Le député Emeric Brehier est rapporteur pour la Commission Culture qui a donné son avis sur la Loi Numérique et participé activement à l’adoption de l’article 30. Il revient pour blogdroiteuropéen sur les points essentiels de la genèse de cet article et évoque également le contrôle futur de son application.
O.T. Quel est l’apport de l’article 30 de la loi République Numérique?
Emeric Brehier: L’article 30 ouvre la possibilité pour le chercheur de disposer librement du fruit de ses recherches quelles que soient les conditions de son contrat d’édition et au plus tard à l’issue d’un délai d’embargo de 6 mois dans les sciences de la technique, et de la médecine et de 12 mois dans celui des sciences humaines et sociales.
O.T. Quelles sont les principales modifications apportées à cet article au cours de la discussion parlementaire?
Emeric Brehier: Trois traits essentiels me semblent devoir être évoqués.
Premièrement la singularité du processus de l’élaboration de la loi République numérique. La secrétaire d’Etat Axelle Lemaire a souhaité que le projet de loi soit soumis à une consultation citoyenne. L’article 17 (ancien article 30) est l’une des dispositions qui a eu le plus connexions sur la plateforme c’est-à-dire le plus de participation. Je ne vous cache pas que cela a eu des conséquences sur le travail législatif. Nous avons pu nous appuyer sur les résultats de cette consultation pour valider certaines formulations notamment pour maintenir les délais d’embargos.
Deuxièmement, nous avons commencé à mener nos auditions en aveugle sur un texte législatif qui n’existait pas encore. Les auditions se sont tenues en novembre alors que le projet loi de définitif a été publié en janvier. Un tel délai a été nécessaire en raison de l’importance également du travail interministériel à mener. En effet, la loi République numérique comporte des dispositions intéressants l’Enseignement supérieur et la Recherche, la Culture, les Sports et la jeunesse, l’économie et les finances. En outre, ce projet remettait en cause des modèles économiques existants, comme celui des éditeurs à travers l’article 30 par exemple.
Troisièmement, le texte de l’article 30 a peu évolué dans le cadre de la navette parlementaire. Nous avons été confrontés à deux types d’opposition. Celle des éditeurs en raison comme je le disais auparavant de la remise à cause de leur modèle économique. Mais pas que. Certaines communautés scientifiques voulaient aller plus loin, et souhaitaient la remise en cause des délais d’embargos. Nous avons finalement trouvé un compris respectant la recommandation européenne de 2012. Les délais de 6-12 mois sont des plafonds mais rien n’empêche qu’un article soit publié librement avant s’il existe un accord entre l’auteur et l’éditeur.
O.T. Avec cet article 30, un universitaire français qui publie dans une revue étrangère pourra t-il aussi diffuser en Open Access?
Emeric Brehier: L’article 30 s’inspire d’une recommandation européenne de 2012 que doivent aussi appliquer les autres pays. Par ailleurs il existe une disposition similaire en Italie, en Allemagne et le système britannique quoique différent favorise aussi les publications en Open Access. A mon sens la question de l’application de la possibilité développée par l’article 30 ne se pose pas dans l’UE c’est-à-dire dans les 28 Etats membres même si nous serons 27 Etats membres dans le futur. Je tiens d’ailleurs à signaler que la question du RU et du Brexit ne se posait pas encore au moment où nous avons légiféré.
Par ailleurs, je suis persuadé qu’il y aura à terme une directive européenne qui fera converger les législations nationales notamment en lien avec la question de données de la recherche (TDM) et du droit d’auteur.
Quant aux éditeurs non européens, le mouvement de l’Open access est dans le sens de l’histoire. La concentration du monde l’édition scientifique aux mains de 5 grandes maisons d’édition pose un problème au regard de la liberté des scientifiques.
O.T. Et après l’adoption de cet article 30 République numérique quelle sera désormais la tâche du Parlement?
Emeric Brehier: On en a pas fini. La prochaine mandature devra poursuivre la réflexion à mon sens dans trois directions:
- Premièrement le travail de suivi de la loi afin de s’assurer que les éditeurs ne contournent pas son esprit.
- Deuxièmement, il s’agira d’évaluer la progression des écrits scientifiques mis en libre accès sur la base de l’article 30.
- Troisièmement, il conviendra de suivre le plan de soutien des éditeurs dans le domaine de SHS sur lequel le Ministère de la Recherche s’est engagé.
En d’autres termes, le Parlement doit être attentif afin de déterminer si l’article 30 a les effets dramatiques prévus par les uns (notamment les éditeurs) ou les effets bienheureux augurés par les représentants de la Communauté scientifique.
Propos recueillis par Olivia Tambou
Pour aller plus loin:
- Voir l’avis présenté au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi Une Républiquen numérique par le député Emeric Bréhier, il comporte notamment en annexe la liste des personnes auditionnées.
- Le dossier législatif de la loi République numérique sur Légifrance
- Quelques précisions sur l’article 30 de la Loi de la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique par Philippe Mouron.
- Revoir l’ensemble des contributions dans le cadre de notre e-débat sur l’open Access ici
- Et vous avez encore la possibilité de répondre à notre questionnaire ici.
Merci pour ce lien
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