles ont besoin pour réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que ceux visant la santé publique, la sécurité, l’environnement et la moralité publique ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle ».

Si la notion de « norme » est présente dans plusieurs articles de l’AECG, deux chapitres ayant trait aux barrières techniques nous intéressent plus particulièrement. D’abord, le chapitre quatre de l’AECG portant sur les obstacles techniques au commerce qui s’applique à l’élaboration, à l’adoption et à l’application des normes, mais aussi aux règlements techniques et aux procédures d’évaluation de la conformité. Il incorpore différentes dispositions de l’Accord OTC de l’OMC, notamment son article 4 qui porte sur les normes et le Code de pratique pour l’élaboration, l’adoption et l’application des normes. Ce chapitre est complété par le chapitre vingt et un de l’AECG portant sur la coopération en matière de réglementation.

L’article 4.3 de l’AECG invite notamment les Parties à renforcer leur coopération dans le domaine de l’activité normative (ainsi que dans d’autres domaines), en promouvant et en encourageant la coopération entre les organismes de normalisation.

L’article 4.6 pose une série d’exigences en matière de transparence en invitant ces organismes de normalisation à faciliter l’échange d’informations et à définir des modalités en vue d’une harmonisation des normes « fondée sur l’intérêt mutuel et la réciprocité ».

Enfin, toute question soulevée par une Partie en ce qui concerne l’élaboration, l’adoption ou l’application d’une norme peut être examinée par le « Comité du commerce des marchandises » institué au titre de l’article 26.2.1 a) (cf. art. 4.7 de l’AECG). Il y a également un Forum de coopération en matière de réglementation (art. 26.2.1 h), chargé des questions concernant la coopération en matière de réglementation. Il n’a pas de compétence décisionnelle.

L’instrument interprétatif commun, établi lors de la signature de l’accord, précise que l’AECG n’aura pas pour effet d’affaiblir les normes et les réglementations des Parties concernant « l’innocuité alimentaire, la sécurité des produits, la protection des consommateurs, la santé, l’environnement ou la protection du travail ». Les exigences imposées au niveau national, y compris les règles et réglementations en vigueur  continuent de s’appliquer aux biens importés, fournisseurs de services et investisseurs. Les engagements pris en matière de précaution dans le cadre d’accords internationaux sont réaffirmés (cf. point 1, d)).

La lecture des dispositions de l’AECG dévoile un texte qui affirme des ambitions et pose des critères (ouverture, transparence) pour éviter une redondance normative. Il laisse aussi une marge d’appréciation aux organismes de normalisation pour définir les modalités de la coopération bilatérale.

La coopération institutionnelle entre organismes de normalisation

  • L’accord bilatéral: un mécanisme de plus en plus utilisé

En fonction de l’importance stratégique pour l’Union européenne et en l’absence de tout accord commercial de l’UE, les organismes européens de normalisation peuvent conclure des accords de coopération avec d’autres Etats tiers à l’UE (Japon, Corée du Sud, Russie, Chine).

La coopération institutionnelle entre les organismes européens de normalisation du CEN et du CENELEC et l’organisme canadien de normalisation, le Conseil canadien des normes (CCN) s’est concrétisée par la conclusion d’un « Accord de coopération ». Un premier accord avait déjà été signé en 2012 et il a été renouvelé le 25 janvier 2016 pour une période de trois ans. Il peut être résilié unilatéralement (cf. art. 8). Le texte ne fait pas référence à l’AECG et son application ne dépend pas de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange.

En dehors de cet accord et pour ce qui est du domaine des télécommunications, l’ETSI, le troisième organisme européen de normalisation (OEN), a accordé le statut d’observateur à l’organisme canadien de normalisation et celui de membre associé à d’autres entités canadiennes.

  • Les objectifs de l’accord de coopération

Les objectifs de l’accord de coopération entre les CEN et CENELEC d’un côté et le CCN de l’autre reflètent la volonté commune d’améliorer la communication, les échanges d’informations sur la normalisation, la complémentarité des actions de ces organismes des deux côtés de l’Atlantique.

L’accord ne précise pas toutefois quelles informations peuvent être échangées (ce qui peut concerner un nombre élevé de documents) et ne détaille pas non plus les modalités de coopération, parmi lesquelles sont mentionnées des « réunions régulières ».

Des domaines d’intérêt commun ont été identifiés (ils se retrouvent à l’Annexe A) et concernent des secteurs stratégiques tournés vers les nouvelles technologies. Ces domaines exigent le plus souvent une interopérabilité, une rapidité dans l’élaboration des normes, une réaction face aux développements techniques. La normalisation peut ainsi être une alternative à un cadre juridique lacunaire ou dominé par des intérêts privés.

Bien que les domaines de coopération visés aient une dimension plutôt « industrielle », leur formulation suffisamment large permet d’englober un large éventail de normes. De même, l’absence de référence explicite aux normes sociétales n’exclut pas qu’une norme a priori technique puisse avoir un impact sur l’intérêt des consommateurs ou la protection de l’environnement.

Cependant le CCN n’est pas membre d’un organisme européen de normalisation et n’a pas d’influence directe sur le processus de normalisation, contrairement aux 34 membres à part entière des CEN et  CENELEC (organismes de normalisation nationaux des Etats membres de l’Union, des États associés à l’Union par un accord (cas des pays de l’AELE (États EEE et Suisse)) ou encore des États candidats à l’adhésion à l’Union (la Serbie à partir du 1er janvier 2017).

Le degré d’harmonisation ou d’influence réciproque dépendra du niveau des échanges entre les Parties à l’accord commercial. Le Canada ne devrait pas être plus influent que le Royaume-Uni lié à l’UE par un accord de libre-échange, une fois le Brexit consommé.

  • Coopérer sur d’autres aspects relatifs aux obstacles techniques au commerce

L’ensemble du dispositif est complété par d’autres éléments portant sur les règlements techniques (cf. art. 4.4 de l’AECG) et la certification de la conformité (cf. art. 4.5 de l’AECG, ainsi que l’entente entre le CCN et la Coopération européenne pour l’accréditation (EA)). La politique d’évaluation de la conformité limitera le nombre d’évaluations sur un produit, tout en garantissant le niveau de confiance dans les normes.

Renforcer la confiance en rapprochant le système de normalisation des citoyens

La débats autour de l’AECG ont permis de mettre en exergue l’échec démocratique de l’UE à cause de l’opacité des négociations. Mais au-delà de ce traité de libre-échange et des conjectures sur la protection des normes européennes auxquelles nous pouvons nous livrer, la démarche consistant à rapprocher le processus de normalisation des citoyens européens devrait occuper une place de choix parmi les priorités des acteurs de cette politique. La relation avec la société est déficitaire car le citoyen européen se heurte, trop souvent, au difficile accès à l’information concernant l’élaboration, l’adoption et l’application des normes. Il est grand temps de résorber le décalage entre la dimension politique acquise par la normalisation et les moyens investis dans l’éducation et la sensibilisation du public aux questions qu’elle soulève.

Vlad Titerlea, doctorant en droit au Centre d’Etudes Internationales et Européennes (CEIE) de l’Université de Strasbourg

(Re)voir les posts en lien avec le CETA:

Source image: accdocket.com

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